Recensions

État-nation, tyrannie et droits humains : archéologie de l’ordre politique, de Heinz Weinmann, Montréal, Liber, 2017, 398 p.[Record]

  • Francis Moreault

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Quelles sont les origines intellectuelles qui ont contribué à l’essor, au développement de l’idée de tyrannie ou encore de la domination au sein des sociétés occidentales ? Telle est la question centrale et cruciale à laquelle Heinz Weinmann s’efforce de répondre dans un essai étoffé, riche et stimulant. Il s’agit, en quelque sorte, d’analyser le cheminement et les avatars de la part d’ombre contenue dans l’histoire de la pensée politique en Occident. Constitué de huit chapitres denses et profonds, subdivisé en deux grandes parties, la première portant sur le rapport entre la France et l’Allemagne et la seconde sur la dialectique entre les « Lumières et l’obscurantisme », État-nation, tyrannie et droits humains se veut, d’une part, une réflexion sur les relations tourmentées entre ces deux États européens, le premier représentant le triomphe de la souveraineté populaire et le second représentant, en revanche, l’empire écrasant la volonté du peuple et, d’autre part, une tentative de souligner néanmoins, dans la deuxième partie, les vertus politiques des Lumières allemandes. L’auteur examine, dans le premier chapitre, les tout premiers « monstres » antiques et constitutifs, dans la tradition politique occidentale, du despotisme. À ses yeux, on retrouve une première figure à l’origine de cette « archéologie de l’ordre politique » au sein de l’oeuvre d’Homère, dans l’affrontement entre Ulysse et le Cyclope (Polyphème) ; une seconde dans le combat entre Thésée et le Minotaure ; une troisième puisée à même le théâtre de Sophocle, Oedipe, « monstre-tyran » (p. 48) et pièce maîtresse des travaux de Freud ; une quatrième dans les dialogues de Platon, comme le Gorgias ou la République, dans lesquels le philosophe grec critique fortement la bête humaine qui sommeille en chacun de nous ; et une dernière qui se découple en plusieurs personnages, car l’auteur voit tout aussi bien dans les sophistes anciens (Polos et Calliclès) que les sophistes modernes (Machiavel et Nietzsche) « des rhéteurs démagogues populistes, facilitateurs de la tyrannie » (p. 57). Dénonçant la propension humaine à se créer des monstres imaginaires qui ne sont que les « avatars de ses propres angoisses », engendrés par « ses états bestiaux antérieurs » (p. 65), Weinmann estime, dans le second chapitre de son livre, que ce conflit intérieur se dégage également du sein de la querelle entre les Lumières françaises et le romantisme allemand ou encore entre l’Aufklärung et le conservatisme germain. On assiste ici à l’affrontement entre la pensée de Renan, père de la nation civique, et le philosophe allemand, Fichte, « élève de Machiavel, maître de Clausewitz » (p. 98). Le premier incarne, autrement dit, le penseur de l’autodétermination des nations, tandis que le second illustre « l’utopie de la nation originelle » (p. 85). Weinmann creuse, dans le troisième chapitre, les raisons pas tant historiques qu’idéelles pour lesquelles l’Allemagne s’est jetée, peu à peu, dans les bras de la barbarie qui s’est achevée par la chute de la République de Weimar et l’ascension du régime nazi. Écrasée par les armées napoléoniennes, dernier moment marquant de l’hégémonie française en Europe qui avait débuté avec le règne de Louis XIV, l’Allemagne s’est cherchée, au dire de l’auteur, une façon de renouer avec la fierté nationale, une manière de se laver de l’affront français, et elle l’a trouvée, malheureusement, en s’abreuvant de discours racistes puisés au sein même du nationalisme ethnique et s’appuyant sur une prétendue pureté de sang. Weinmann soutient, par la suite et procédant à un rebours temporel, dans le chapitre quatre, que la pensée de saint Augustin a grandement contribué à la genèse et au développement de la tyrannie en pourfendant la …