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Dans La bataille de la parité : Mobilisation pour la féminisation du pouvoir, Laure Bereni retrace l’histoire des mobilisations pour l’obtention de la parité politique en France en s’appuyant sur un travail d’enquête sur le terrain. Elle propose, à la lumière des informations récoltées à la suite de l’analyse d’une soixantaine d’entretiens avec des femmes ayant formulé de telles revendications politiques, d’un corpus notamment composé de littérature militante, institutionnelle et d’articles de presse ainsi que d’un questionnaire administré auprès de militantes, de cartographier la nébuleuse des associations impliquées et d’expliquer comment un enjeu, initialement qualifié d’impopulaire et perçu comme marginal, a progressivement gagné en visibilité et en appui au point d’être constitutionnalisé.

La principale contribution théorique de l’ouvrage consiste en la formulation et l’application du concept d’espace de la cause des femmes : la « configuration des sites de mobilisation au nom des femmes et pour les femmes dans une pluralité de sphères sociales » (p. 17). En somme, cet espace rend possible la prise en compte d’un ensemble plus large d’actrices et d’organisations, dépassant ainsi les frontières typiques des mouvements sociaux. Cette notion, sur laquelle s’appuie la réflexion sociohistorique de l’auteure au sujet de la parité, est issue d’une remise en question de la façon dont sont habituellement étudiés les mouvements sociaux. Plus précisément, ce sont deux postulats qui sont revisités par Bereni. Dans un premier temps, elle refuse, en effet, d’envisager les mouvements sociaux et l’univers institutionnel dans une perspective dichotomique. Les contestations, indique-t-elle, peuvent également gagner les institutions ou les frontières plus ou moins perméables qui les séparent des espaces occupés par les mouvements de type grassroots (p. 15). Bereni souligne ainsi l’importance de la prise en compte de tous les types de contestations politiques, et ce, peut importe d’où elles émanent. Elle se penche donc sur un activisme constant et de longue haleine ne se restreignant pas à l’analyse de coups d’éclat ponctuels ou de manifestations résultant d’une mobilisation populaire importante.

La notion d’espace de la cause des femmes que conçoit Bereni rend compte de l’hétérogénéité du mouvement français pour la parité composé à la fois de groupes professionnels, militants et institutionnalisés (p. 18) en plus de faire l’objet de réflexions dans le milieu universitaire (p. 52). Le choix de cet enjeu lui permet de démontrer tout le pouvoir explicatif de sa théorie, la question de la parité en France mettant en scène des « organisations qui n’apparaissent pas de manière évidente comme des mouvements contestataires, ou même comme poursuivant des objectifs explicitement ‘politiques’ » (p. 15-16).

L’auteure dédie les premiers chapitres de l’ouvrage à une revue de l’histoire des revendications en matière de participation politique des femmes en France. Elle introduit alors la question des tensions, voire des contradictions, qui habitent l’espace de la cause des femmes, un élément qui demeure présent tout au long du livre. Ce passage laisse, par exemple, entrevoir le caractère profondément distinct des revendications paritaires, présentées comme une rupture face à l’engouement plus modeste des féministes de la seconde vague au sujet de la participation politique des femmes. Il est également possible de constater que l’espace de la cause des femmes que propose Bereni est le théâtre de tensions multiples qui se matérialisent, par exemple, entre les revendications radicales du Mouvement de libération des femmes (MLF) quant à la redéfinition du système politique patriarcal et celles dites réformistes que portent les féministes qui souhaitent obtenir voix au chapitre et participer à la politique dans son état actuel (p. 33). Malgré la persistance de visions divergentes quant au rôle de la parité, l’atténuation progressive de certains clivages au cours des années 1990, résultant notamment de l’institutionnalisation du mouvement et des implications multiples des militantes, rendra d’ailleurs possible l’étonnante convergence entre les différents pôles de l’espace de la cause des femmes (p. 176).

Bereni révèle que ces tensions qui animent l’espace de la cause des femmes découlent notamment de la variété du profil des militantes pour la parité. En fait, l’auteure en distingue trois : celles issues de la deuxième vague féministe, les militantes de partis de gauche et les membres d’associations féminines (p. 147). Les militantes en faveur de la parité seraient, en fait, issues de « segments variés de l’espace de la cause des femmes […] » (p. 147), formant un mouvement nettement plus hétérogène que celui des féministes de la seconde vague qui s’étaient précédemment intéressées à la question de la représentation politique des femmes. Et pour le démontrer, l’auteure s’applique à la description de la nébuleuse des groupes et des actrices impliquées. Ainsi, dès le troisième chapitre de l’ouvrage, elle retrace les tentatives de fédération des actrices de cet espace qui se revendiquent en faveur de la parité (p. 120). Présenté dans une perspective chronologique, l’auteure y trace le portrait de la situation précédant l’inscription, en 1997, de la parité à l’agenda gouvernemental (p. 93). De même, le cinquième chapitre de l’ouvrage propose de mettre en lumière certaines des raisons qui motivent la convergence de ces militantes issues d’horizons variés, un aspect « frappant » du mouvement paritaire (p. : 147).

La démarche que propose Bereni permet de dénouer le succès de l’entreprise paritaire malgré le peu d’attention qu’elle a suscitée, notamment sur la scène médiatique. En établissant particulièrement le profil sociographique des militantes de la parité dans le quatrième chapitre de l’ouvrage, Bereni révèle que bien qu’elles ne disposaient pas toutes du même capital sur les plans culturel, social, politique et économique, elles sont parvenues à mettre ce qu’elles détenaient au service de la cause paritaire (p. 144). De même, les partisanes de la parité ont été en mesure de compenser la faiblesse de leur nombre par leur expérience militante importante ainsi que leur capacité de tirer profit de leurs allégeances militantes multiples (p. 145).

D’une richesse analytique manifeste, La bataille de la parité de Laure Bereni demeure accessible pour quiconque souhaite s’initier à l’enjeu de la parité ou à la question plus large des luttes pour l’égalité en France. De plus, nul doute que le concept d’espace de la cause des femmes saura aiguiller d’autres recherches au sujet des mobilisations féministes, en France ou ailleurs.