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L’histoire de la paix et de la guerre a été longtemps écrite par et pour des hommes. Cet ouvrage collectif, Femmes artisanes de paix : Des profils à découvrir, vient déconstruire ce mythe en restituant la place des femmes dans la promotion et la construction de la paix.
Dans la première partie, « Les activités audacieuses et courageuses », Susan Roll et Amber Lloydlangton exposent le rôle de paix des femmes en période de grande tension. Pendant « l’effort de guerre sous Adolph Hitler » où se terre le silence de la peur, la première auteure montre que la résistance à la guerre porte un nom féminin : Sophie Scholl et le mouvement estudiantin Rose Blanche. Son rôle a été d’oser, c’est-à-dire de distribuer des tracts anonymes désapprouvant la démarche militaire du gouvernement hitlérien et demandant aux citoyens de retirer leur soutien à la guerre. En 1943, dans le cours de son activisme, elle fut arrêtée et guillotinée. Dans le chapitre 2, il est question du rôle d’Eva Sanderson, une Canadienne, dans son activisme anti-nucléaire. Pour Amber Lloydlangton, Sanderson s’inscrit dans le personnalisme politique qui pose comme postulats la liberté de la personne et la dignité humaine. Cette philosophie de la vie l’a fortement inspirée à oeuvrer contre l’armement nucléaire pour un Canada et un monde en paix. Ses initiatives ont consisté à influencer la politique de défense canadienne par des documentations approfondies, un « parentage activiste » incitant le peuple canadien à se mobiliser contre la course nucléaire.
La deuxième partie, intitulée « Groupes de femmes engagées dans la construction de la paix », aborde les mouvements de femmes dans des actions concrètes pour la paix. Le chapitre 3 présente les Soeurs par l’esprit, un mouvement de femmes de l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC), constitué pour veiller contre la violence faite aux femmes autochtones. Ses membres dénoncent la double violence sexiste et raciste dont ces femmes sont victimes et l’intersectionnalité de cette violence avec d’autres systèmes d’oppression comme la pauvreté. Soeurs par l’esprit veut montrer que ce n’est pas seulement la femme autochtone qui est meurtrie ; c’est surtout la parole de celle-ci qui est « assassinée ». Derrière chaque disparition se cache une histoire qui s’écrit en lettres de souffrance et de tragédie. Ce mouvement est un espace sécuritaire qui permet aux familles de s’exprimer librement et de s’impliquer socialement. Comme Joëlle Morgan le suggère, il faut une « guérison sociale » qui passe par le rétablissement de la vérité historique en positionnant le peuple autochtone comme un sujet historique et non psychique : « re-conter » pour guérir. Au chapitre 4, la contribution pour la paix des femmes chiliennes est évoquée. Leur courage qui a déjoué les stéréotypes concernant les femmes est souligné. Par exemple, Ramon Martinez de Pison signale leur détermination contre le régime dictatorial d’Augusto Pinochet. Cela s’est concrétisé par une plus grande structuration des mouvements de femmes pour mieux harmoniser leurs stratégies de résistance. Pour lui, la cause de cette détermination est leur « foi enracinée » dans trois grands moments ecclésiastiques, dont la théologie de la libération de Gustavo Gutierrez. Cette théologie a joué un grand rôle pédagogique pour dynamiser l’engagement de ces femmes pour la paix au Chili. Le chapitre 5 discute des actions de PACT-Ottawa (Personnes en action contre la traite des personnes) visant à mettre fin à la traite humaine en solidarité avec d’autres organismes qui poursuivent le même objectif. L’association sensibilise et apporte un soutien personnalisé aux victimes de la traite. Pour Eileen Kerwin Jones, l’esclavage contemporain est réel et très déshumanisant et se nourrit du consumérisme et de la vulnérabilité des personnes. Toutefois, il s’inscrit dans des contextes hétéroclites de légitimation culturelle et religieuse qui font qu’il a la peau dure. Il prend les visages odieux de travail des mineurs, de travail forcé entre autres. Se basant sur des données comme celles d’Anti-Slavery International, il est estimé qu’il y a 27 millions de travailleurs en servitude ; l’auteure montre comment les femmes en général sont les plus pauvres et les plus vulnérables au monde. Pourtant, cette vulnérabilité est le terreau de cet esclavage, d’où la nature fortement sexuée de la traite humaine. Il faut donc promouvoir la paix genrée qui reconnaît l’imbrication du genre avec d’autres rapports de domination qui favorisent la spécificité de la traite des femmes et « politiser » ces dernières, c’est-à-dire les considérer comme des « partenaires égales » dans les stratégies de lutte. Le chapitre 6 fait une immersion dans la communauté internationale Baha’ie, une communauté de foi d’Iran qui croit en un Dieu unique dont le messager est Baha’u’llah. Elle est reconnue par l’Organisation des Nations Unies (ONU) comme une organisation non gouvernementale (ONG) internationale et regroupe plus de 5 millions de membres. C’est un champion en matière d’égalité des sexes, qui est un principe fondateur légué par le dernier messager pour la paix. Le rôle de cette communauté fut déterminant dans la création de « l’ONU Femmes » et dans la production de déclarations portant sur la condition féminine, remarquent Chesmak Farhoumand-Sims et Jennifer Fowlow.
La troisième partie, en son chapitre 7, « Des religieuses, fondatrices inspirées », parle des oeuvres de paix de femmes congolaises pendant la guerre civile, notamment de l’organisme « Mama Boboto » de Cécilia Biye en République démocratique du Congo. Malgré que les Congolaises soient les grandes victimes de cette guerre et en dépit de leur manque de visibilité dans les instances décisionnelles, leur résilience pour la paix a triomphé. Ainsi, Pierrette Daviau relève que « l’implication de la femme dans le processus de paix se situe sur le plan de la sensibilisation passant surtout par les organisations féminines » (p. 185). Suivant l’exemple des mouvements comme Dynamique Femme, elle montre les combats des Congolaises pour la promotion de la paix et des droits des femmes dans une société marquée par le patriarcat. Cécilia Biye, fondatrice de « Mama Boboto », aujourd’hui « Paix-Justice », est une femme déterminée à réaliser la paix dans son pays. Elle a oeuvré auprès des communautés locales et rurales pour lever les interdits culturels et traditionnels qui sont réfractaires à l’émancipation des femmes. Le chapitre 8 fait le portrait de Jeanne Devos et de son combat auprès de « travailleurs domestiques » dans le National Domestic Workers Movement (NDWM). Le système indien de castes de travail domestique des femmes et des enfants est émaillé de violences et d’abus sexuels, rappellent Karlijn Demasure et Julie Tanguay. Ce mouvement a été précieux dans la revalorisation symbolique et sociale de l’emploi de travailleur domestique et dans la réglementation de sa pratique avec des droits et devoirs pour ces femmes. À l’occasion d’une rencontre internationale à Montréal, Jeanne Devos décide de fonder un mouvement social pour le changement avec le Young Christian Students en 1965, puis le Young Students Movement for Development. Le National Domestic Workers Movement, fondé en 1985, fait un travail pédagogique auprès de ces domestiques pour les informer de leurs droits et faire du lobbying pour un changement socio-structurel. Son action crée la paix en étant un pont entre acteurs de peacebuilding et un instrument d’empowerment pour les travailleuses domestiques.
La dernière partie se penche sur « la paix et la spiritualité ». Au chapitre 9, Lauren Levesque définit la paix comme une action positive sans « peur ». Elle dénote l’audace des femmes par la création d’organisations comme le CODEPINK en Iraq. Elle propose une nouvelle spiritualité de la paix, c’est-à-dire une transcendance « radicale » dans les actions pour la paix et une (re)connaissance de sa part de « complicité » dans des injustices. Il faut reconnaître l’interdépendance des réalités violentes et utiliser la créativité pour combattre ces violences. Ce mouvement, plein d’espoir, cherche à mettre fin au militarisme (américain) avec des actions créatives : une « spiritualité active ». Au dernier chapitre, Geneviève Boudreault parle du travail remarquable de la sociologue Catherine Garrett, devenue anorexique à la suite du décès de sa mère, auprès de patientes souffrant de ce même trouble. Son génie fut de proposer la « paix avec soi-même » comme le remède pour guérir de l’anorexie. En se basant sur son expérience de recherche avec des participantes anorexiques (p. 254), elle a montré que cette maladie se revendique comme une quête de sens, un exutoire pour échapper à des traumatismes non reliés aux simples troubles alimentaires. La paix c’est une spiritualité thérapeutique qui est d’arrêter la violence sur son corps, pacifier son corps. Cela nécessite donc une spiritualité intérieure pour répondre à ces questions existentielles par l’autobiographie écrite ou l’ouverture à autrui.
Femmes artisanes de paix : Des profils à découvrir expose le rôle historique souvent occulté des femmes dans la construction de la paix. Très bien structuré et argumenté, il réussit à faire un portrait sociologiquement varié de femmes ou de mouvements de femmes dans la quête de la paix et à donner la parole aux actions de ces femmes qui sont minorisées. Néanmoins un ou deux mouvements de paix paraissent être unisexes, et donc le lien entre la paix et la femme initiatrice y est moins fort. Ce livre, conseillé, s’adresse à un public large, dont les étudiants qui sont intéressés par les études de genre et de conflit.