Recensions

Time, Capitalism and Alienation. A Socio-historical Inquiry into the Making of Modern Time, de Jonathan Martineau, Leyde, Brill, 2015, 182 p.[Record]

  • Guillaume Durou

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Les études sur le temps connaissent ces dernières années un intérêt grandissant en sciences sociales, notamment avec les récents travaux de Hartmut Rosa et la revue Time & Society. Pourtant l’étude du temps n’est pas nouvelle. Des historiens comme Marc Bloch et Jacques Le Goff se sont intéressés à l’expérience du temps dans la société médiévale afin d’en déceler les manifestations diverses et leur incidence sur la vie quotidienne. Puis, en sociologie, la redécouverte du texte sur le temps social (Über die Zeit) écrit en 1939 par Norbert Elias a ouvert la voie à des réflexions approfondies. Ainsi, la notion de « temps social » est tranquillement parvenue à nous et son usage pour comprendre notre modernité est loin d’être épuisé. C’est dans cette veine que Jonathan Martineau propose une réflexion originale sur l’expérience du temps dans les sociétés précapitalistes et capitalistes. Sans être spécifiquement une introduction à l’étude du temps, Time, Capitalism and Alienation offre une perspective d’ensemble de la littérature sur le sujet et dévoile du même coup toute la profondeur du champ d’études. En s’inspirant du marxisme politique afin de problématiser la transition au capitalisme et en intégrant les différentes théories du temps, passant par Jacques Le Goff et Moishe Postone, et reconnaissant les apports importants de Norbert Elias et de Barbara Adam, l’étude de Martineau s’inscrit dans une perspective novatrice. Elle conjugue théorie sociale et éléments historiques où le temps qu’il décortique n’est pas l’objet d’une histoire, mais d’une certaine manière de sa sociologie historique. Ainsi son étude, peut-on lire en introduction, s’intéresse au concept même de temps et au temps en tant qu’objet d’étude. L’ouvrage, donc, se découpe en trois chapitres qui abordent avec rigueur tous ces aspects : « Theory, Method, Time », « The Origin of Clock-Time and the Origin of Capitalism » et « Capitalist Social Time Relations ». Ces trois axes permettent de suivre en moins de deux cent pages l’évolution du temps comme objet d’étude, et plus généralement l’intime relation entre la transition au capitalisme et l’avènement d’un régime de temps inédit. L’argument du livre est le suivant : le temps constitue un phénomène social (p. 3). Ainsi la vie sociale produit le temps et elle se voit à son tour façonnée par lui. Considérer le temps à partir de cette perspective permet de mettre en relief les relations sociales à l’intérieur desquelles un certain type de temps est historiquement possible. Ces différentes configurations et pratiques du temps, Martineau les inclut dans ce qu’il nomme des « relations de temps social » (social time relations). Par conséquent, l’apparition d’un temps capitaliste donne à voir la nature des autres temps, marginalisés, dissimulés, à l’avantage d’un régime de temps dominant. L’auteur suit donc la voie ouverte par les conceptions sociales du temps où ce dernier n’est pas quelque chose de sensoriel, voire de transcendant, mais bien une condition subjective médiée par la société (p. 24). Pour ce faire, il s’inspire des études d’Elias et d’Adam. Pour le premier, le changement historique repose sur la succession socialement normalisée du temps et, conséquemment, le temps comme concept réifié révèle son caractère fétichiste (p. 39-41). Pour Adam, le temps s’exprime dans ses multiples déclinaisons comme les temporalités, les tempi, le timing, etc. Ces composantes du temps, Adam les nomme timescape. Ce concept opératoire hiérarchise les expériences du temps et permet de comprendre la reproduction sociale de la propriété et du pouvoir (p. 45). Après avoir présenté les penseurs contemporains du temps, Martineau s’intéresse dans ses deux derniers chapitres à l’expérience du temps dans les sociétés précapitalistes et à l’évolution …