Recensions hors thème

Comment exister encore ? Capital, techno-science et domination, de Louis Marion, Montréal, Les éditions écosociété, coll. « Théorie » 2015, 163 p.[Record]

  • Nichola Gendreau Richer

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Dans notre univers politique où l’environnement ne semble être compris qu’en termes de rentabilité et de profitabilité par ceux qui nous dirigent, Louis Marion livre une synthèse de ses travaux portant sur la décroissance. Comment exister encore ? Voilà la question qui anime les réflexions du philosophe tout au long de cet ouvrage de théorie politique. En 2011, il codirigeait avec Yves-Marie Abraham et Hervé Philipe un livre important intitulé Décroissance versus développement durable (aussi chez Écosociété) ; depuis, il a écrit plusieurs articles portant sur les thèmes de l’environnement, du capitalisme et de la techno-science. Comment exister encore ?, dédié « aux non-solvables, aux pauvres et aux sans-pouvoirs de négo » (p. 7), « se présente sous la forme d’une introduction aux valeurs écosociales et entend procéder à une description critique des obstacles politique, économique et technique à l’émancipation sociale et écologique » (p. 17). Plus qu’un ouvrage théorique portant sur la nécessité d’adopter les postulats de la décroissance, le livre de Marion dévoile les idées d’un auteur peu connu au Québec, soit Günther Anders. Plutôt que de présenter des études empiriques portant sur la dévastation de notre biosphère, l’auteur tente de saisir à la racine la logique qui anime la destruction de la planète et de tout ce qui y vit. Il établit une liste de cinq grands coupables de cette crise. Le premier, et le plus déterminant, est le capitalisme avec sa logique d’abstraction de la valeur. Le deuxième, l’idéologie, va de pair avec le capitalisme, le libéralisme. Le troisième est la perversion du langage, la réappropriation et le détournement du sens des mots par ceux qui nous dominent. Le quatrième est l’illusion du progrès de la technique comme possibilité d’éliminer la résistance du monde à la vie. Enfin, le cinquième est la critique des fondements de la technique et de son appareil, soit la mégamachine. Après une présentation systématique de ces ennemis de la vie, Marion propose un manifeste politique où il est question d’orienter la critique théorique faite dans les premiers chapitres vers une action politique cohérente. En guise de conclusion, il présente une ébauche de réflexion portant sur l’édiction et le milieu universitaire. Le capitalisme, ce premier coupable, est le concept politique, économique et philosophique le plus traité de l’ouvrage. L’auteur en discute d’ailleurs dès le début et prend l’espace nécessaire pour construire une définition théorique du capitalisme. C’est avec une lecture savante de Moishe Postone et de Guy Debord que Marion entreprend une interprétation des thèses de Karl Marx sur le capitalisme. Le prisme de la théorie de la valeur le conduit à définir le capitalisme d’abord comme « un mode de production qui réduit le travail à une marchandise » (p. 22). Il explique que le capitalisme est le premier mode de production économique à avoir généralisé le travail salarié et que celui-ci est objectivement la dépossession de notre force essentielle dans le but d’en faire une marchandise. Le capitalisme n’a pas comme objectif de produire des marchandises ayant une valeur d’usage, mais, bien au contraire, des marchandises ayant une valeur d’échange. De cette logique découle la non-importance de ce qui est produit. Les conséquences écologiques de ce changement sont que la marchandise produite a comme a priori sa rentabilité et la destruction de l’environnement n’a aucune incidence dans le choix de sa production. Par ailleurs, l’abstraction du travail salarié a de graves conséquences éthiques. Celles-ci sont reflétées par l’absence de responsabilité du travailleur dans le processus de production ; celui-ci doit obéir aux impératifs de production. Il est impossible de remettre en question les moyens et les finalités de ce …