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Au lendemain des « Printemps arabes », le rôle de l’Union européenne dans la promotion de la démocratie dans la région a été remis en question. Quelle relation l’Union européenne (UE) entretenait-elle avec les régimes autoritaires de la région euro-méditerranéenne avant l’éclatement des protestations ? Qu’est-ce qui détermine ses pratiques en matière de promotion de la démocratie dans cette région ? Et pourquoi a-t-elle agi de manière différenciée au Maroc et en Tunisie ? Ces questions sont au coeur de l’ouvrage L’Union européenne et la promotion de la démocratie. Les pratiques au Maroc et en Tunisie de Leila Mouhib, une adaptation de sa thèse de doctorat.
Pour répondre à ces questions, l’auteure a choisi de centrer son analyse sur les processus de production et de mise en oeuvre de l’Instrument européen pour la démocratie et les droits de l’homme (IEDDH) au Maroc et en Tunisie de 2006 jusqu’à 2014. Le choix d’une analyse comparative entre ces deux pays est brièvement présenté dans l’introduction du livre (p. 14), mais il aurait dû être plus amplement développé étant donné les grandes divergences dans leur histoire socio-politique et le fonctionnement de leurs régimes politiques.
Selon Mouhib, la différenciation de l’action de l’Union européenne dans les deux cas résulte de conditions endogènes propres à son fonctionnement, puisqu’il s’agit d’une organisation caractérisée par une complexité institutionnelle avec, en son sein, une grande diversité de normes et de pratiques. Les diverses pratiques des agents et des groupes qui forment l’architecture institutionnelle de l’UE sont ainsi expliquées par leur conformité aux normes et aux intérêts qui sont perçus comme favorisant la protection de leur identité institutionnelle. Dès lors, l’examen de ces pratiques par le biais de l’analyse de documents et d’entretiens semi-dirigés permet au lecteur de mieux comprendre les diverses identités institutionnelles qui sont en jeu dans les politiques de promotion de l’UE concernant les deux pays et l’effet des identités démocratiques, diplomatiques et/ou bureaucratiques des différents groupes sur leurs pratiques.
À la suite d’une introduction dans laquelle la démarche de recherche est présentée de manière très méthodique, le premier chapitre commence par un tour d’horizon des grands débats au sein de la littérature sur les processus de démocratisation et la promotion de la démocratie avant de dévoiler les principaux outils conceptuels mobilisés dans la recherche, qui sont inspirés de la sociologie des organisations, dans l’objectif de mettre en lumière une conception de l’UE comme étant un espace de relations sociales traversé par des luttes et des enjeux de pouvoir (p. 39).
Le deuxième chapitre inscrit l’enjeu de la promotion de la démocratie par l’UE dans un contexte socio-historique marqué par la diffusion de la norme démocratique au début des années 1990 après la fin de la Guerre froide et du monde bipolaire (p. 60). Parmi la multiplicité des acteurs et des instruments des politiques de démocratisation qui émergent à cette époque, l’UE s’impose rapidement en tant qu’acteur clé et développe plusieurs instruments de démocratisation dans ses politiques extérieures (p. 70). Toutefois, Mouhib souligne que la promotion de la démocratie demeure un objectif de second plan dans les relations de l’UE avec les pays de la région euro-méditerranéenne (p. 78) où le dialogue démocratique est réduit à son minimum au profit de la modernisation économique de ces pays (p. 97-98).
Le troisième chapitre introduit les deux principaux groupes institutionnels au coeur des politiques de promotion de la démocratie de l’Union européenne : la Commission européenne et le Parlement européen. Les spécificités de chacun des groupes et sous-groupes impliqués dans la promotion de la démocratie au Maroc et en Tunisie par le biais de l’IEDDH y sont analysées de manière assez succincte et appuyées par des tableaux et des figures qui donnent quelques informations sur la composition de ces groupes et synthétisent leur évolution historique.
Les deux chapitres suivants constituent le coeur de l’analyse. Alors que le quatrième chapitre porte sur le processus de construction de l’IEDDH, le cinquième se concentre sur la mise en oeuvre de cet instrument de promotion de la démocratie au Maroc et en Tunisie. Dans le quatrième chapitre, Mouhib révèle les principaux points de tensions entre les groupes institutionnels à partir d’entretiens avec des agents impliqués dans le processus de rédaction des documents de stratégie de l’Instrument. Ces entretiens témoignent d’une préférence affichée pour les organisations non gouvernementales européennes en tant que bénéficiaires, et ce, au détriment des ONG locales (p. 148), et du rôle attribué de manière informelle aux délégations concernées dans le choix des pays bénéficiaires plutôt qu’aux priorités en matière de droits de l’homme et de démocratie (p. 149). Ces entretiens permettent également de souligner les tensions et les guerres de compétences entre les groupes institutionnels lors de la création du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), en 2010, en fonction des différentes conceptions de leurs rôles respectifs et de leur légitimité à intervenir dans le processus (p. 152-153).
Le cinquième chapitre sur la mise en oeuvre de l’IEDHH aborde quant à lui l’importance relative de la promotion de la démocratie au sein des différents groupes institutionnels. Les normes de la promotion de la démocratie se révèlent plus fortes au sein de certains groupes, notamment au sein du Parlement européen et de l’unité IEDDH/DevCo qui favorisent les activités de soutien au développement de la société civile (p. 170) avant les relations bilatérales des membres de l’UE (p. 176). Pour ce qui est des délégations de l’UE au Maroc et en Tunisie, elles mettent plutôt l’accent sur la complémentarité des projets de l’UE et des relations bilatérales avec ces pays et affichent une différente loyauté institutionnelle où le respect de la souveraineté nationale prime sur la promotion de la démocratie (p. 217-218).
Cet ouvrage s’adresse avant tout à un public universitaire et à des praticiens qui travaillent dans le domaine de la promotion de la démocratie. Il s’agit également d’une ressource intéressante pour toute personne qui souhaite mieux comprendre la complexité institutionnelle d’une telle organisation ou qui recherche une bonne revue de la littérature synthétique sur les débats en politique comparée et en relations internationales sur la promotion de la démocratie et les processus de démocratisation. Le style très clair et méthodique et la présence de nombreux tableaux et figures pour illustrer et résumer les propos favorisent grandement la compréhension et rendent l’ouvrage accessible aux lecteurs pour qui les débats et les concepts du domaine sont moins familiers. Si ce livre ne se démarque pas par sa grande originalité, sa principale force se situe dans la richesse des entretiens effectués avec des acteurs engagés dans le processus. Il aurait été intéressant que Leila Mouhib élabore davantage dans la conclusion de son ouvrage les implications plus larges qu’il est possible de tirer de ses résultats. Somme toute, L’Union européenne et la promotion de la démocratie représente une contribution intéressante à la littérature sur les initiatives de promotion de la démocratie dans le monde.