Les auteurs réunis pour la rédaction de cet ouvrage se proposent d’explorer, sans dogmatisme aucun et dans la plus grande ouverture, les multiples facettes d’une laïcité ouverte. Les philosophes, sociologues, juristes, éthiciens, politologues et chroniqueurs conviés à cette tâche n’entendent pas nier les tensions qui travaillent notre société pluraliste, mais refusent d’y voir autant d’obstacles et de menaces aux principes libéraux et démocratiques. Ils montrent ainsi, recherches à l’appui, que notre société comprend tout le nécessaire politique et juridique pour accueillir la différence comme une richesse et que, pour peu qu’elle s’engage dans la discussion de ses principes fondamentaux, elle saura évoluer vers une définition de la laïcité qui lui soit propre et ne dépende pas de modèles développés ailleurs suivant d’autres circonstances. Ce livre réussit une présentation rigoureuse d’un nombre important d’enjeux soulevés par le débat qui a cours depuis 2006 et, de manière plus intensive, depuis la proposition de la Charte des valeurs du Parti québécois en 2013. Il ne s’en dégage pas une lecture univoque ou parfaitement consensuelle de la situation actuelle de la laïcité et des tensions et défis de sa mise en oeuvre, mais l’ouvrage ne convainc pas moins de la nécessité de « mieux définir les contours de la laïcité québécoise » (p. 6). On y trouve un cadre compréhensif qui démonte l’illusion d’une laïcité stricte ainsi qu’un habile tour d’horizon réflexif des lacunes et des méconduites de la controverse alimentée par le projet de loi 60, montrant que celui-ci répond davantage à une logique de construction identitaire, par où la « majorité silencieuse » affirme ce qui la distingue au détriment du remodelage culturel qui accompagne le mouvement des populations et la mondialisation néolibérale. Les auteurs sont tous et toutes animés d’une approche libérale de tolérance et comprennent qu’une forme de législation est nécessaire pour préserver les acquis en matière de liberté de conscience et d’autonomie individuelle, mais ils s’attachent davantage à élaborer l’argumentaire le plus propre à justifier, si cela s’avérait nécessaire, quelque restriction aux libertés conférées à ce jour par la Charte des droits et libertés. La valeur de l’ouvrage est en somme programmatique : il pose les termes d’une question qui n’a peut-être pas encore été rigoureusement formulée. Voyons plus en détail les découvertes permises par cette opération. La perspective comparatiste dans laquelle on établit la distinction convenue entre sécularisation et laïcisation permet de démontrer d’entrée de jeu que la neutralité n’affecte ni peu ni prou le degré de sécularité d’une nation et l’influence de l’Église au sein de celle-ci. Il faut donc clarifier à quel ordre de réalité s’adresse toute législation en la matière. Jocelyn Maclure met en garde contre la tendance à assimiler les finalités de la laïcité à ses modalités d’application, qui sont multiples et varient selon les conditions historiques et sociologiques de chacune des nations où elle cherche à se faire valoir. Daniel Weinstock, pour sa part, insiste pédagogiquement sur la complémentarité de la laïcité et du multiculturalisme, pour peu qu’on envisage ces idéaux dans une acception libérale et non « perfectionniste ». Une laïcité ouverte serait le rempart nécessaire contre la formation d’un État qui entreprendrait d’imposer une vision unique de ce qui constitue une vie bonne. La neutralité n’est ni indifférente ni hostile au fait religieux, poursuit Sébastien Lévesque, elle permet simplement de s’assurer qu’aucune iniquité ne soit commise sur la base de l’appartenance à un groupe confessionnel minoritaire. Le discours de la laïcité stricte occulterait ce que toute sphère publique existante comprend d’éléments propres à une culture et une religion particulières, soutient Cécile Laborde. Ainsi la neutralité justifie en de nombreux cas une …
Penser la laïcité québécoise. Fondement et défense d’une laïcité ouverte au Québec, sous la dir. de Sébastien Lévesque, Québec, Presses de l’Université Laval, 2014, 214 p.[Record]
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Émilie Bernier
École d’études politiques, Université d’Ottawa
ebernier@uOttawa.ca