Recensions

Le Québec brûle en enfer, de Dalie Giroux Montréal, M éditions, 2017, 136 p.[Record]

  • Julie Perreault

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  • Julie Perreault
    Institut d’études féministes et de genres, Université d’Ottawa
    jperrea2@uottawa.ca

Avec Le Québec brûle en enfer, livre court mais incisif, Dalie Giroux signe une oeuvre de pensée politique nécessaire dans le territoire mental qu’est le Québec d’aujourd’hui. Procédant à une auscultation fine et sans demi-mesure de quelques phénomènes culturels marquants et moins marquants des dix dernières années – les radios-poubelles, Hérouxville, la débâcle du Parti québécois, Ricardo inc., Guy Laliberté, Robert Lepage, la chasse aux oeufs, les luttes autochtones… –, les douze textes qui forment le livre font commerce avec une anthropologie d’en bas, une sorte de sociologie du linge sale qui refuse de laisser tranquilles les travers qu’on préférerait passer sous silence. « Mon métier, affirme l’auteure, consiste à me pencher de manière curieuse sur les choses laides et étranges de la vie collective. » (p. 11) Le livre, on le comprendra d’entrée de jeu, offre donc un portrait assez peu réjouissant du lieu dont il parle, le Québec contemporain. Assez curieusement néanmoins, sa franchise aimante nous fait grâce d’une lumière qui finit par faire du bien, une pause rafraîchissante et plutôt rare, quasi bouddhique, dans l’hystérie du temps présent. Sur le plan formel, l’ouvrage présente un collage de textes revus et corrigés par l’auteure, écrits de circonstances publiés ici et là entre 2007 et 2016, souvent élaborés à chaud, dont l’assemblage forme un chemin de parole renouvelé et conséquent. Composé de trois parties, « “Nous” et les autres », « Maîtres chez nous » et « On n’est pas des sauvages ! », le livre nous mène de la critique du langage de la souveraineté vers une invitation à habiter le monde autrement, une exigence de pensée qui passe ce faisant par une analyse des prisons mentales, structurelles et collectives qui balisent la route vers l’émancipation, carcans de la « nation », du capitalisme impérial et de l’appauvrissement du concept de « culture » associé au reste. Si le geste de parole campe résolument à gauche, il faudra toutefois se garder de le surinvestir (ou de le sous-estimer) en l’associant à un programme politique. Giroux, qui ne prétend parler au nom de personne, se montre d’ailleurs critique des mouvances revendicatrices de masse, qui ne peuvent (dys)fonctionner à ses yeux qu’à l’intérieur de l’appareil de souveraineté. Dans une visée plus modeste, mais non moins exigeante, elle nous invite plutôt à réinvestir des espaces de liberté tangibles, ciselés à même la texture matérielle du réel, sorte de déprise réfléchie qui consiste à se réapproprier (ensemble autant que possible) la « possibilité d’une participation existentielle à la production du monde » (« Indépendances », p. 117) face aux mensonges des libertés républicaines et marchandes qui forment la trame quotidienne de nos dépossessions individuelles et collectives. Mais encore faut-il apercevoir la teneur de ces mensonges, auxquels personne n’échappe. La première partie du livre s’attaque à la culture politique et médiatique de droite qui balaie le Québec depuis la fin des années 2000. Loin de mettre en demeure tout un chacun (mais ça viendra), Giroux s’en prend ici à l’irresponsabilité d’une certaine « élite parlante » : journalistes, politiciens, universitaires, qui, s’arrogeant le monopole de la prise de parole dans l’espace public (comme on s’arrogerait par ailleurs le monopole de la violence légitime), l’utilisent à des fins discutables. Le discours de droite qu’elle critique est xénophobe, carbure à la peur de l’autre, refuse la différence au nom de l’intérêt républicain, mais, surtout, il est coupable à ses yeux de profiter de la souffrance d’une certaine frange de la population, souffrance principalement économique, afin de satisfaire des intérêts médiatiques, politiques et économiques à courte vue (« ceci étant lié à …