À l’heure des crises identitaires et de la tentation au retour à « l’unicité culturelle » proposée par des groupes nativistes, l’ouvrage Se dire arabe au Canada : un siècle d’histoire migratoire de Houda Asal met en lumière les rapports historiques qui lient le peuple arabe au territoire canadien. Dans la première partie, « Le temps des premiers pionniers 1882-1930 », l’auteure fait l’historiographie de l’immigration arabe en Amérique du Nord et au Canada. Sa recherche, dit-elle, vise à poser les jalons d’une documentation importante sur la présence arabe au Canada, une littérature jusque-là consacrée au contexte américain. En effet, la première littérature sérieuse sur le « vécu arabe » au Canada n’apparaît réellement qu’en 1981, avec La présence arabe au Canada de Baba Abu-Laban. Pour Asal, une des limites de cette littérature pionnière se trouve dans la difficulté des Anciens à se nommer sociologiquement comme « arabes », ou pas, devant la charge sociopolitique et symbolique de cette endodéfinition. Elle dit assumer l’usage du mot « arabe » dans sa recherche, tout en montrant le caractère hétérogène et dynamique de celui-ci. Théoriquement, son travail s’inscrit dans une démarche constructiviste des associations arabes pour « cerner les conditions sociohistoriques de production, en mettant en lumière l’interaction permanente entre auto et hétérodénomination » (p. 27). Cette immigration arabe au Canada vient majoritairement du Machrek après le démembrement de l’Empire ottoman. De 1867 à 1910, la population canadienne passe de 3,5 millions à 7 millions d’habitants. Contrairement aux lois migratoires des années 1869 interdisant surtout les immigrants considérés « malades », « malfaisants » ou « sans ressource », celles de 1885, de 1908 et de 1910 ont un caractère ethnique envers les Chinois et les émigrants de Machrek. À titre illustratif, L’Acte d’immigration de 1919 fait d’eux des « races indésirables ». Au début, ces migrants du Machrek étaient catégorisés comme « Turcs » puis, en 1911, comme « Syriens ». Au total, le recensement canadien de 1932 comptabilise 20 000 migrants arabo-syriens, comparativement à 200 000 aux États-Unis. Par ailleurs, l’auteure identifie l’année 1882 comme le début de l’immigration arabe au Canada. La principale activité de ces premiers migrants est le colportage, d’autant plus que les termes « Syrien » et « colporteur » sont alors interchangeables dans l’imaginaire collectif de la population canadienne. Toutefois, ils se spécialisent dans d’autres types de commerces. Ils réussissent leur intégration économique, malgré le racisme ordinaire, et sont marqués par une diversité de trajectoires sur le territoire canadien. La deuxième partie, « La période d’implantation 1930-1950 », commence par le regard du Canada sur le monde arabe. L’immigration arabe ne s’inscrit plus alors dans une démarche économiste, mais elle est permanente et revendicatrice de citoyenneté politique, remarque l’historienne du monde arabe. Toutefois, cette période est toujours marquée par des restrictions migratoires et un contexte mondial peu propice à des mouvements migratoires (la crise de Suez et la Seconde Guerre mondiale). Cette implantation se concrétise par une continuité générationnelle, un développement d’une élite arabe, une émergence de mouvements associatifs et, surtout, une implication des églises comme lien fédérateur de ces générations, notamment l’église Saint-Nicolas à Montréal. En effet, avant 1950, les groupes associatifs se définissaient comme « Syriens », de « culture arabe » et « chrétiens » (p. 75). En outre, l’implantation se fait par des publications journalistiques majoritairement anglophones où sont revendiquées leur appartenance à la citoyenneté politique canadienne et leur sympathie à la cause palestinienne. Le rôle des associations et des journaux arabes va être crucial dans la lutte contre les législations migratoires anti-asiatiques en vigueur de 1910 à 1950, qui visaient …
Se dire arabe au Canada : un siècle d’histoire migratoire, de Houda Asal, Montréal, QC, Presses de l’Université de Montréal, 2016, 282 p.[Record]
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Boni Guy-Roland Kadio
Département de sociologie, Université d’Ottawa
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