Abstracts
Résumé
Les élections partielles ont-elles les mêmes caractéristiques et suivent-elles les mêmes tendances que les élections générales ? Nous proposons une analyse du taux de participation et de la performance des petits partis lors des élections partielles québécoises depuis 1970. Nous examinons également la performance des députés élus lors de partielles aux élections générales subséquentes. Finalement, nous vérifions si les élections complémentaires constituent, comme plusieurs le pensent, des référendums sur le gouvernement. En bref, nous tentons de déterminer les dynamiques électorales propres aux élections partielles ainsi que leur importance dans la vie politique québécoise.
Mots-clés :
- élections partielles,
- taux de participation,
- démission,
- Québec
Abstract
Do by-elections have the same characteristics and follow the same tendencies that general elections do? We propose an analysis of the turnout and the performance of minor parties during Quebec’s by-elections since 1970. We also examine the performance of by-election elected incumbents in subsequent general elections. Finally, we verify if by-elections constitute, as many suggest, referendums on the government. In short, we try to determine the dynamics specific to by-elections as well as their importance in Quebec’s political life.
Keywords:
- by-elections,
- turnout,
- resignation,
- Quebec
Article body
Le 7 avril 2014, les Québécois élisaient les 125 députés qui allaient constituer la 41e législature de l’Assemblée nationale du Québec. Quatre mois plus tard, l’un d’entre eux quittait déjà son siège. Christian Dubé a été le premier démissionnaire d’une liste qui ne cesse de s’allonger. Par la suite, plusieurs députés l’ont en effet imité, démissionnant pour des raisons variées : retourner dans l’entreprise privée (Élaine Zakaïb, Robert Dutil), se concentrer sur la vie familiale (Marguerite Blais, Pierre Karl Péladeau), participer à la campagne électorale fédérale (Gérard Deltell). Le décès de Sylvie Roy en juin 2016 a pareillement créé une vacance involontaire et malheureuse à l’Assemblée. Au total, en moins de deux ans et demi, treize députés auront quitté leur siège, entraînant tout autant d’élections partielles. Notons qu’il s’agit d’un nombre déjà supérieur à la moyenne des législatures précédentes[2], et ce, bien que les actuels députés n’en soient qu’à mi-mandat.
Si les médias québécois accordent une certaine importance aux élections partielles, il en va différemment du côté de la communauté universitaire, qui s’est très peu penchée sur ces événements politiques. Ces derniers sont pourtant essentiels au fonctionnement de notre démocratie qui repose sur un système de représentation régionale, sans négliger que les élections partielles peuvent changer considérablement les rapports de force au Parlement, rendant les élections générales moins déterminantes qu’on pourrait le croire. En effet, au moins 10 % des députés auront été remplacés pendant la durée de la présente législature. Il est donc surprenant qu’avec tout l’intérêt porté aux élections générales, au Canada comme au Québec (voir par exemple Blais et al., 2002 ; Carty et Eagles, 2005 ; Bastien et al., 2013), les élections partielles demeurent peu étudiées. Nous n’avons recensé qu’une étude récente consacrée à ce sujet ; il s’agit de l’article publié par Peter Loewen et Frédérick Bastien en 2010 sur les élections partielles fédérales[3]. Ces deux chercheurs comparaient les élections partielles aux élections générales sur certains aspects fréquemment étudiés, comme le taux de participation et la performance des petits partis. Ils cherchaient également à vérifier la parenté des élections partielles au phénomène d’avantage électoral des députés (incumbency advantage) et à la popularité gouvernementale dans l’opinion publique. Notre objectif est donc de reproduire cette étude dans le contexte québécois afin de combler une lacune dans la littérature et de mieux comprendre ce phénomène présentement en expansion au Québec.
La réplication de l’étude de Loewen et Bastien nous permet d’identifier les caractéristiques et les tendances de nos élections partielles provinciales. Nous les situons également par rapport aux élections partielles canadiennes et aux élections générales québécoises. Nous limitons notre étude à une période similaire à celle de l’étude de Loewen et Bastien afin de rendre nos résultats plus aisément comparables. Ainsi, nous utilisons les résultats des élections complémentaires québécoises depuis 1970 pour tester les hypothèses de ces chercheurs dans un nouveau contexte. Dans les pages qui suivent, nous répondons aux questions suivantes :
La participation aux élections partielles est-elle similaire à celle aux élections générales ? Qu’est-ce qui cause la convergence ou la divergence entre les taux de participation aux élections partielles et générales ?
Les petits partis et les candidats indépendants récoltent-ils plus d’appuis lors des élections partielles que lors des élections générales ?
Les députés élus lors des élections partielles connaissent-ils un taux de réélection plus ou moins fort que ceux élus lors des élections générales précédentes ?
Les élections partielles sont-elles des référendums sur le gouvernement ? Autrement dit, les résultats des élections partielles reflètent-ils la popularité du gouvernement au moment du scrutin ?
Nous commençons notre contribution par une revue de la littérature portant sur les élections partielles et présentons nos hypothèses et données pour ensuite exposer nos résultats.
Revue de littérature
Comme nous l’avons mentionné en introduction, les recherches sur les élections partielles sont relativement limitées, autant en quantité qu’en variété. L’intérêt pour les élections partielles se réduit bien souvent à déterminer si elles sont représentatives de l’opinion publique nationale et si elles permettent de prédire les résultats électoraux à venir. Au Canada, Howard Scarrow (1961) a d’abord conclu qu’un gouvernement remportant des élections partielles pendant son mandat augmente ses chances d’être réélu aux élections générales suivantes. Barry Kay (1981) a par la suite corrigé le tir en suggérant que les partielles aident à prédire les résultats des prochaines élections dans les circonscriptions où elles ont lieu, mais qu’elles reflètent mal la performance des partis à plus grande échelle (région, province ou pays). On ne pourrait donc pas faire de prédictions fiables à l’échelle nationale à partir des élections partielles, celles-ci étant des événements politiques à portée locale uniquement. Louis Massicotte (1981 ; 1987) conclut plutôt que les élections complémentaires constituent un bon indicatif de l’opinion publique au moment où elles se déroulent, mais qu’elles ne contribuent pas à la prédiction des résultats électoraux à venir. Sur ce point, Loewen et Bastien (2010) soutiennent que les résultats des élections partielles canadiennes étaient effectivement liés aux intentions de vote de l’ensemble du pays entre 1963 et 1993. Pendant cette période, le Canada connaissait un système partisan assez stable, plus proche du bipartisme. La fragmentation partisane et régionale du système née de la débâcle du Parti progressiste-conservateur ne permet pas de maintenir cette conclusion après 1993. Aujourd’hui, ces chercheurs estiment que les élections partielles pourraient, au mieux, être représentatives de l’opinion d’une province ou d’une région. Notre recherche, qui se concentre uniquement sur le Québec, permettra d’explorer cette piste de recherche qu’ils avancent.
L’article de Loewen et Bastien (2010) est d’un intérêt particulier du fait va au-delà des questionnements habituels sur les élections complémentaires. Les auteurs incorporent des éléments d’étude fréquemment liés aux élections générales, soit la participation électorale, la performance des tiers partis et l’avantage électoral (incumbency effect). Nous passerons en revue leurs conclusions et, lorsque possible, les comparerons à celles d’autres chercheurs qui ont étudié les mêmes problématiques.
D’abord, Loewen et Bastien (2010) concluent que la participation électorale des Canadiens lors des élections partielles est inférieure à celle observée lors des élections générales, avec en moyenne 50,5 % contre 72,3 % pendant la période étudiée. Pippa Norris (1990) note qu’en Grande-Bretagne également la participation aux élections complémentaires est en moyenne inférieure de 14 points de pourcentage par rapport aux élections générales. Par ailleurs, les petits partis et les candidats indépendants canadiens performent mieux lors des élections partielles. Loewen et Bastien interprètent cet appui plus fort comme une manifestation de l’insatisfaction des citoyens envers les partis traditionnels.
Ces deux caractéristiques – diminution de la participation électorale et augmentation de l’appui aux tiers partis – pourraient faire des élections partielles des second-order elections. Ces élections retiennent effectivement moins l’attention des médias et des citoyens. En contrepartie, les élections générales ayant lieu au Canada, qu’elles soient fédérales ou provinciales, sont des élections de premier ordre (Cutler, 2010). La distinction entre les élections de premier et de second ordre est habituellement utilisée pour comparer des élections générales de différents niveaux (local, régional, national, Parlement européen), plutôt que pour comparer des élections générales et des élections complémentaires. Il est intéressant de noter que le Canada se distingue de plusieurs fédérations, car ses élections provinciales sont des élections de premier ordre (ibid.). Néanmoins, le concept d’élection de second ordre nous semble moins utile lorsque vient le temps de comprendre les dynamiques propres aux élections partielles.
Loewen et Bastien (2010) sont les seuls à comparer l’avantage électoral des députés élus lors des élections générales et ceux élus lors des élections partielles. Ils concluent que les députés élus à la Chambre des communes, peu importe le type d’élection, ont des chances similaires de réélection. Cette conclusion concorde avec la littérature argumentant que l’avantage électoral est lié aux partis politiques et non aux députés sortants. Le moment et le type d’élection du député cherchant à se faire réélire ainsi que la durée de son mandat n’ont pas d’influence sur ses chances de succès, puisque c’est davantage le parti qui détermine le vote des citoyens (Bélanger et Nadeau, 2009). Si, au contraire, le candidat avait un poids plus fort que le parti, nous observerions un décalage entre les députés élus lors des élections générales et ceux élus lors des partielles. D’une part, les députés élus lors des élections complémentaires pourraient connaître un taux de réélection plus faible que leurs collègues en poste depuis plus longtemps. Cela confirmerait la théorie selon laquelle ce sont l’expérience et le temps passé en fonction qui confèrent un avantage aux députés (Norris et al., 1992). D’autre part, les députés élus lors des partielles pourraient avoir un taux de réélection supérieur à leurs collègues expérimentés. Une telle observation appuierait la thèse du sophomore surge qui veut plutôt que ce soit la seconde réélection, peu importe la durée du mandat, qui confère un avantage aux politiciens (Gelman et King, 1990 ; Wood et Norton, 1992). Les députés élus lors des partielles en sont généralement à leur première réélection, alors que ce n’est pas le cas de tous les députés élus lors des élections générales. Ces deux explications reposent sur l’idée que c’est le candidat et non le parti dont il est membre qui bénéficie d’un avantage.
Finalement, plusieurs études réalisées au Canada comme ailleurs ont tenté de savoir si les élections partielles constituent un référendum sur le gouvernement. Dans son livre sur les élections partielles britanniques, Norris (1990) s’attarde longuement à cette question, ses fondements théoriques et son évaluation empirique. La thèse du référendum du gouvernement découle des théories du vote économique et du vote rétrospectif. En effet, au moment des élections partielles, les citoyens ont la possibilité de marquer leur accord ou leur désaccord avec les politiques – économiques ou autres – du gouvernement en place. Sauf dans de rares circonstances, les élections partielles ne modifieront pas le gouvernement en place comme peuvent le faire les élections générales. Elles reçoivent cependant suffisamment d’attention médiatique pour permettre aux citoyens d’envoyer un message au gouvernement, particulièrement pour marquer leur insatisfaction. Pour Norris (1990), la referendum thesis s’oppose à la campaign-specific thesis : alors que la première thèse situe les élections partielles dans le contexte plus large de l’opinion publique nationale, la seconde affirme le caractère local et spécifique de ces élections.
Pour opérationnaliser la thèse étudiée, il est important de comprendre que l’expression référendum sur le gouvernement réfère à deux idées. Premièrement, l’expression référendum indique ici que même si l’élection partielle est un événement politique local, il aurait une portée plus grande, car ses résultats seraient influencés par l’opinion de l’ensemble de la population ou représentatifs de celle-ci. Ainsi, pour qu’une élection partielle soit considérée comme un référendum sur le gouvernement, il faut qu’il existe une correspondance ou une corrélation entre les résultats de cette élection et l’opinion publique, souvent mesurée par les sondages d’intentions de vote. Deuxièmement, le référendum sur le gouvernement signifie que même si plusieurs partis se présentent aux élections, ceux-ci sont en fait répartis en deux catégories : le gouvernement et le reste. Les élections partielles sont souvent perçues comme des indicateurs d’approbation ou de désapprobation du gouvernement en cours de mandat, plutôt que comme une course électorale ordinaire où plusieurs partis rivalisent. On suppose ainsi une dichotomie dans les choix qui s’offrent aux électeurs : le statu quo, l’approbation et le parti gouvernemental d’un côté, le changement, la désapprobation et les partis d’opposition de l’autre. Cette seconde partie de l’expression référendum sur le gouvernement se vérifie en analysant spécifiquement la performance du parti gouvernemental lors des élections partielles étudiées.
Suivant les critères qui viennent d’être expliqués, plusieurs études concluent que les élections partielles constituent des référendums sur le gouvernement (Mughan, 1986 ; 1988 ; Feigert et Norris, 1990 ; Anderson et Ward, 1996). Loewen et Bastien (2010) étaient parvenus à une conclusion conditionnelle à la période en question. Les élections partielles canadiennes antérieures à 1993 pouvaient être vues comme des référendums sur le gouvernement, mais celles plus récentes n’étaient plus représentatives de l’opinion publique, en raison de la fragmentation partisane.
Avant de passer aux sections suivantes, nous devons mentionner que nous ne reproduirons pas la recherche de Loewen et Bastien (2010) en tous points. Certains aspects de leur étude nous semblant plus faibles, notre recherche est une version quelque peu modifiée de la leur. Dans la présentation des résultats, nous expliquons ce que nous avons décidé de faire différemment des chercheurs de l’étude d’origine et justifions nos choix. Précisons néanmoins que nos critiques de Loewen et Bastien ne remettent pas en doute leurs estimations et leurs conclusions, mais qu’il est pertinent de reproduire leur recherche en contexte québécois. Nos modifications se résument essentiellement à l’ajout d’effets fixes et de variables auparavant omises, lorsque nous le jugeons nécessaire.
Hypothèses de recherche
Les hypothèses que nous formulons sont inspirées de la revue de littérature ci-dessus et des conclusions de l’article de Loewen et Bastien, mais elles tiennent également compte de certaines caractéristiques propres au système électoral québécois.
Un des aspects des élections partielles que les médias ne manquent pas de rapporter est la faible participation électorale des citoyens. Par exemple, les électeurs de Viau ont battu un record le 9 décembre 2013 en étant seulement 16,9 % à se présenter aux urnes. Le Québec ne fait pas exception au déclin général de la participation électorale observé dans les démocraties libérales, ni à la baisse de participation observée ailleurs lors des partielles. Ainsi, nous pensons observer un taux de participation nettement inférieur à celui des élections générales (hypothèse 1A). À ces considérations s’ajoute un aspect particulier du système politique québécois, soit la présence de la question nationale. Comme les élections partielles se déroulent pendant le mandat d’un gouvernement et qu’à moins d’une situation exceptionnelle le résultat du vote ne changera pas le parti au pouvoir, les citoyens ont moins l’impression de décider de l’avenir du Québec que lors des élections générales. La question nationale est moins facilement mobilisée par les partis politiques, car, contrairement à l’élection d’un gouvernement, une seule élection partielle ne risque pas de rapprocher les Québécois d’un « Oui » ou d’un « Non ». Nous estimons donc que la question nationale aura un impact moindre sur le comportement électoral des citoyens lors des élections partielles. Et comme de nombreux électeurs sont encore mobilisés par cette question, il se peut qu’ils ne ressentent pas l’envie, la nécessité ou l’importance d’aller voter. Nous pensons donc que le décalage entre la participation aux élections générales et partielles au Québec sera encore plus fort que celui observé par Loewen et Bastien (2010) au Canada (hypothèse 1B).
Comme le système partisan québécois est bien distinct de celui du fédéral, il est difficile de faire des comparaisons entre les petits partis des deux niveaux. La définition même de ce qu’est un petit parti est intrinsèquement liée au système étudié, comme nous le verrons plus loin. Nous savons toutefois que le multipartisme est en croissance au Québec, que le nombre de candidats effectifs en compétition augmente et que, conséquemment, les tiers partis sont de plus en plus populaires. Il n’y a donc pas de raison de croire que ces derniers seront moins populaires lors des élections partielles. En fait, nous pouvons même penser que les petits partis performent mieux lors des élections partielles (hypothèse 2A), comme c’est le cas au Canada, parce qu’ils canalisent le désaccord de la population face aux politiques gouvernementales et face aux partis traditionnels. Cependant, les petits partis québécois sont également avantagés par l’importance moindre qu’a la question nationale lors des élections partielles. Comme les élections complémentaires ne déterminent pas le parti qui sera au pouvoir, mais seulement un nouveau député, les électeurs pourraient estimer qu’il est moins risqué de voter pour un petit parti plus proche de leurs préférences politiques. En bref, nous estimons que le vote stratégique est plus faible lors des élections partielles et que cela avantage les petits partis québécois, plus encore que leurs équivalents canadiens (hypothèse 2B).
L’avantage électoral dont bénéficient les députés et les partis politiques dépend du comportement électoral de la population étudiée. Les travaux d’Éric Bélanger et Richard Nadeau (2009) révèlent que les Québécois semblent n’accorder qu’une place marginale aux candidats locaux dans leurs choix électoraux ; ainsi, s’il existe un avantage électoral au Québec, il est plus probable qu’il soit lié aux partis sortants qu’aux députés eux-mêmes. C’est en effet la conclusion à laquelle arrivent Ariane Blais-Lacombe et Marc André Bodet dans leur récente étude de l’avantage électoral au Québec. Les élus n’ajoutent généralement rien à l’avantage électoral dont bénéficient les partis politiques québécois et ils peuvent même parfois nuire aux chances de réélection de leur parti. Étonnamment, dans certains cas, il est plus avantageux de présenter un nouveau candidat plutôt qu’un député sortant (Blais-Lacombe et Bodet, 2017). Nous nous attendons donc à ce qu’il n’y ait pas de grande différence entre la performance des députés élus lors des partielles et lors des élections générales (hypothèse 3A), puisque c’est le parti et non le candidat qui est responsable de cet avantage. Conséquemment, nos résultats s’apparenteraient à ceux de Loewen et Bastien (hypothèse 3B).
Quant à savoir si les élections partielles québécoises constituent des référendums sur les politiques gouvernementales, nous ne pensons pas que ce soit le cas. Premièrement, l’ouverture relative du système partisan observée pendant la période étudiée rend beaucoup plus faible la probabilité d’avoir une correspondance entre la population générale et les citoyens de la circonscription où se déroule la partielle. Deuxièmement, la présence de la question nationale, bien que nous la supposions moins influente lors des élections partielles, ajoute une dimension au vote des citoyens. La population est donc divisée sur deux axes plutôt qu’un (gauche-droite), ce qui multiplie les préférences politiques possibles et rend plus improbable la correspondance nécessaire pour qualifier les élections partielles de référendum sur le gouvernement (hypothèse 4).
Présentation des données
Pour tester nos hypothèses, nous avons colligé les résultats électoraux des partielles québécoises depuis 1970 ainsi que certaines informations relatives aux élections générales précédentes et suivantes. Nos données proviennent principalement de l’Atlas des élections au Québec de Pierre Drouilly (2013). Nous les avons enrichies d’informations recueillies sur les sites du Directeur général des élections du Québec et de l’Assemblée nationale du Québec. Pour vérifier l’idée répandue que les élections partielles constituent un référendum sur le gouvernement, nous avons eu recours aux résultats des sondages d’opinion de la firme CROP sur les intentions de vote provinciales. Ces données ne remontent cependant qu’à 1995.
Notre échantillon est composé de 100 élections partielles québécoises au niveau provincial. Loewen et Bastien en avaient dénombré 121 au niveau fédéral pour tout le Canada entre 1963 et 2008. Alors que la Chambre des communes a plus de deux fois le nombre de sièges de l’Assemblée nationale, elle n’a connu que 21 élections partielles de plus pour une même période. Nous pouvons donc affirmer que les élections partielles sont un phénomène ayant, toutes proportions gardées, plus d’ampleur au Québec. Le tableau 1 présente les statistiques descriptives de ces élections ainsi que certaines tendances. Nous constatons qu’il est d’usage de regrouper les élections partielles la même journée. Il y en a en moyenne 2,5 par jour de partielle au Québec contre 2,6 au Canada entre 1963 et 2008[4]. Les élections partielles n’attirent pas significativement plus de candidats que les élections générales. En moyenne, 5,7 candidats par circonscription se présentent aux partielles québécoises. Lors d’élections générales se déroulant pendant la même période, ce chiffre baisse légèrement à 5,3. Une tendance à la hausse est observée dans les deux cas, ce qui témoigne de l’émergence et de la consolidation du multipartisme au Québec.
Environ la moitié de l’électorat, canadien comme québécois, n’a pas voté aux élections partielles au cours des dernières décennies. Alors que la participation aux élections partielles fédérales connaît une légère hausse dans les années 1980 avant de décroître par la suite, la participation aux élections complémentaires provinciales est en baisse constante au Québec depuis les années 1970. La dernière colonne du tableau 1 représente le ratio de la participation électorale aux élections générales par rapport à celle aux élections partielles. Bien que la participation soit également décroissante aux élections générales, on voit que sa chute est plus accentuée aux élections partielles (hypothèse 1A confirmée). Ainsi, l’écart entre les deux se creuse de décennie en décennie, pour atteindre présentement une participation aux élections partielles pratiquement deux fois inférieure à celle observée aux élections générales. Au moment d’écrire leur article, Loewen et Bastien constataient un ratio similaire chez l’ensemble des Canadiens (hypothèse 1B infirmée).
Caractéristiques et tendances
Pourquoi des élections partielles ?
Au Québec, les élections partielles se tiennent à l’intérieur des six mois suivant la vacance d’un siège à l’Assemblée nationale. L’évolution des raisons pour lesquelles des postes se libèrent en cours de mandat nous permet d’identifier des tendances dans la culture et les habitudes politiques québécoises. Au dix-neuvième siècle, les élections partielles étaient beaucoup plus fréquentes, à raison de 4,4 par année en moyenne pour une assemblée de 65 à 74 membres. Dès l’entrée dans le vingtième siècle, la moyenne annuelle des élections partielles est similaire à celle que nous connaissons aujourd’hui (2,5). Pour la période antérieure à 1970, leurs causes étaient beaucoup plus variées, car des dispositions législatives et parlementaires entraînaient la tenue d’élections partielles dans des situations qui aujourd’hui n’en nécessitent plus. Par exemple, un député nommé ministre ou premier ministre devait démissionner de son poste et se présenter à nouveau devant ses commettants (Assemblée nationale du Québec, 2012 : 31). Ce procédé a occasionné 51 élections partielles avant 1927, année de l’abolition de cette pratique (ibid. : 38).
Aussi, les nominations à des postes incompatibles avec la fonction de député étaient beaucoup plus fréquentes. Pas moins de 93 élections complémentaires ont été causées par des députés nommés membre du Conseil législatif, juge, lieutenant-gouverneur et bien d’autres encore. Étonnamment, il n’était pas interdit d’être député à la fois provincial et fédéral jusqu’en 1874 (Assemblée nationale du Québec, 2015a). L’abolition du double mandat a entraîné sept élections partielles cette année-là. Lorsque les députés-maires ont perdu en 1980 le droit de siéger à deux paliers de gouvernement, ils ont été autorisés à compléter leur mandat municipal (ibid.). Cette transition s’est donc faite sans que des élections partielles soient nécessaires.
Les campagnes électorales étant aujourd’hui très intensives et exigeantes pour les candidats, il peut sembler surprenant que ces derniers étaient autrefois autorisés à faire campagne dans deux circonscriptions simultanément. Il est encore plus étonnant que certains parvenaient à se faire élire dans plusieurs comtés en même temps. Les députés dans cette situation devaient alors libérer un de leurs sièges, entraînant des élections partielles. Nous dénombrons quatre cas correspondant à cette situation. Finalement, les élections complémentaires à la suite d’un décès étaient beaucoup plus nombreuses à l’époque. Entre 1867 et 1969, 72 députés sont décédés alors qu’ils étaient en fonction et cinq d’entre eux n’ont même pas eu le temps de siéger à l’Assemblée nationale entre leur élection et leur décès.
Avant les années 1970, les simples démissions étaient relativement peu nombreuses. Nous n’en trouvons que 39 pendant les 100 ans qui suivent la Confédération. Or, pendant la période étudiée, qui ne dure que 45 années, nous en comptons 76. Comme en fait foi le tableau 2, les démissions sont la cause principale des élections partielles depuis les dernières décennies. Si l’on se fie au site de l’Assemblée nationale du Québec (2015b), ce serait même la cause exclusive de toutes les partielles depuis 1998[5]. À notre avis, certains départs, bien qu’ils soient en apparence des démissions, peuvent être attribués à d’autres causes, notamment un décès[6] ou le fait de se porter candidat aux élections fédérales[7]. Une tendance s’observe néanmoins ; les démissions sont de plus en plus fréquentes, proportionnellement du moins. Nous pouvons identifier certaines pistes de réflexion expliquant le nombre élevé de démissions et, conséquemment, d’élections partielles au Québec. D’abord, le salaire des députés provinciaux est inférieur à celui des députés fédéraux, ce qui rend l’abandon de leur poste moins coûteux. Ensuite, jusqu’en décembre 2015, les députés démissionnaires bénéficiaient d’indemnités de départ, ce qui facilitait leur transition vers une autre profession ou leur arrêt de travail, si nécessaire. Finalement, le durcissement de la ligne de parti observé à l’Assemblée nationale a amené une modification du rôle de député. En effet, les débats parlementaires étant désormais réservés aux joutes partisanes, les simples députés ont moins d’occasions de faire valoir leurs idées propres en Chambre (Montigny et Morency, 2014), ce qui peut lasser certains parlementaires et les amener à abandonner leur poste avant la fin de leur mandat.
Les décès et les candidatures, qui arrivent aux rangs suivants des causes de vacances des sièges depuis 1970, ne suivent pas d’évolution claire pendant la période étudiée. Les nominations et les élections annulées sont beaucoup moins fréquentes. En somme, les élections partielles sont moins nombreuses qu’avant, car plusieurs dispositions légales demandant leur tenue dans certaines circonstances sont aujourd’hui caduques. De nos jours, les élections complémentaires sont plus souvent causées par le départ volontaire de députés que par l’incompatibilité des fonctions qu’ils convoitent. Notre choix de nous limiter aux élections partielles depuis 1970 s’explique également par le fait que les règles parlementaires et les traditions politiques antérieures à cette période étaient bien différentes de celles des 45 dernières années. Regrouper d’anciennes élections partielles avec de plus récentes ne nous aurait pas permis d’identifier les tendances et les caractéristiques actuelles de ces événements politiques.
Taux de participation
Comme nous l’avons mentionné précédemment, le taux de participation aux élections partielles est généralement plus faible que celui aux élections générales. Depuis 1970, une seule élection contredit cette affirmation[8]. Depuis les 45 dernières années, les élections complémentaires récoltent en moyenne un taux de participation de 51 %, alors qu’en moyenne 76 % des Québécois participent aux élections générales[9]. Le tableau 3 présente nos deux modèles de régression par moindres carrés ordinaires (MCO). Notre premier modèle regroupe des facteurs expliquant la faiblesse du taux de participation aux élections partielles, alors qu’avec le second nous tentons d’expliquer pourquoi le ratio entre la participation aux élections générales et celle aux élections partielles est en croissance. Autrement dit, pourquoi le taux de participation aux élections complémentaires baisse-t-il plus rapidement que celui aux élections générales ?
Nous avons intégré à nos deux modèles les variables utilisées par Loewen et Bastien (2010) et nous avons ajouté le délai en mois entre l’élection générale précédente et l’élection partielle. Norris (1990) observe un phénomène de mid-term blues chez les électeurs britanniques vers le mi-mandat ; elle note une baisse de l’appui au gouvernement, autant dans les résultats des élections partielles que dans les sondages d’opinion. Si une telle lassitude existe également chez les électeurs québécois, elle risque d’affecter non seulement la performance du gouvernement, mais la participation électorale également.
Les élections partielles étant des événements somme toute locaux, il importe de considérer les aspects particuliers aux circonscriptions où elles se déroulent. En intégrant à nos modèles le taux de participation antérieur, nous avons des informations sur le comportement électoral habituel des circonscriptions considérées. Des variables temporelles, associées à chaque décennie, permettent de contrôler pour l’effet de cohorte et l’évolution générale de l’électorat. Les autres variables sont liées aux caractéristiques spécifiques de chacune des élections partielles étudiées. Nous estimons que le regroupement des élections partielles le même jour pourrait avoir un impact sur la participation électorale. Quand il y a plusieurs élections simultanément, les médias et les citoyens sont possiblement plus attentifs, ce qui crée une mini-campagne nationale. Nous nous attendons à ce que le nombre d’élections la même journée ait un impact positif sur la participation électorale.
Ensuite, nous considérons le nombre de candidats. Loewen et Bastien (2010) suggéraient, conformément aux conclusions de Stan Taylor et Clive Payne (1973), que la participation électorale pouvait augmenter lorsque davantage de candidats se présentaient aux élections. La variété des options électorales peut stimuler les citoyens et les amener à voter. La littérature sur le sujet reste néanmoins controversée. La recension des travaux empiriques pertinents faite par André Blais et Kees Aarts (2006) suggère une relation négative entre le nombre effectif de partis et la compétition. Tout en mettant en garde le lecteur quant à la nature imparfaite de leurs données, ces auteurs concluent qu’il est possible que la multiplication des partis et des candidats soit associée à des modes de scrutin plus proportionnels qui mènent à des gouvernements de coalition. Les électeurs seraient ainsi moins motivés à participer puisque le résultat semblerait plus facile à prévoir. Les conclusions de Blais et Aarts sont cependant remises en question par une étude plus récente de Bernard Grofman et Peter Selb (2011), puisque l’agrégation des données fait disparaître les effets différenciés. En isolant l’impact du nombre de partis effectifs au sein des élections uninominales à un tour en Espagne et en Suisse, ces auteurs trouvent plutôt un effet positif et significatif de la multiplication des candidatures sur la participation. Nous choisissons ainsi de nous rallier à ces travaux plus récents et plus convaincants, qui ont l’avantage de s’intéresser au même mode de scrutin utilisé au Québec et au Canada.
Nous vérifions également si parmi les candidats il y a un candidat vedette, soit un chef de parti cherchant à faire son entrée à l’Assemblée nationale ou un ministre choisi hors du Parlement. Récemment, plusieurs chefs ont rejoint leur équipe à l’Assemblée nationale par le biais d’une élection complémentaire. Pensons à Philippe Couillard (2013), Pauline Marois (2007), André Boisclair (2006) et bien d’autres encore. Les ministres choisis dans la société civile sont plus rares. Pensons néanmoins ici à Jean-Marc Fournier (2010) et à Yves Bolduc (2008). Au total, onze élections avec des candidats vedettes ont eu lieu depuis 1970. Leur présence pourrait avoir pour effet d’augmenter l’attention de l’électorat et, par le fait même, le taux de participation.
Si les élections partielles constituent, comme plusieurs le prétendent, un référendum sur le gouvernement, on peut s’attendre à ce que dans les circonscriptions détenues par le gouvernement se manifeste une participation plus élevée, puisque les citoyens ont une occasion particulière de montrer leur réprobation (Norris, 1990). La marge de victoire indique la compétitivité des élections, qui peut influencer positivement les électeurs à exercer leur droit de vote. Dans un monde idéal, nous aurions des données précises sur les intentions de vote durant la campagne de l’élection partielle. De telles données nous permettraient d’évaluer la compétitivité des élections avant qu’elles aient lieu. Malheureusement, les intentions de vote ne sont pas systématiquement recueillies lors des élections partielles, comme c’est le cas lors des élections générales. Nous devons donc nous rabattre sur une approximation, soit les résultats officiels de l’élection. Cette stratégie est très commune dans la littérature depuis notamment les travaux sur le vote stratégique de Michael Alvarez et Jonathan Nagler (2000), mais aussi sur les facteurs contextuels liés à la participation (notamment Geys, 2006 ; Grofman et Selb, 2009). Finalement, nous avons intégré une variable hivernale pour les élections se déroulant entre décembre et mars, à l’instar de Collin Rallings, Michael Thrasher et Galina Borisyuk (2003) ainsi que de Peter Loewen et Frédérick Bastien (2010). Alors que les premiers avaient détecté une participation plus faible en hiver, les seconds n’ont pas observé de différence significative.
Si nous observons le premier modèle, nous constatons d’abord que le taux de participation à l’élection générale précédente influence significativement[10] la participation d’une circonscription lors d’une élection partielle. Pour chaque point de pourcentage aux élections générales, on retrouve en moyenne seulement 0,52 point de pourcentage aux partielles. Ainsi, ce coefficient confirme que la participation est généralement plus faible lors des élections partielles. Les variables correspondant aux décennies sont associées à un coefficient négatif et significatif par rapport aux années 1970. Pendant les années 1980, la participation était inférieure à la décennie précédente de 12,23 points de pourcentage. Cette diminution du taux de participation s’est accentuée dans les années suivantes, au point de doubler dans la présente décennie. Le développement du multipartisme au Québec pourrait accentuer la décroissance de la participation lors des partielles. C’est du moins ce que suggère notre premier modèle, puisque le nombre de candidats est associé négativement au taux de participation. En moyenne, chaque candidat fait diminuer la participation de 1,12 point de pourcentage. L’impact du multipartisme est donc faible, mais non négligeable, puisqu’il est statistiquement significatif. Les autres variables incluses dans ce modèle n’ont pas d’impact significatif sur la participation électorale lors des élections partielles.
Le second modèle présente les causes de la convergence et de la divergence entre la participation aux élections générales et celle aux élections complémentaires. Le ratio doit être interprété de la manière suivante : un ratio de 1 signifie une équivalence parfaite entre les taux de participation lors des élections partielles et générales. Plus le ratio s’éloigne de la valeur 1, plus les taux de participation divergent. Si le ratio est supérieur à 1, la participation aux élections générales est plus élevée. Si le ratio est inférieur à 1, la participation aux élections partielles est plus élevée. Les statistiques descriptives du tableau 1 nous ont permis de déterminer que le ratio est en moyenne de 1,57 pendant la période étudiée. Le coefficient du ratio, quant à lui, peut prendre des valeurs positives comme négatives. Un coefficient négatif signifie une diminution du ratio, donc une convergence des taux de participation étudiés. Un coefficient positif indique une divergence entre la participation aux élections générales et partielles. Cela dit, le second modèle du tableau 3 contient moins de variables dont le coefficient est significatif et celles-ci sont différentes de celles du premier modèle qui estime uniquement la participation brute. Seules les décennies 1990, 2000 et 2010 font croître significativement le ratio de 0,32, 0,44 et 0,67 point respectivement. Comme nous savons que le taux de participation est en baisse aux élections générales comme partielles, cette croissance du ratio signifie surtout que la diminution de la participation aux élections partielles est plus accentuée que celle aux élections générales. Les autres variables de notre modèle ne sont pas associées à des coefficients statistiquement significatifs.
Ainsi, les variables qui ressortent dans nos modèles sont celles associées à la participation aux élections générales, à l’évolution dans le temps et à la montée du multipartisme. Le phénomène de décroissance du taux de participation est associé à un mouvement de désengagement électoral qui croît avec le temps depuis les dernières décennies. Contrairement à nos attentes, l’augmentation du nombre de candidats est corrélée avec une baisse de la participation électorale lors des élections partielles. Il est possible que la montée du multipartisme se soit produite à une époque de baisse de la participation, sans que ces variables soient liées par une relation de cause à effet. Cela influencerait évidemment nos résultats. Mais les tiers partis bénéficient-ils de cette baisse de la participation ou leur donne-t-elle un coup dur ? Une analyse plus approfondie de la performance des petits partis et des candidats indépendants lors des élections partielles nous aidera à y voir plus clair.
Performance des petits partis et des candidats indépendants
Au Canada, les études tendent à démontrer que les petits partis et les candidats indépendants récoltent un meilleur appui pendant les élections partielles que lors des élections générales (Loewen et Bastien, 2010). Qu’en est-il au Québec ? La figure 1 présente l’appui moyen aux petits partis lors des élections partielles et lors des élections générales précédentes et suivantes. Nous considérons comme des petits partis tous les partis sauf le Parti libéral du Québec (PLQ), l’Union nationale, le Parti québécois (PQ), l’Action démocratique du Québec (ADQ), la Coalition Avenir Québec (CAQ) et le Ralliement/Parti créditiste. Il s’agit des partis qui, à un moment au moins dans leur histoire, ont correspondu à la définition actuelle de groupe parlementaire[11] (Assemblée nationale du Québec, 2013). Les autres partis qui siègent ou ont siégé à l’Assemblée nationale pendant la période que nous étudions – Québec solidaire, le Parti Égalité et le Parti national populaire – nous semblent constituer des forces politiques moindres, qui récoltent moins de voix et de sièges aux élections. Les partis n’ayant jamais siégé à l’Assemblée nationale et les candidats indépendants sont évidemment inclus dans notre analyse de la performance des partis mineurs.
De manière générale, nous constatons que les petits partis font beaucoup mieux lors des élections provinciales québécoises que lors des élections fédérales canadiennes. Loewen et Bastien (2010) avaient calculé un appui moyen de 3,9 % pour les partis marginaux lors des élections partielles et de 1,8 % lors des élections générales. Au Québec, dans les circonscriptions considérées, les petits partis remportent en moyenne 7,4 % du vote pendant les élections complémentaires et 5,5 % pendant les élections générales (hypothèse 2A confirmée). Dans l’absolu, la différence est sensiblement la même. Au Canada comme au Québec, les partis marginaux reçoivent en moyenne deux points de pourcentage de plus que lors des élections générales. Proportionnellement, cette différence est cependant beaucoup plus importante au Canada, où leur appui passe du simple au double. Au Québec, cela correspond à une hausse d’environ un tiers de la part des votes en moyenne. Ainsi, en ce qui concerne la performance des petits partis, la différence entre les élections complémentaires et générales n’est pas aussi importante au Québec qu’au Canada (hypothèse 2B infirmée).
La figure 1 montre l’évolution de l’appui aux petits partis de décennie en décennie. Les décennies 1970 et 1990 obtiennent des résultats similaires. Les petits partis comptent sur des appuis faibles et font légèrement mieux lors des élections générales. Pendant les années 1980 et depuis 2000, l’appui aux petits partis est plus élevé pendant les élections partielles et il semble en croissance. L’histoire politique du Québec permet d’expliquer ces variations. Les années 1970 correspondent au système partisan de transition entre l’Union nationale et le Parti québécois. Les deux sont présents à l’Assemblée nationale pendant cette période. Le Ralliement créditiste y est aussi, en plus du PLQ. Dans ce système partisan relativement fragmenté, les autres partis ne parviennent à obtenir qu’un très faible appui. La période couvrant les élections de 1981, 1985 et 1989 marque l’apogée du bipartisme québécois. Au Parlement, il n’y a pratiquement que le PLQ et le PQ ; aux urnes, beaucoup de partis bénéficient de l’insatisfaction face aux principaux partis. Le Nouveau Parti démocratique du Québec obtient un appui considérable pendant cette période. Le Parti Égalité connaît pour sa part un bref succès et parvient à faire élire quatre députés en 1989. La décennie 1990 est un temps dur pour les petits partis : l’ADQ profite de l’ouverture du système partisan pour se tailler une place à l’Assemblée dès ses débuts. Les petits partis marginaux sont quasi inexistants et bénéficient de très peu d’appui populaire. On assiste pendant les années 2000 à une multiplication des petits partis et à une hausse de leur popularité. Le Parti vert du Québec (PVQ), l’Union des forces progressistes, puis Québec solidaire reçoivent un nombre significatif de votes. Ce dernier parvient à faire élire son co-chef en 2008 et augmente sa représentation d’une députée à chaque élection depuis. Alors que le PVQ connaît un déclin, Option nationale et le Parti conservateur du Québec font leur entrée sur la scène électorale en 2012. La décennie 2010 présente donc, pour l’instant du moins, une version amplifiée des résultats observés lors de la décennie passée : multiplication des partis marginaux et croissance de leurs appuis électoraux. Notons qu’ils performent nettement mieux lors d’élections partielles que générales, ils parviennent en moyenne à récolter cinq points de pourcentage de plus.
Avantage électoral
Un phénomène qui intéresse de plus en plus les chercheurs est l’avantage électoral (incumbency effect) dont bénéficient les députés. Dans le cadre de la présente recherche, nous vérifions si les députés élus lors des partielles ont un avantage électoral différent de ceux élus lors des élections générales. Pour ce faire, nous comparons les taux de réélection des députés élus lors des partielles à ceux des députés élus lors des élections générales.
Le taux de réélection pour l’ensemble des députés de l’Assemblée nationale depuis 1973 est de 72,3 %. La figure 2 présente les taux de réélection des députés élus lors des élections complémentaires et générales. Les taux varient beaucoup d’une élection à l’autre ; les élus des partielles surpassent parfois ceux des élections générales, et vice versa. En moyenne, 86,6 % des députés issus des élections complémentaires sont réélus. Pour les députés élus aux élections régulières, c’est 71,9 %. Avec leur avance de presque 15 points de pourcentage, les députés élus lors des élections partielles ont généralement des meilleures chances d’être réélus (hypothèses 3A et 3B infirmées). Devons-nous associer cet avantage à leur appartenance partisane ou à leur candidature propre ? Nous avons souligné le fait que des politiciens importants font souvent leur entrée au Parlement par le biais des élections partielles. Il serait intéressant de vérifier si le nombre de candidats vedettes qui sont élus lors des élections partielles est comparable à celui des élections générales. Une autre piste de solution se trouve du côté des partis politiques. Ont-ils généralement tendance à conserver ou à perdre leurs comtés lors d’élections partielles ?
Les élections partielles comme référendums sur le gouvernement
La dernière hypothèse que nous vérifions est celle selon laquelle les élections partielles sont un moment privilégié pour permettre à la population de manifester son appui ou son mécontentement par rapport au gouvernement. Selon cette théorie, les électeurs de la circonscription où se déroule la partielle sont influencés par l’ensemble de l’électorat, de telle sorte que leur choix électoral reflète l’opinion publique à ce moment. Pour tester cette idée, nous observons l’évolution de l’appui au gouvernement entre l’élection partielle et l’élection générale qui la précède dans la circonscription où la partielle a lieu. Encore ici, nous faisons l’analyse de régressions par moindres carrés ordinaires. Notre premier modèle comprend deux variables : l’évolution de la popularité du gouvernement et l’appui au gouvernement lors de l’élection précédente. Nous calculons l’évolution de la popularité gouvernementale en soustrayant son pourcentage de voix remportées aux élections générales précédentes de son pourcentage d’appui dans les intentions de vote du sondage d’opinion précédant du plus près chaque élection partielle. Notre second modèle intègre le multipartisme à notre analyse. Depuis 2007, le système partisan comme l’électorat sont plus divisés (Godbout, 2013), il est donc moins plausible qu’une élection locale soit représentative de l’opinion de l’ensemble de la population. Nous vérifions également l’interaction entre l’évolution de l’appui au gouvernement et le multipartisme. Le recours à des données de sondage seulement disponibles depuis 1995 nous oblige à réduire notre échantillon aux élections partielles plus récentes (au nombre de 55).
Comme le tableau 4 l’indique, les deux variables du premier modèle sont significatives. L’augmentation de la popularité gouvernementale chez l’ensemble des Québécois est liée à une meilleure performance électorale lors des élections partielles dans un rapport de 1 pour 0,67. L’appui précédent des citoyens de la circonscription dans laquelle se déroule la partielle est quant à lui négativement associé à l’évolution de la performance gouvernementale. Pour chaque point de pourcentage de part du vote obtenu lors des élections générales, le gouvernement connaît une décroissance de son appui de 0,36 point de pourcentage. Cela signifie que les électeurs votent généralement moins pour le parti gouvernemental lors des élections complémentaires que lors des élections générales. Nous pouvons suggérer comme piste d’explication que le parti au pouvoir déclenche des élections générales à un moment qui l’avantage ; il s’assure ainsi d’avoir un bilan positif à présenter aux électeurs. Pour tous les partis, les campagnes électorales nationales sont l’occasion de grandes promesses. Le moment des élections partielles, quant à lui, est déterminé par la vacance d’un siège à l’Assemblée nationale. Le gouvernement ne peut échapper aux enjeux du moment, aux réformes et aux projets législatifs qu’il mène quand l’élection complémentaire est déclenchée, et ceux-ci ne sont pas toujours à son avantage[12]. Ainsi, il est probable que son appui soit plus faible, ce qui ne l’a pas empêché de gagner la circonscription en jeu dans 32,2 % des cas depuis 1995. Il est intéressant de joindre ce constat – les électeurs votent moins fortement pour le gouvernement lors des élections partielles – à celui que nous avons fait précédemment : les électeurs ne votent pas beaucoup plus pour les petits partis et les candidats indépendants lors de ces élections. Selon toute logique, nous devons conclure que ce sont les partis d’opposition qui connaissent une augmentation de leur appui lors des élections complémentaires. Ils sont effectivement les principaux canalisateurs de l’insatisfaction populaire.
Si les résultats de notre premier modèle correspondent à ceux de Loewen et Bastien (2010), il en va autrement pour le second. Les auteurs avaient conclu que l’impact de l’évolution de la popularité du gouvernement canadien se maintenait seulement lorsqu’il était associé au système de parti antérieur à 1993. Celui-ci était plus près du bipartisme, ce qui permettait aux résultats d’une circonscription d’être représentatifs de l’opinion de l’ensemble de la population canadienne. Dans notre cas, l’évolution de la popularité du gouvernement maintient son impact, autant en situation de bipartisme que de multipartisme[13]. Même en contrôlant pour le système partisan, le coefficient reste significatif à une valeur de 0,67. Cela signifie que la performance électorale gouvernementale lors des partielles augmente de 0,67 point de pourcentage lorsque l’appui au gouvernement dans l’ensemble de la population augmente de 1. Le coefficient du multipartisme seul est également significatif. En moyenne, dans le système actuel, le gouvernement parvient à augmenter son appui de 7,10 points de pourcentage entre les élections générales et les élections partielles. L’appui précédent conserve un effet significatif, bien que faible. Plus une circonscription vote pour le gouvernement, moins elle a de chances de voir son appui pour lui augmenter lors d’une élection partielle. En somme, les élections partielles québécoises constituent bel et bien un référendum sur le gouvernement, et ce, peu importe le système de partis considéré (hypothèse 4 infirmée).
Cette différence entre nos résultats et ceux de Loewen et Bastien (2010) s’explique par l’évolution et la nature des systèmes partisans au Québec et au Canada. Après 1993, la scène politique canadienne a été investie par de nouveaux partis hautement régionalisés (le Bloc québécois et le Parti réformiste) qui ont contribué à la fragmentation du système partisan. Dans ce nouveau contexte d’électorat régionalement divisé, il aurait été surprenant que les résultats d’une élection partielle représentent l’opinion de l’ensemble du pays. Au Québec, la multiplication des partis politiques que nous observons depuis le début des années 2000 ne s’est pas faite en fonction d’une régionalisation aussi marquée. Bien qu’il existe un certain régionalisme électoral au Québec (Drouilly, 2012), celui-ci n’est pas aussi marqué qu’au Canada, où non seulement les préférences, mais l’offre des principaux partis varient d’une région à l’autre. De la sorte, il est possible, malgré le multipartisme, que les choix électoraux d’une circonscription concordent avec l’opinion publique québécoise au moment des élections partielles.
Conclusion
L’objectif de cet article était d’identifier les caractéristiques et les tendances des élections partielles québécoises, puis de les comparer avec les élections complémentaires fédérales et les élections générales québécoises. Nous avons reproduit l’étude de Loewen et Bastien (2010) dans le contexte des élections provinciales québécoises depuis 1970. Nos travaux portaient sur quatre sujets principaux : le taux de participation, la performance des petits partis, l’avantage électoral et la représentativité des élections partielles. Nos principales conclusions sont que le taux de participation aux élections complémentaires connaît un déclin encore plus accentué que celui observé lors des élections générales. De plus, les petits partis et les candidats indépendants performent légèrement mieux lors des élections partielles (7,4 %) que lors des élections générales (5,5 %). Notons cependant que les partis marginaux provinciaux reçoivent un appui nettement supérieur que leurs équivalents fédéraux, qui récoltent un appui moyen de 3,9 % lors des partielles et de 1,9 % lors des élections générales canadiennes. Les députés élus lors des élections partielles profitent d’un taux de réélection supérieur à celui de leurs collègues élus lors des élections générales (86,6 % contre 71,9 %). Enfin, au Québec, les élections partielles peuvent effectivement être envisagées comme des référendums sur le gouvernement, en ce sens que la performance du gouvernement en place suit les mouvements de l’opinion publique. En moyenne, pour chaque point de pourcentage gagné dans les intentions de vote provinciales, le gouvernement gagne 0,67 point de pourcentage lors des élections partielles suivantes. La fragmentation du système partisan observée depuis le début des années 2000 n’a pas affecté cette correspondance, puisque les partis politiques québécois se sont multipliés sans se régionaliser autant qu’au Canada, par exemple, préservant ainsi une certaine unité dans l’électorat. On semble cependant entrevoir une régionalisation progressive au Québec alors que la Coalition Avenir Québec s’implante solidement dans certaines régions au détriment du Parti québécois. En contrepartie, la CAQ ne réussit pas à s’implanter à Montréal. Cela pourrait ainsi changer la donne et aligner le cas québécois sur les dynamiques observées au fédéral.
Nous avons évoqué les transformations des traditions politiques qui occasionnent la tenue d’élections partielles depuis 1867. Or, ces pratiques sont toujours en évolution et le vingt et unième siècle a déjà apporté des réformes aux pratiques entourant les élections complémentaires. La démission des députés et les élections partielles sont deux sujets qui ont fréquemment fait surface dans l’actualité politique québécoise depuis les dernières élections générales. La 41e législature a vu au moment d’écrire ces lignes une proportion significative de ses membres quitter leur siège en cours de mandat. Des démissionnaires du parti gouvernemental n’ont pas caché qu’ils auraient aimé que le premier ministre leur confie des responsabilités supplémentaires. Si autrefois des élections partielles avaient lieu lorsque des députés étaient nommés ministres, elles ont lieu aujourd’hui lorsqu’ils ne le sont pas. Être simple député semble de moins en moins convenir aux élus de l’Assemblée nationale.
Plusieurs citoyens et commentateurs de l’actualité accusent à cet égard les députés démissionnaires de manquer à leur engagement et d’alimenter le cynisme ambiant. Les coûts des élections partielles sont eux aussi soulevés dans le débat public. À tout cela s’ajoutaient les indemnités de départ des démissionnaires, abolies depuis. Bref, les élections partielles et les enjeux qui y sont reliés soulèvent des questions qui devraient intéresser non seulement les citoyens et les médias, mais également les chercheurs universitaires. Cet article cherche à combler une sérieuse lacune dans la littérature au sujet des élections partielles québécoises. Il apparaît dès lors que d’autres études sur les sujets connexes susmentionnés mériteraient d’être réalisées, surtout si les élections complémentaires continuent d’augmenter en nombre dans les prochaines années.
Appendices
Notes biographiques
Diplômée du baccalauréat en science politique de l’Université Laval, Ariane Blais-Lacombe poursuit présentement ses études à la maîtrise à l’Université d’Ottawa. Son projet de recherche porte sur les politiques identitaires et symboliques réalisées par le gouvernement Harper pendant ses dix ans au pouvoir. Ses autres intérêts de recherche sont la politique québécoise, la politique électorale et les idées politiques.
Marc André Bodet est professeur au Département de science politique de l’Université Laval. Il est membre de la Chaire sur la démocratie et les institutions parlementaires ainsi que du Centre d’étude pour la citoyenneté démocratique. Ses publications récentes portent sur l’opinion publique, les partis politiques et la politique électorale au Québec et au Canada.
Notes
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[1]
Les auteurs tiennent à remercier les trois correcteurs anonymes pour leurs commentaires constructifs ainsi que la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires pour son soutien financier.
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[2]
Au Québec, entre 1970 et 2014, il y a eu en moyenne 7,6 élections partielles par législature.
-
[3]
Pour la suite de l’article, les termes élections fédérales et canadiennes seront employés comme des synonymes, tout comme les termes élections provinciales et québécoises.
-
[4]
Les données associées aux élections fédérales sont tirées de l’article de 2010 de Loewen et Bastien.
-
[5]
Au moment d’écrire cet article, l’élection partielle comblant la vacance causée par le décès de Sylvie Roy n’a pas encore eu lieu.
-
[6]
Ministre libéral et député de Kamouraska-Témiscouata jusqu’en 2010, Claude Béchard a remis sa démission quelques heures avant son décès (Robitaille, 2010).
-
[7]
Emmanuel Dubourg et Gérard Deltell ont démissionné de leur fonction de député quelques semaines seulement avant de s’impliquer dans une campagne électorale fédérale. Il est difficile de penser qu’ils n’avaient pas ce projet en tête au moment de leur démission.
-
[8]
Le 21 février 1994, Marcel Landry a remporté dans son comté l’élection partielle à laquelle 78,9 % de ses commettants avaient participé. Les électeurs de Bonaventure avaient été 73,9 % à voter en 1989.
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[9]
Cette moyenne est calculée à partir des circonscriptions où des élections partielles ont été tenues pendant la période étudiée et non toutes les circonscriptions au Québec.
-
[10]
Pour l’ensemble de nos analyses, le taux de signification statistique a été fixé à 95 %.
-
[11]
Notre méthode diverge ici de celle de Loewen et Bastien (2010) qui considéraient comme petit parti tout parti ne siégeant pas à la Chambre des communes.
-
[12]
En réalité, le gouvernement décide du moment de la partielle, tant qu’il respecte le délai de six mois qui lui est alloué. Son contrôle est donc limité.
-
[13]
Les élections du 26 mars 2007 marquent l’entrée dans une période de multipartisme plus fort au Québec. Les élections antérieures à cette date se situent dans un système partisan bipartite, quoique assez ouvert à partir de 1994 (Godbout, 2013).
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