Recensions

Des illusions perdues ? Du compromis au consensus au Parlement européen et à la Chambre des représentants américaine, de Selma Bendjaballah, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2016, 172 p.[Record]

  • Michel-Philippe Robitaille

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L’ouvrage de Selma Bendjaballah, tiré d’une thèse soutenue au Centre d’études européennes de l’Institut d’études politiques de Paris, arrive à point. À l’heure où l’euroscepticisme et la méfiance à l’égard des institutions supranationales trouvent leur chemin jusqu’au sein des institutions universitaires, il convient de saluer un tel effort d’étudier empiriquement le fonctionnement des organes décisionnels de l’Union européenne. Cette étude permet d’évaluer concrètement et de façon nuancée le caractère plus ou moins démocratique de l’UE. Du point de vue de l’approche, ce livre s’inscrit dans le courant de l’étude des processus en politique comparée. Plus qu’une description de l’appareil institutionnel des entités étudiées, cette approche tente d’expliquer leur fonctionnement concret et la reproduction dans le temps des pratiques qui y ont cours. Bendjaballah s’intéresse spécifiquement au processus à travers lequel se forme le compromis parlementaire. Que signifie la prise de décision par consensus, c’est-à-dire la recherche de compromis permettant de dépasser le seuil de 50 % + 1 d’appuis à une décision, du point de vue démocratique ? Ce mode de décision témoigne-t-il d’un déficit démocratique ou du caractère fonctionnel des institutions représentatives ? La réponse à ces questions passe, selon l’auteure, par l’interrogation des motivations des parlementaires à chercher le compromis, et des lieux et des contextes où se négocie celui-ci. Si la recherche est motivée par des interrogations construites autour de la problématique européenne, l’auteure choisit une perspective comparée pour rendre compte du cas européen à la lumière des dynamiques ayant cours à la Chambre des représentants américaine. Bien que ses conclusions visent à éclairer le cas européen, elle n’entend pas pour autant traiter la problématique américaine comme un cas secondaire. Bendjaballah soutient que les élus des assemblées étudiées s’investissent dans le processus du compromis afin de saisir des possibilités d’avancement de leur carrière politique et de se plier aux impératifs qui leur sont imposés quant à la poursuite de celle-ci. À travers la distribution de postes au sein des commissions et des comités parlementaires, les partis contrôlent les possibilités d’avancement des élus. Ceux-ci sont donc incités à faire avancer les dossiers sur lesquels ils travaillent, ce qui requiert une ouverture au compromis, en vue de convaincre une majorité transpartisane d’appuyer un projet législatif. Le compromis n’est pas qu’une histoire d’opportunités pour les élus pour autant. Les parlementaires se trouvent parfois contraints de participer aux compromis sous peine de mettre un terme à leur carrière politique. Dans le cas européen, ce sont les partis qui imposent cette contrainte, alors qu’ils pourraient choisir ne pas renouveler l’inscription d’un élu sur la liste électorale au moment du scrutin. Aux États-Unis, l’électorat joue un rôle central dans la contrainte des parlementaires, qui se voient forcés de négocier l’inclusion de législation(s) portant sur les enjeux chers à leur électorat dans les projets adoptés, sans quoi ils risquent de perdre leur siège. Dans les deux assemblées, les lieux de la négociation transpartisane sont multiples, mais les commissions et les comités parlementaires sont centraux dans le processus. En raison de la spécialisation des élus qui y siègent et de la technicisation de la discussion, les parlementaires sont en mesure d’atténuer la polarisation partisane dans ces instances. Puis, cette expertise leur confère une légitimité pour inviter leurs collègues à appuyer le compromis législatif qui émerge de ces négociations en assemblée restreinte. Une fois posés sa problématique et son cadre théorique s’appuyant sur les enjeux relatifs à la carrière des élus, Bendjaballah réserve un chapitre à la dynamique des compromis réussis et un autre à l’échec de l’atteinte d’un consensus. D’après elle, les mêmes mécanismes liés à la poursuite d’objectifs carriéristes des élus permettent d’expliquer la …