Abstracts
Résumé
Depuis 2007, la compétition partisane au Québec a pris la forme d’un système multipartite, avec quatre partis maintenant représentés à l’Assemblée nationale. Dans ce nouveau contexte, notre attention se porte sur le Parti québécois (PQ) qui a célébré ses cinquante ans d’existence dans l’année électorale de 2018, mais a en même temps connu un important revers électoral, marquant une autre étape de l’érosion continue de son soutien électoral dans la population québécoise. Dans cette étude, nous examinons les dynamiques générationnelles du comportement électoral des Québécois pour tenter de cerner les raisons du déclin du PQ. Les données de cinq enquêtes postélectorales (2007-2018) montrent que les sources du déclin du PQ se trouvent parmi les plus jeunes cohortes, en lien avec leurs attitudes envers la diversité et l’interventionnisme étatique, et surtout leur appui à la souveraineté.
Mots-clés :
- Parti québécois,
- vote,
- élection,
- générations,
- sondages d’opinion,
- système partisan
Abstract
Since 2007, partisan competition in Quebec has taken the form of a multiparty system, with four parties now represented in the National Assembly. Within this new context, our attention is focused on the Parti Québécois (PQ), which celebrated its fiftieth anniversary in the 2018 election year, but at the same time experienced a major electoral setback, marking another stage of the ongoing erosion of its electoral support in the Quebec population. In this study, we examine the generational dynamics of electoral behaviour in Quebec in an attempt to identify some of the reasons for the decline of the PQ. Data from five post-election surveys (2007-2018) show that the sources of the PQ’s decline are to be found among the youngest cohorts and are linked to their attitudes toward diversity and state interventionism, and especially their support for sovereignty.
Keywords:
- Parti Québécois,
- vote,
- election,
- generations,
- opinion surveys,
- party system
Article body
L’année électorale de 2018 marquait le cinquantième anniversaire du Parti québécois (PQ). Contrairement à ce qu’affirmait l’un des fondateurs du parti, René Lévesque, qu’un parti politique ne devrait pas durer plus d’une génération[1], le Parti québécois a perduré deux générations. Mais cinquante ans après sa création, dans un contexte politique de plus en plus divisé où plusieurs partis politiques courtisent maintenant l’électorat québécois, quelle est la place du PQ dans l’espace politique du Québec ? Alors que le PQ a longtemps été, avec le Parti libéral du Québec (PLQ), un des piliers du système partisan québécois, sa pertinence et sa pérennité semblent aujourd’hui questionnées (Lagacé, 2018 ; Rettino-Parazelli, 2018 ; Robitaille, 2018). En effet, le vote péquiste s’effrite d’année en année, notamment chez la nouvelle génération (Mahéo et Bélanger, 2018 ; Daoust et Jabbour, 2020).
Comme nous l’avons fait dans un article que nous avons publié en 2018 (« Is the Parti Québécois Bound to Disappear ? »), nous tentons ici de mieux cerner certaines des causes pouvant expliquer le recul du PQ dans l’électorat, mais nous poussons plus loin la compréhension avec une analyse portant sur les cinq dernières élections, couvrant la dernière décennie de politique québécoise. Nous avançons que l’analyse longitudinale des dynamiques générationnelles du comportement électoral des Québécois peut fournir des éléments pour mieux comprendre ce phénomène. Dans un contexte de déclin de la participation électorale, de l’attachement aux partis et de la saillance de l’enjeu de la souveraineté – en particulier chez les plus jeunes cohortes d’âge –, nous cherchons à mieux comprendre les facteurs qui ont la plus grande influence sur la façon dont les différentes cohortes votent. Quel rôle jouent les clivages idéologiques dans l’appui des différentes cohortes d’électeurs au PQ ? Et est-ce qu’un enjeu important tel que la diversité constitue une motivation à soutenir le PQ pour toutes les cohortes d’âge ?
Nous utilisons les données de cinq enquêtes postélectorales au Québec (de 2007 à 2018) dans le but d’étudier plus précisément comment les différences intergénérationnelles sur le plan du choix de vote en faveur du PQ ont pu évoluer au cours de cette période et quels facteurs ont particulièrement affecté le comportement électoral de chaque cohorte. Les résultats montrent qu’une source claire du déclin du Parti québécois parmi les plus jeunes cohortes d’âge se trouve du côté de l’appui à la souveraineté du Québec, qui est plus faible parmi ces cohortes que ce que l’on observe chez les cohortes plus âgées. D’autres différences intergénérationnelles émergent aussi en ce qui a trait à l’interventionnisme étatique et à l’attitude vis-à-vis la diversité. Ces facteurs semblent à certains moments pousser ceux parmi les plus jeunes qui sont moins favorables à l’interventionnisme et qui sont davantage pro-diversité à appuyer un parti autre que le PQ. Pris ensemble, ces résultats illustrent l’impact du système multipartite et des enjeux dominants des dernières années sur la socialisation politique des plus jeunes cohortes d’électeurs québécois.
Le contexte partisan de 2007 à 2018 : un système multipartite dans la durée
Selon plusieurs observateurs politiques, « le phénomène partisan le plus incontestable [de la période actuelle au Québec] est la chute du bipartisme » (Guay et Gaudreau, 2018 : 428). En effet, alors que le PQ et le PLQ dominaient l’échiquier politique québécois depuis les années 1970, les années 2000 ont vu apparaître et monter en force plusieurs nouvelles formations politiques. Dans ce système multipartite, l’Action démocratique du Québec (ADQ) occupe la droite de l’espace politique, et laissera la place en 2012 à la Coalition avenir Québec (CAQ) ; alors que l’Union des forces progressistes et Option citoyenne occupent la gauche de l’espace politique, et fusionneront en 2006 pour donner naissance à Québec solidaire (QS). Contrairement à ce qu’on aurait pu s’attendre il y a une dizaine d’années (Pelletier, 2010), on voit à travers l’évolution de la proportion des votes pour chaque parti (voir figure 1) que ces nouvelles formations politiques ont réussi à se maintenir et même à progresser dans le vote populaire au fil des cinq dernières élections, aux dépens des deux plus vieux partis.
Le parti le plus ancien de l’espace politique québécois – le Parti libéral du Québec, formé en 1867 – continue tout de même d’occuper une place importante dans cet espace. Malgré des résultats en dents de scie, comme tend à le montrer la figure 1, le PLQ s’est maintenu au-dessus des 30 à 40 % des voix exprimées lors des scrutins. À la suite du scrutin de 2018, le parti obtient le statut d’opposition officielle malgré un de ses pires résultats électoraux (un peu moins de 25 % du vote), résultat qui pourrait être annonciateur de difficultés à venir pour ce parti qui a, jusqu’ici, toujours su rebondir à la suite de ses revers électoraux.
Quand on se tourne vers l’autre formation qui dominait l’espace politique depuis les années 1970, le Parti québécois, on note sur la même figure une tout autre tendance au cours des cinq dernières élections. En effet, malgré une légère remontée en 2008, le PQ connaît une baisse plutôt continue dans le soutien électoral exprimé par la population québécoise. Nous avions d’ailleurs noté antérieurement (Mahéo et Bélanger, 2018) que ce déclin général des voix exprimées en faveur du PQ a débuté dès les années 1980, ce qui nous avait amené à poser la question de la survie du parti dans un contexte où plusieurs nouveaux partis augmentent l’offre politique présentée aux électeurs.
Pour sa part, l’ADQ crée la surprise en 2007 en devançant le Parti québécois dans le vote populaire et en devenant l’opposition officielle à l’Assemblée nationale. Porté par la crise des accommodements raisonnables, le parti obtient près de 31 % des votes exprimés. Cette élection met fin à une longue période d’alternance entre le PLQ et le PQ, qui s’échangeaient jusqu’alors le statut de parti au pouvoir et d’opposition officielle. Bien que les résultats de l’ADQ à l’élection de 2008 soient décevants et ramènent le parti sous la barre des 20 % des voix exprimées, le courant de droite remonte dans le vote populaire dès 2012 par l’intermédiaire d’un nouveau véhicule : la Coalition avenir Québec. Ce parti, créé en 2011 et fusionné ensuite avec l’ADQ, obtient 27 % des votes dès sa première participation électorale. L’élection subséquente, en 2014, témoigne d’un léger recul du parti dans les voix exprimées, mais l’élection d’octobre 2018 voit la CAQ se démarquer, alors que le parti obtient 37 % du vote et parvient à former un gouvernement majoritaire. Bien que l’ADQ (créée en 1994) ait mis du temps à s’imposer sur l’échiquier politique québécois, sa percée de 2007 et la montée progressive de la CAQ – jusqu’à son accession au pouvoir en 2018 – tendent à refléter une certaine permanence de cette mouvance de droite dans l’espace politique québécois (Boily, 2018).
Le quatrième acteur du système multipartite actuel est Québec solidaire. Cette formation affiche des résultats électoraux plus modestes que les trois autres partis, obtenant moins de 10 % des votes au cours de ses quatre premières participations aux élections. Malgré tout, QS vit une lente mais nette progression, faisant des gains à chaque nouveau scrutin. Cette tendance générale à la hausse se concrétise en 2018 par un soutien populaire presque égal à celui du PQ (16 % des votes pour QS contre 17 % pour le PQ), un nombre de députés présents à l’Assemblée nationale qui a triplé depuis la précédente élection (avec 10 députés, le même nombre que le PQ), et l’accession au statut de groupe parlementaire à l’Assemblée nationale.
La figure 1 permet d’apprécier l’évolution récente des principaux acteurs du système partisan multipartite au Québec. Alors que l’on voit le soutien aux deux vieux partis s’effriter (d’une manière plus drastique pour le PQ que pour le PLQ), on constate que les nouvelles formations se taillent peu à peu une place importante sur l’échiquier politique (notamment du côté de la CAQ). Dans un contexte où l’on se pose la question de la durabilité d’un système multipartite au Québec et de la potentielle sortie d’un ou plusieurs acteurs de ce système (Bélanger et Nadeau, 2009), le déclin continu du PQ et le glissement de ce pilier de l’ancien système bipartite à la troisième place du vote populaire (nez à nez avec QS) témoignent de la tendance la plus frappante. Dans la section suivante, nous cherchons à cerner les causes de ce déclin, afin de nourrir notre réflexion sur l’avenir partisan au Québec.
L’appui des générations au Parti québécois : évolution dans le temps
Le contexte institutionnel
Selon la « loi de Duverger » (voir Duverger, 1951), le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour tend à favoriser un système à deux partis. Le Québec respectait cette logique jusqu’aux élections de 2007, année où trois partis politiques obtiennent une proportion de votes relativement similaire et font élire des députés. Lors de l’élection suivante, ce sont quatre partis qui sont représentés à l’Assemblée nationale. Ainsi, après plus de cent ans de bipartisme, un système partisan multipartite émerge et semble se fixer depuis près de dix ans (Godbout, 2013). Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer la multiplication de l’offre politique, notamment la diversification des identités et des valeurs sociétales, et le changement dans l’importance de l’enjeu de la souveraineté et la saillance des clivages sociétaux (Grégoire et al., 2016 ; Guay et Gaudreau, 2018). En raison de la longue histoire de bipartisme au Québec, plusieurs se demandent si le multipartisme peut perdurer au Québec, ou si l’on observera un retour au bipartisme à court, moyen ou long terme (Bélanger et Nadeau, 2009 ; Godbout, 2013). Ce type de questionnement implique, de facto, de se pencher sur le potentiel de chacun des partis à se maintenir ou progresser dans le système partisan, ou au contraire à en déchoir. Dans ce contexte, les données empiriques sur la tendance constante au déclin électoral du PQ, conjointement à l’argument théorique de Vincent Lemieux (2011) – présentant le PQ comme un parti générationnel possiblement voué à décliner au bout de quelques dizaines d’années –, nous poussent ici à porter notre attention sur le cas du Parti québécois.
Le Parti québécois : un parti générationnel
Lemieux (2011) a avancé l’idée que le Parti québécois est un parti générationnel. Ce parti a émergé dans les années 1960 et 1970, en réponse aux problèmes et aux aspirations d’une génération, celle des baby-boomers[2]. Les données empiriques confirment en effet que le soutien électoral au PQ était à son niveau le plus élevé chez les jeunes baby-boomers, expliquant le succès du parti dans les années 1970 (Blais et Nadeau, 1984). Selon Lemieux (2011), le cycle de vie d’un parti générationnel peut durer de trente à quarante ans : le parti générationnel émerge avec une nouvelle génération, acquiert ensuite une importance politique en même temps que cette génération gagne en maturité, et finit par décliner alors que la génération qui l’a porté prend de l’âge. Notre étude déjà citée (Mahéo et Bélanger, 2018) sur les différences générationnelles d’attitudes et de comportements électoraux lors de l’élection québécoise de 2014 tend à soutenir l’argument de Lemieux. Cette année-là, les baby-boomers présentaient des différences de valeurs et d’opinion sur les enjeux importants de la campagne, ce qui s’est traduit par une différence marquée entre l’appui électoral au PQ : élevé chez les baby-boomers et nettement plus faible chez les millénariaux.
La thèse de Lemieux se fonde sur deux propositions. Premièrement, le parti générationnel a répondu et continue de répondre aux attentes et aux aspirations d’une génération principalement, ce qui explique la difficulté du parti à recruter de nouveaux membres et électeurs parmi les plus jeunes générations pour qui la priorité va souvent à d’autres projets politiques. Deuxièmement, le processus de remplacement générationnel – qui voit les nouvelles générations occuper plus de place dans la société et la politique, alors que les plus anciennes se retirent – explique la difficulté du parti à se maintenir dans l’espace politique.
Suivant cette logique, nous avançons que le déclin électoral du PQ reflète en partie un processus de changement intergénérationnel, et notre étude empirique se porte sur trois questions de recherche. Est-ce que les plus jeunes générations (génération X et millénariaux) appuient systématiquement moins le PQ que les baby-boomers ? Est-ce que ces plus jeunes générations ont des attitudes politiques distinctes de celles des baby-boomers ? Et ces attitudes politiques ont-elles un poids différent sur le choix électoral d’une génération à l’autre, contribuant aussi à expliquer les différences d’appui au PQ entre les générations ?
Trois générations issues de trois époques
Le développement des attitudes et des représentations politiques commence tôt dans la vie, dès l’enfance. Alors que les individus continuent à évoluer tout au long de la vie, les attitudes politiques tendent à se cristalliser pendant la jeunesse et à rester plutôt stables dans l’âge adulte (Mannheim, 1952 ; Jennings, 2002 ; Jennings et al., 2009). Le processus de socialisation politique assure autant une continuité qu’un changement dans la société (van der Brug et Franklin, 2017). D’un côté, les agents de socialisation (parents et éducateurs) amènent la nouvelle génération à apprendre la culture politique et à intérioriser les normes sociétales, ce qui mène à la reproduction de la culture et à une certaine stabilité sociétale. D’un autre côté, les individus nés à la même époque sont le produit du contexte sociopolitique dans lequel ils sont nés et qui a marqué leurs années formatrices, ce qui les prédispose à développer des attitudes politiques distinctes de celles des autres cohortes d’âge. Lors d’épisodes de changement sociopolitique rapide et intense, les individus sont plus susceptibles de développer une conscience commune et des orientations politiques particulièrement distinctes, ce qui donne naissance à une génération politique (Mannheim, 1952).
Au Québec, il y a essentiellement trois cohortes d’âge qui participent aux élections qui nous intéressent ici (de 2007 à 2018). Il s’agit de trois générations qui ont grandi à des époques très différentes sur les plans social, politique et économique (Gélineau, 2015 ; voir aussi Strauss et Howe, 1991). La génération des baby-boomers a été socialisée dans un contexte d’inégalités économiques et linguistiques et a connu une période de modernisation sociale, politique et économique rapide au cours de la Révolution tranquille (Guay, 1997). Le développement économique et la croissance des années 1960 ont éloigné cette génération des objectifs matérialistes au profit de considérations post-matérialistes (Martin, 1994 ; Pinard et al., 1997 ; Piroth, 2004 ; Inglehart, 2008). Ainsi, le PQ a pu tirer profit de l’appétit pour davantage de réformes sociales et politiques ainsi que du mécontentement suscité par la place du Québec au sein de la fédération canadienne. Le parti a proposé le projet de souveraineté du Québec comme moyen de promouvoir le développement économique, politique et social du Québec (McRoberts et Posgate, 1983 ; Lemieux, 2011). Ainsi, avec l’avènement de la génération des baby-boomers dans les années 1970, la question de la souveraineté est devenue un clivage politique important dans la politique électorale québécoise.
La génération X a grandi à une époque où les inégalités entre anglophones et francophones ont progressivement diminué et où le rythme des réformes s’est ralenti. L’appui au projet de souveraineté n’a cessé d’augmenter dans les années 1970, mais a été plus nuancé dans les années 1980 et 1990. En fait, ces deux décennies ont été marquées par deux référendums et plusieurs crises constitutionnelles, qui ont également conduit à une augmentation du soutien à la souveraineté du Québec, suivies de la démobilisation et de la dépolitisation de cette question – bien que les inégalités économiques avec les anglophones aient subsisté en partie (Pinard et al., 1997 ; Mendelsohn et al., 2007).
Enfin, les millénariaux entrent dans l’âge adulte durant les années 1990 et 2000. Alors que cette période est marquée par des gains dans la protection de la langue et un bien-être économique accru, les griefs économiques, culturels et linguistiques deviennent moins saillants pour cette génération (Pinard et al., 1997). De plus, cette génération est trop jeune à la fin des années 1980 et au début des années 1990 pour être marquée par les importantes discussions constitutionnelles entourant les accords du lac Meech et de Charlottetown. Cette génération est socialisée à la politique québécoise après le référendum de 1995 sur la souveraineté du Québec, alors que les débats constitutionnels suscitent moins d’intérêt et que le mouvement souverainiste entre dans une phase de démobilisation (Mendelsohn et al., 2007). Ainsi, bien que les jeunes nés au début des années 1980 montrent encore un soutien relativement élevé pour la souveraineté (Vallée-Dubois et al., 2020), ce soutien se définit plus en lien avec la « souveraineté symbolique » (axée sur la culture distincte du Québec) qu’avec une « souveraineté réelle » (liée à un projet politique de pays) (Guay, 2004). Cette période reflète ainsi un retour à la « politique normale », avec une importance accrue du clivage socioéconomique gauche–droite et une dépolitisation relative du clivage souveraineté–fédéralisme (Mendelsohn et al., 2007 ; Grégoire et al., 2016).
Facteurs expliquant le comportement électoral au Québec : cinq élections de 2007 à 2018
Hypothèses
Au Québec, deux dimensions principales structurent la politique électorale : la question de l’interventionnisme étatique et la question nationale (Hudon, 1976 ; Bélanger et Nadeau, 2009). Depuis les années 1970, les positions sur l’axe souveraineté–fédéralisme ont été un facteur déterminant du comportement électoral (Bélanger et al., 2018). Mais, selon la période, les positions sur l’axe souveraineté–fédéralisme ont parfois été plus ou moins importantes par rapport aux positions sur l’axe de l’interventionnisme pour expliquer le choix du vote (Nadeau et al., 1995 ; Guay et Gaudreau, 2018). Si les positions sur ces deux axes influent fortement sur le comportement électoral des Québécois, les enjeux contemporains, qui occupent une place centrale dans les campagnes électorales, comptent également pour expliquer le choix du vote, et plus encore lorsque l’axe souveraineté–fédéralisme est moins saillant (Bélanger et Nadeau, 2009 ; Nadeau et Bélanger, 2013). Par conséquent, pour examiner et comparer le comportement électoral des trois grandes générations lors des élections provinciales de 2007 à 2018, nous nous intéresserons à la position des individus sur la question de la souveraineté, leur position vis-à-vis l’interventionnisme de l’État, de même que leur position sur la diversité qui a été une question centrale lors de plusieurs de ces élections (Bélanger et Nadeau, 2009 ; Tessier et Montigny, 2016 ; Bélanger et al., 2018 ; Guay et Gaudreau, 2018 ; Mahéo et Bélanger, 2018 ; Nadeau, 2019).
Souveraineté. Bien que l’appui au projet de souveraineté soit encore relativement élevé dans toutes les générations (Tanguay, 2007), il existe un désengagement général vis-à-vis la question nationale qui est plus prononcé chez les plus jeunes Québécois (Guay, 2004 ; Mendelsohn et al., 2007 ; Mahéo et Bélanger, 2018). Jean-Herman Guay (2004) affirme que la « souveraineté réelle » n’est plus une préoccupation majeure, en particulier pour la jeune génération qui donne la priorité aux questions de développement durable, d’environnement et de diversité culturelle. En ce sens, la raison d’être du PQ pourrait ne pas être en phase avec les priorités des millénariaux. Nous nous attendons donc à ce que les plus jeunes cohortes de citoyens offrent un plus faible soutien au projet de la souveraineté que les baby-boomers (hypothèse 1a). De plus, le fait que la souveraineté politique n’est pas une priorité et n’est donc pas un enjeu saillant chez les plus jeunes cohortes expliquerait – en partie – leur plus faible appui électoral au PQ, comparativement aux baby-boomers (hypothèse 1b).
Interventionnisme étatique. Le retour plus récent à la « politique normale » signifie que les positions sur la dimension socioéconomique gauche–droite deviennent plus importantes pour expliquer le comportement électoral au Québec. Les positions vis-à-vis l’interventionnisme de l’État sont généralement expliquées par une combinaison de l’effet de cycle de vie (c’est-à-dire qu’en vieillissant les gens tendent à devenir plus conservateurs) et d’un effet générationnel (que, dépendamment des conditions politiques et économiques ayant prévalu durant leur jeunesse, certaines cohortes seront portées à être plus ou moins conservatrices dès le départ) (Crittenden, 1962 ; Tilley, 2002 ; Goerres, 2008 ; Peterson et al., 2020). Les baby-boomers, ayant grandi dans une ère de fort développement de l’État-providence, tendent à donner de l’importance à l’intervention étatique et somme toute à pencher plus à gauche, alors que les deux plus récentes générations se distinguent moins à ce niveau (Clark et Rempel, 1997 ; Rahn et Transue, 1998 ; Inglehart, 2008 ; Twenge et Kasser, 2013). Au final, si l’interprétation générationnelle du phénomène prévaut, nous nous attendons à ce que les plus jeunes citoyens présentent un positionnement politique qui soit moins à gauche que celui des baby-boomers (hypothèse 2a).
Bien que le PQ ait émergé en tant que parti socio-démocratique promouvant l’intervention de l’État et des politiques égalitaires, la position du parti sur l’axe gauche–droite a fluctué de manière importante au cours des dernières décennies (Guay, 2004). Dans les années 1990, les divergences entre le PLQ et le PQ sont devenues moins évidentes que dans les années 1970, à certains égards, notamment sur le plan économique, lorsque le PQ s’est focalisé sur l’atteinte du « déficit zéro » (Pétry, 2013). La fin des années 1990, où le gouvernement péquiste atteint le déficit zéro en désinvestissant massivement des services publics et parapublics, marque la période de formation à la politique des millénariaux. Le début des années 2000 est aussi marqué par la montée de mouvements et partis politiques clairement de gauche (comme Québec solidaire). Ainsi, les changements dans la position du PQ (notamment vers la droite), combinés à la présence de partis politiques de gauche claire, ont fort probablement participé à rendre le positionnement du PQ ambigu aux yeux de certains citoyens (Dufour et Traisnel, 2014), en particulier les plus jeunes. Avec un déclin de l’attachement partisan chez les jeunes, et avec un probable scepticisme de la jeune génération face aux positions du PQ, l’interventionnisme étatique devrait jouer un rôle moins important pour les jeunes dans leur choix d’appuyer le PQ, comparativement aux citoyens plus âgés (hypothèse 2b). En effet, les plus vieilles générations comme les baby-boomers ont pu développer un plus fort attachement partisan, notamment à l’endroit du PQ durant une période où celui-ci défendait un positionnement social-démocrate clair (Mahéo et Bélanger, 2018), et auront moins tendance que les plus jeunes à déserter ce parti, même si celui-ci oscille entre des positions dites de gauche ou de droite.
Diversité. Au cours des dernières élections au Québec, l’enjeu de la diversité a occupé une place importante dans les débats politiques. Il a été abordé dans les campagnes électorales sous différents angles et porté par différents partis politiques : le débat entourant les accommodements raisonnables, mis de l’avant par l’ADQ en 2007 ; le projet de Charte des valeurs du Québec, proposé par le PQ en 2014 ; et les quotas d’immigration, mis de l’avant par la CAQ en 2018 (Laxer et al., 2014 ; Tessier et Montigny, 2016 ; Guay et Gaudreau, 2018). L’enjeu de la diversité semble même en voie de devenir un facteur structurant du comportement électoral des Québécois (Bélanger et al., 2018 ; Nadeau, 2019). Étant donné que les jeunes générations sont plus hétérogènes sur le plan ethnoculturel et ont grandi dans un monde diversifié et globalisé, nous nous attendons à ce qu’elles soient plus ouvertes à la diversité et à l’immigration (Mendelsohn et al., 2007), et donc moins favorables à des projets comme la Charte et les quotas d’immigration, comparativement aux baby-boomers qui ont connu la transition vers une société laïque (Mahéo et Bélanger, 2018) (hypothèse 3a). De plus, dans un contexte où le PQ prend un virage identitaire et une ligne plus dure face aux communautés issues de l’immigration avec le projet de la Charte (Dufour et Traisnel, 2014 ; Laxer et Korteweg, 2016 ; Montigny, 2018), les plus jeunes cohortes tendraient moins à appuyer le PQ sur la base de cet enjeu lors des élections, comparativement aux baby-boomers (hypothèse 3b).
Les variables lourdes (celles liées aux valeurs et orientations idéologiques) sont plus importantes dans l’explication du comportement électoral des Québécois, comparativement aux facteurs de court terme (ceux liés aux enjeux contextuels) (Bélanger et Nadeau, 2009). Ainsi, nous nous attendons à ce que les résultats en lien avec la souveraineté et l’interventionnisme étatique soient plus marquants dans l’explication du déclin du PQ et d’un possible réalignement du système partisan québécois, que ce qui a trait à la diversité, bien que ce dernier enjeu paraisse offrir un potentiel fort de structuration du vote à long terme, au Québec (Bélanger et al., 2018 ; Nadeau, 2019) comme ailleurs (Kriesi et al., 2008 ; Martin, 2018 ; Norris et Inglehart, 2019 ; Ford et Jennings, 2020).
Méthodologie et données
L’approche la mieux indiquée pour étudier la propension des individus à voter pour le Parti québécois durant la période actuelle de système multipartite est de rassembler des données d’enquêtes électorales menées à l’occasion des cinq scrutins tenus au cours de cette période. Les enquêtes en question sont cinq sondages postélectoraux réalisés par la firme Léger Marketing entre 2007 et 2018. Ces cinq enquêtes sont ici rassemblées en une seule base de données qui peut être utilisée pour tester les hypothèses formulées plus haut. Les questions posées dans ces sondages n’étaient toutefois pas toujours les mêmes d’une élection à l’autre, si bien que les possibilités demeurent limitées quant à l’analyse longitudinale de ces données. Pour cette raison, le modèle multivarié du vote péquiste testé dans cette étude comprend six variables de contrôle de type sociodémographique (âge, genre, éducation, revenu, langue maternelle, région) ainsi qu’une variable mesurant le degré de cynisme politique du répondant et qui permet d’expliquer en partie le déclin des partis traditionnels, au Québec comme ailleurs (Bélanger, 2004 ; Bélanger et Nadeau, 2008). À ces contrôles, nous ajoutons les trois variables attitudinales qui nous intéressent plus précisément ici (souveraineté, interventionnisme, diversité).
La variable d’appui à la souveraineté est mesurée à l’aide d’énoncés demandant aux répondants comment ils voteraient dans un référendum portant sur l’indépendance du Québec (ou sur la souveraineté–partenariat dans les questionnaires de 2007 et de 2008). La variable mesurant la position des individus à propos de l’interventionnisme étatique est construite à partir d’une question qui a été posée à l’occasion de chacune des cinq enquêtes pour savoir jusqu’à quel point les répondants sont d’accord avec l’énoncé suivant : « Sans l’action du gouvernement, il y aurait beaucoup plus de pauvreté dans nos sociétés. » Quant à l’attitude des individus par rapport à la diversité, il n’existe malheureusement pas de question ayant été posée de manière identique (ni même quasi identique) à toutes les cinq élections. Nous nous rabattons donc sur une question qui a été incluse dans les trois derniers sondages (2012, 2014, 2018) pour savoir jusqu’à quel point les individus sont d’accord avec l’énoncé suivant : « Il y a trop d’immigrants au Québec » (voir l’annexe pour de plus amples détails concernant ces questions et le codage des réponses).
Nous divisons les répondants à ces cinq enquêtes par cohortes d’âge de dix ans. Comme il n’existe pas de réel consensus sur les années exactes pour définir les générations, et puisque la fameuse catégorisation américaine de William Strauss et Neil Howe (1991) peut ne pas s’appliquer parfaitement au cas québécois (ou à toute autre société d’ailleurs), nous croyons préférable d’adopter une position agnostique et d’utiliser simplement les décennies pour définir les cohortes (pour une approche similaire, voir Bartels et Jackman, 2014 ; Tilley et Evans, 2014 ; Vallée-Dubois et al., 2020). Cette division des cohortes présente également l’avantage de permettre à des tendances plus fines ou nuancées d’émerger dans nos analyses[3]. Les hypothèses 1a, 2a et 3a sont soumises à des tests de différence de moyennes. Pour nos analyses de régression multivariée visant à tester les hypothèses 1b, 2b et 3b, les trois variables attitudinales concernées sont mises en interaction avec des variables dichotomiques représentant chacune de ces cohortes, de même qu’avec des variables dichotomiques identifiant chacune des élections elles-mêmes afin de vérifier la stabilité dans le temps des différences intergénérationnelles (résultant ainsi en des interactions à trois variables). Le nombre total d’observations incluses dans l’analyse de régression est de 5419 individus (ce nombre est réduit à 3313 individus pour les analyses restreintes aux trois dernières élections).
Résultats
L’appui des générations au Parti québécois de 2007 à 2018
La figure 2 permet d’apprécier, en une image, l’évolution de l’appui électoral offert au Parti québécois par les différentes cohortes de citoyens au cours des cinq dernières élections, dans le contexte multipartite. On distingue deux périodes clés, démarquées par l’élection de 2012. Avant l’élection de 2012, l’appui électoral au PQ est le plus élevé chez les millénariaux (la cohorte née dans les années 1980) et chez les baby-boomers (les cohortes nées dans les années 1940 et 1950), se situant entre 30 et 45 % pour chacune de ces trois cohortes. Les cohortes de la génération X (années 1960 et 1970) votent pour le PQ en plus faible proportion, à hauteur de 25 à 40 %. L’élection de 2012 se déroule dans un contexte de crise sociale et de forte contestation du gouvernement libéral, et marque le retour du Parti québécois au pouvoir. On note ainsi en 2012 un appui relativement généralisé chez toutes les cohortes, allant de 35 à 45 % du vote pour chaque cohorte.
Après l’élection de 2012, on observe le même phénomène général que celui décrit dans la figure 1 : un net déclin de l’appui au PQ en 2014, qui s’intensifie en 2018. À l’élection de 2014, qui est marquée par les débats entourant le projet de Charte des valeurs québécoises mis de l’avant par le PQ, on note un schisme dans la population. D’un côté, les baby-boomers et une partie de la génération X tendent à maintenir un certain appui au PQ, entre 30 et 35 %. L’appui des cohortes des années 1940, 1950 et 1960 diminue, mais moins fortement que chez les cohortes les plus jeunes. En effet, à l’inverse des cohortes plus vieilles, l’appui au PQ des plus jeunes de la génération X et des millénariaux dégringole. Entre 2012 et 2014, la proportion des cohortes des décennies 1970, 1980 et 1990 qui votent pour le PQ baisse de 10 à 15 points de pourcentage en deçà des cohortes les plus vieilles, et seul un électeur sur cinq de ces cohortes vote pour le PQ en 2014. Finalement, à l’élection de 2018, l’affaissement de l’appui électoral pour le PQ se généralise, alors que le niveau d’appui des trois plus vieilles cohortes rejoint celui des trois plus jeunes. On constate, notamment, que l’appui de la cohorte des années 1950 baisse de près de 15 points de pourcentage, et que l’appui des plus jeunes de la cohorte de 1990 baisse encore de 10 points de pourcentage, alors que seul un jeune de 18 à 28 ans sur dix vote pour le PQ.
Le rôle de l’appui à la souveraineté
Nous nous attendions à ce que les individus des plus jeunes cohortes se montrent moins en faveur du projet de souveraineté du Québec que ceux des plus vieilles cohortes, en particulier les baby-boomers (H1a). La figure 3 montre que cette attente est partiellement confirmée : ce n’est que lors des deux élections les plus récentes que le niveau d’appui à la souveraineté est plus faible chez les plus jeunes. En effet, au début de la période, les individus nés durant les décennies 1980 et 1990 se montrent légèrement plus souverainistes que leurs aînés, mais cet appui au projet diminue par la suite pour se situer en deçà de ce qui peut être observé pour les plus vieilles cohortes. En général, la figure confirme la tendance de lent déclin de l’appui à la souveraineté chez toutes les cohortes au fil des années, mais indique également que ce déclin a été plus prononcé parmi les plus jeunes cohortes. Les tests de différence de moyennes (présentés en annexe) indiquent que, pour l’ensemble de la période à l’étude, la cohorte 1950 se distingue significativement (p <0,05) de toutes les autres cohortes, sauf celle des années 1980, par son appui plus grand envers la souveraineté.
Qu’en est-il de l’impact de l’appui à la souveraineté sur le choix de voter pour le Parti québécois durant cette même période ? Pour répondre à cette question, nous avons estimé un modèle de régression logistique prédisant le vote péquiste, pour toute la période à l’étude (2007-2018), à partir de variables de contrôle ainsi que des attitudes envers la souveraineté et l’interventionnisme étatique, ces deux dernières variables étant mises en interaction avec les cohortes et les années d’élection. Les résultats pour la variable de souveraineté sont illustrés à la figure 4 (les résultats de régression complets sont quant à eux présentés en annexe). Cette figure présente l’effet marginal moyen, calculé à partir de l’analyse de régression multivariée, associé à la variable d’appui à la souveraineté pour chaque cohorte et chaque élection (avec intervalles de confiance à 95 %)[4]. La valeur de l’effet marginal moyen varie toujours de -1 (effet négatif maximal) à +1 (effet positif maximal), la valeur de zéro indiquant une absence d’effet de la variable indépendante examinée. On y constate d’abord que l’appui à la souveraineté a un effet sur le vote péquiste qui est toujours statistiquement significatif et positif chez toutes les cohortes. Cet effet s’avère être un peu moins fort chez les deux cohortes de millénariaux (1980-1990) pour qui les intervalles de confiance s’approchent davantage du zéro. Ce résultat est certes conforme à l’hypothèse 1b, mais cette dernière n’est pas réellement confirmée puisque les intervalles de confiance ne permettent pas clairement de rejeter l’hypothèse nulle d’une absence de différence statistiquement significative entre les cohortes. Par ailleurs, on constate qu’à l’intérieur même des cohortes, l’effet de la souveraineté diminue légèrement dans le temps (c’est-à-dire d’une élection à l’autre), bien qu’encore une fois les intervalles de confiance incitent à la prudence dans cette conclusion. L’illustration la plus nette de ce phénomène s’observe chez la cohorte des années 1990. Ce constat d’ensemble va dans le sens des observations de Jean-François Daoust et Alexandra Jabbour (2020) faites pour l’ensemble de l’électorat québécois sur la même période. Cela paraît témoigner d’une certaine démobilisation (voire déception) des électeurs par rapport au Parti québécois lors des plus récents scrutins, alors que celui-ci avait décidé de ne pas promettre la tenue à court terme d’un référendum sur la souveraineté.
Le rôle du positionnement sur l’interventionnisme
La distribution des opinions des Québécois à propos de la nécessité d’une intervention de l’État pour combattre la pauvreté dans la société (figure 5) montre que les cohortes sont toutes favorables au rôle de l’État puisque les moyennes se situent toutes dans la partie supérieure de l’échelle de réponse. Cela dit, on constate dans la figure 5 que les cohortes de baby-boomers sont généralement les plus favorables à l’interventionnisme étatique pour combattre la pauvreté (et les résultats de tests de différence de moyennes le confirment), ce qui correspond au progressisme longtemps affiché par cette génération. Bien qu’elles soient en moyenne favorables à l’interventionnisme elles aussi, les plus jeunes cohortes s’avèrent néanmoins être parmi celles qui y sont les moins fortement favorables. Ces résultats appuient donc notre hypothèse de départ 2a et suggèrent qu’il n’y a pas que le phénomène de cycle de vie qui explique le développement des attitudes vis-à-vis l’interventionnisme étatique : les baby-boomers étaient plus à gauche au moment de leur arrivée sur la scène politique et le sont demeurés en vieillissant, tandis que les plus jeunes cohortes, et particulièrement les X, semblent afficher un progressisme moins affirmé que les baby-boomers.
Les résultats du modèle de régression multivariée indiquent que l’opinion concernant la gestion de la pauvreté par l’État n’est que faiblement associée à un vote pour le PQ durant les cinq derniers scrutins provinciaux (figure 6). Ce constat vaut pour à peu près toutes les cohortes et les élections, à deux exceptions près. D’abord, confirmant nos observations antérieures (Mahéo et Bélanger, 2018), il apparaît que le vote péquiste à l’élection de 2014 a été marqué par un certain clivage générationnel sur cette dimension socioéconomique. On y constate un écart significatif qui oppose la cohorte 1960 (individus de la génération X) à toutes les autres. À cette élection, le positionnement favorable des électeurs sur la question de la gestion de la pauvreté par l’État a amené les personnes nées dans les années 1960 à appuyer significativement le PQ. Ensuite, le même écart intergénérationnel s’observe à l’élection de 2018 où celles nées dans les années 1990 (la génération des millénariaux) se sont appuyées sur leur attitude vis-à-vis l’interventionnisme étatique pour définir leur choix d’appuyer le PQ plutôt qu’un autre parti. Il est à noter que, dans les deux cas, il s’agit d’un phénomène qui n’a pas nécessairement bénéficié au Parti québécois puisque ces deux cohortes d’électeurs étaient moins fortement favorables que les autres à l’intervention étatique, tel qu’on a pu l’observer à la figure 5. Cela dit, notre hypothèse 2b se trouve donc infirmée : l’interventionnisme étatique n’a pas joué un rôle moins important pour les plus jeunes cohortes dans leur choix d’appuyer le PQ, comparativement aux cohortes plus âgées. Cela semble même avoir été l’inverse à deux occasions particulières. Vu la distribution comparée des attitudes dans ces deux cas, ce phénomène a donc légèrement bénéficié à des partis autres que le PQ[5].
Le rôle de l’attitude face à la diversité
Tel qu’indiqué plus haut, le seul indicateur disponible dans nos enquêtes qui nous permette de mesurer sur la longue période l’opinion des Québécois à propos de la diversité est une question concernant le nombre d’immigrants présents au Québec, qui a été posée à trois reprises (2012, 2014, 2018). On observe très peu de différences notables entre les cohortes dans les réponses données à cette question. En effet, les données présentées à la figure 7 et les résultats de tests de différence de moyennes ne permettent pas de confirmer notre hypothèse 3a concernant l’écart générationnel sur cette dimension du débat politique. Les cohortes ne se distinguent pas clairement dans leurs opinions moyennes sur le nombre d’immigrants, sauf en 2018 où, de manière surprenante, les plus jeunes cohortes sont celles dont l’opinion est la moins favorable à l’immigration (les réponses à la question ont été codées de manière à ce que les valeurs hautes expriment un désaccord avec l’énoncé « Il y a trop d’immigrants au Québec »). Mais ces différences intergénérationnelles demeurent très peu marquées, du moins selon l’indicateur qui est employé ici.
La figure 8 illustre l’effet moyen de la variable immigration sur le vote péquiste au cours des trois derniers scrutins. Les résultats indiquent que plusieurs effets sont statistiquement différents de zéro. Quatre cohortes (1950, 1960, 1970 et 1980) ont vu leur choix électoral influencé négativement par la variable d’ouverture à la diversité au scrutin de 2014. La cohorte 1980 révèle aussi un effet négatif et significatif de cette variable pour l’élection de 2012. En somme, force est de constater que ce facteur a motivé le vote de chacune des trois générations, en particulier au moment de l’élection de 2014. Notre hypothèse 3b concernant un impact plus faible de l’ouverture à la diversité sur le vote en faveur du PQ parmi les plus jeunes cohortes n’est donc pas confirmée. La tendance générale illustrée suggère aussi une certaine évolution, à savoir un impact négatif de cette variable chez les cohortes 1980 et 1990 à chacune des trois élections examinées (laissant entendre que ceux parmi les millénariaux qui étaient ouverts à l’immigration ont préféré voter pour un parti autre que le PQ) et un effet moins négatif – parfois même positif – chez les autres cohortes ; mais les intervalles de confiance sont trop grands pour permettre de statuer définitivement à ce sujet. L’impact significatif trouvé pour la variable immigration à l’élection de 2014 est tout de même révélateur. Il suggère un possible désabusement des électeurs pro-diversité vis-à-vis du Parti québécois dans la foulée du débat qui a entouré le projet de Charte des valeurs québécoises.
Discussion et conclusion
Le cinquantième anniversaire du Parti québécois nous rappelle la longévité remarquable de cette formation politique. Dans l’histoire du Québec moderne, il n’y a que deux autres partis politiques – le Parti libéral du Québec et l’Union nationale – qui ont duré plus longtemps que le PQ. Cet anniversaire important offre aussi l’occasion de faire un bilan et de mieux comprendre les défis que le contexte politique actuel pose au PQ. Depuis 2007, la compétition partisane au Québec a pris la forme d’un système multipartite, avec quatre partis maintenant représentés à l’Assemblée nationale. Cela peut étonner étant donné qu’avec un système électoral uninominal à majorité simple, le Québec devrait normalement n’avoir que deux partis dominant l’espace politique. Cette situation peut porter à croire que certains partis actuels sont possiblement de trop dans l’espace politique québécois et pourraient, à terme, être amenés à quitter l’arène politique. Le PQ a célébré ses cinquante ans d’existence durant l’année électorale de 2018, mais a en même temps connu un important revers électoral à cette occasion, marquant une autre étape de l’érosion continue de son soutien électoral au sein de la population québécoise.
L’objectif de cet article était d’utiliser une approche empirique longitudinale qui tienne compte du remplacement générationnel afin de mieux faire ressortir les tendances à l’oeuvre derrière les appuis électoraux au Parti québécois dans le nouveau contexte de système multipartite. Un tel examen offre des pistes pertinentes pour évaluer les chances de maintien du PQ dans le contexte multipartite actuel de la politique québécoise. Les résultats de notre analyse révèlent un certain nombre de différences intergénérationnelles notables dans les appuis au PQ au cours des cinq derniers scrutins. Ces différences s’observent d’abord dans les deux grands clivages idéologiques qui sous-tendent le comportement électoral au Québec. Chez les plus jeunes cohortes, le vote en faveur du PQ a légèrement moins tendance à être influencé par l’appui à la souveraineté, comparativement aux cohortes de baby-boomers et des X ; mais, surtout, cet appui y est moins élevé, ce qui prive le Parti québécois d’une base d’appuis significative chez ces jeunes cohortes. Concernant l’interventionnisme étatique, on constate que les plus jeunes cohortes y sont un peu moins favorables, comparativement aux baby-boomers. Toutefois, certaines cohortes de la génération X et des millénariaux ont quand même motivé leur appui au PQ sur la base de cette dimension idéologique du débat politique, ce qui suggère que les oscillations du parti sur la question de l’interventionnisme n’ont pas affecté autant qu’on aurait pu le croire l’image de parti progressiste qui a longtemps été la sienne. Enfin, des différences intergénérationnelles ressortent aussi sur le plan d’un enjeu électoral central de la période récente, à savoir la question de la diversité. Les résultats laissent entrevoir un certain désabusement à l’endroit du PQ chez ceux, parmi les trois générations, qui étaient plus ouverts à la diversité au moment du scrutin de 2014. Il semble donc que le virage identitaire pris par le PQ au cours de la période à l’étude, et qui s’est manifesté de manière plus particulière lors de l’élection de 2014, a fait en sorte de redéfinir l’image du parti sur la question de l’immigration et de la diversité auprès des électeurs de tous âges, mais particulièrement des millénariaux.
En bref, du point de vue des motivations des diverses cohortes d’électeurs à appuyer le Parti québécois, un certain nombre de défis se posent pour ce parti. Il semble que les plus jeunes cohortes, socialisées dans un contexte où l’alternance bipartisane traditionnelle n’existe plus et où la question de la souveraineté du Québec ne se pose plus avec autant d’urgence qu’auparavant, ne soient pas parvenues à développer un intérêt pour le PQ qui soit aussi fort que ce fut le cas pour les plus vieilles cohortes. D’après certains de nos résultats, même le soutien habituel au PQ observé chez les baby-boomers, la génération qui a permis l’émergence du parti durant les années 1970, ne paraît plus aussi acquis que par le passé. D’autres partis ont été créés ces dernières années et ont multiplié l’offre politique, notamment à droite et à gauche du spectre idéologique. Le PQ n’est plus le seul parti à occuper le créneau progressiste (QS le revendique avec force depuis 2006). L’enjeu de la diversité paraît maintenant opposer deux pôles au sein de l’électorat francophone (CAQ versus QS). L’émergence de nouvelles « raisons fortes » (Gagné et Langlois, 2002) pour faire la souveraineté, ou bien de nouveaux « raisins de la colère » (Guay, 2004 ; voir aussi Mendelsohn, 2003), l’une ou l’autre pouvant faire suite à l’irruption de crises politiques importantes (Yale et Durand, 2011), pourrait relancer les aspirations souverainistes et, par là, relancer le soutien au PQ. Toutefois, d’autres partis aux tendances nationaliste (CAQ) et souverainiste (QS) pourraient devenir des véhicules de revendication tout aussi viables aux yeux des jeunes cohortes d’électeurs que ne l’est le Parti québécois pour défendre les intérêts du Québec. À moins de l’adoption d’une réforme du mode de scrutin qui apporterait davantage d’air frais aux compétiteurs actuels, il semble donc que le PQ soit condamné à une refonte significative à l’aube de son second demi-siècle d’existence.
Appendices
Annexe
a) Codage des variables de l’analyse
b) Tests de différence de moyennes (ANOVA)
Souveraineté
Pauvreté
Diversité
c) Analyse de régression multivariée (logistique avec interactions) pour 2007-2018
d) Analyse de régression multivariée (logistique avec interactions) pour 2012-2018
e) Figure 6 reproduite avec une échelle mesurant l’appui à l’interventionnisme étatique
Nous avons essayé de créer une échelle d’appui à l’interventionnisme en combinant l’item sur la pauvreté avec deux autres items en 2007 et 2008 (sur l’intervention du gouvernement pour protéger l’environnement et sur la place du privé en santé) et avec le positionnement sur une échelle « gauche-droite » en 2012, 2014 et 2018. Les tendances générales obtenues avec cette échelle dérogent assez peu de celles présentées à la figure 6, dans le texte, mais les effets significatifs observés ici sont différents et sont pour les élections de 2007 et 2008 qui, comme mentionné ci-dessus, combinent des questions différentes de celles des trois autres élections. Au final, nous jugeons préférable de privilégier l’emploi d’une question unique et répétée de manière identique dans chacun des cinq sondages analysés.
Notes biographiques
Éric Bélanger est professeur titulaire au Département de science politique de l’Université McGill. Il est aussi membre du Collège de nouveaux chercheurs et créateurs en art et en science de la Société royale du Canada. Ses recherches portent sur la politique québécoise et canadienne, les partis politiques, l’opinion publique et les comportements électoraux. Il a publié plus de 60 articles sur ces sujets dans plusieurs revues scientifiques, notamment Comparative Political Studies, Political Research Quarterly, Electoral Studies, Publius : The Journal of Federalism, European Journal of Political Research, West European Politics, Political Communication, Nations and Nationalism et Revue canadienne de science politique. Il a également coécrit huit livres, dont Le comportement électoral des Québécois (PUM, 2009), et codirigé deux ouvrages collectifs, dont Les Québécois aux urnes (PUM, 2013).
Valérie-Anne Mahéo est professeure adjointe au Département de science politique de l’Université Laval et chercheure invitée au Département de science politique de l’Université de Montréal. Ses recherches portent sur la socialisation politique, la participation citoyenne, les comportements électoraux, et la politique québécoise et canadienne. Par ailleurs, en collaboration avec des institutions publiques et des groupes de la société civile, elle réalise des expériences de terrain pour évaluer des campagnes d’information et de mobilisation publiques. Elle a publié sur ces sujets dans plusieurs revues scientifiques comme Political Communication, Revue canadienne de science politique et Policy & Internet.
Notes
-
[1]
« Tout parti naissant devrait à mon avis inscrire dans ses statuts une clause prévoyant qu’il disparaîtra au bout d’un certain temps. Une génération ? Guère davantage, ou sinon, peu importe les chirurgies plastiques qui prétendent lui refaire une beauté, ce ne sera plus un jour qu’une vieillerie encombrant le paysage politique et empêchant l’avenir de percer. » (Lévesque, 1986 : 290)
-
[2]
Habituellement, on considère que le groupe générationnel des baby-boomers est né entre 1945 et 1959, les individus de la génération X entre 1960 et 1979, et ceux de la génération Y, aussi appelés les millénariaux, sont nés entre 1980 et 1999 (voir entre autres Gélineau, 2015).
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[3]
À noter que les individus nés entre 1900 et 1939 ont été regroupés en une seule cohorte en raison de leur plus petit nombre. Bien que ces individus soient inclus dans les analyses, les résultats pour cette cohorte ne sont pas illustrés graphiquement ici.
-
[4]
L’effet marginal pour la cohorte 1990 à l’élection de 2014 n’apparaît pas dans cette figure car il ne peut être estimé en raison du manque de variation (le nombre d’observations pour cette combinaison cohorte–élection est trop faible) et parce que le modèle produit trop de probabilités de 0 ou 1 dans ce cas-là (ce qui gonfle de manière excessive l’effet moyen calculé).
-
[5]
Idéalement, le positionnement sur l’interventionnisme serait mesuré à l’aide d’une échelle combinant plusieurs items interreliés. Il n’est pas possible de le faire de manière systématique avec les cinq sondages utilisés ici. Nous présentons toutefois en annexe des résultats provenant d’analyses utilisant une échelle créée avec différents items, qui mènent à des conclusions sensiblement similaires.
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