Abstracts
Résumé
Les potentialités démocratiques des médias sociaux font désormais partie des programmes de recherche de plusieurs politologues. Toutefois, la première analyse de l’utilisation de Twitter en contexte politique au Canada ne remonte qu’à 2010. Nous contribuons à cette récente littérature en explorant les manières dont les candidats aux élections générales québécoises de 2014 utilisent ce média. Pour les cyber-optimistes, la twittosphère peut faciliter les interactions avec les politiciens, augmenter l’accès à l’information et encourager la participation politique. En revanche, les cyber-pessimistes estiment que les espaces numériques servent essentiellement les professionnels du marketing politique. Pour analyser ces prétentions dichotomiques, nous avons analysé le contenu de plus de 13 000 gazouillis de candidats siégeant à l’Assemblée nationale du Québec. Nos résultats démontrent qu’à l’exception des candidats de Québec solidaire (dont les tweets se démarquent de manière statistiquement significative), les politiciens rattachés aux trois partis principaux du Québec ont surtout utilisé Twitter à des fins de marketing politique, notamment dans une stratégie de campagne négative.
Mots-clés :
- communication politique,
- médias sociaux,
- Québec – politique et gouvernement
Abstract
Social media’s democratic potential is now part of many political scientists’ agendas even though research in this particular field is quite new. The first analysis of the use of Twitter in a Canadian political context only dates back to 2011. We contribute to recent literature by exploring the ways in which candidates used Twitter during the 2014 Quebec general elections. According to cyber optimists, the Twittersphere facilitates interactions with political leaders and increases access to information, as well as encourages political participation. On the contrary, cyber pessimists are more inclined to see digital spaces as new breeding grounds for political spin doctors. To examine these dichotomous perspectives, we conducted a content analysis of over 13,000 tweets published by candidates of the main parties. Our results demonstrate that candidates of the three main parties used Twitter mainly as a political marketing tool, namely Twitter bashing. Tweets published by candidates of Québec Solidaire (that are statistically significantly different) were mostly e-democratic.
Keywords:
- communication in politics,
- social media,
- Québec – politics and government
Article body
Les recherches universitaires ayant comme objet d’étude l’utilisation de Twitter sont récentes. En contexte canadien, ce sont des auteurs tels que Tamara Small (2010), Frédérick C. Bastien et Fabienne Greffet (2009), ainsi que Thierry Giasson et Mélanie Verville (2011) qui font office de pionniers. Le virage numérique au Québec se fait pourtant sentir autant au niveau des médias et des pratiques personnelles que de la politique. Le Centre facilitant la recherche et la création dans les organisations (CEFRIO, 2014) rapporte que 85 % des Québécois utilisent les médias sociaux, dont plus de la moitié (52,3 %) sur une base quotidienne. C’est donc dire que l’accès aux nouveaux médias n’est pratiquement plus contraint par les inégalités économiques (Bastien, 2004). Combinée à l’état embryonnaire de la littérature sur la cyberdémocratie québécoise, l’analyse de l’utilisation de Twitter apparaît donc tout à fait pertinente.
Sur le plan politique, la littérature présente des perspectives différentes au sujet des potentialités démocratiques des médias sociaux. D’une part, les cyber-optimistes estiment que ces plateformes pourraient offrir un accès quasi illimité à l’information politique et aux dirigeants provinciaux (Norris, 2001 ; Ferber et al., 2007) et agir en tant que sphère publique (Habermas, 1989), soit un espace de la vie sociale accessible à tous les citoyens, où l’opinion publique peut rationnellement prendre forme. Toutefois, les cyber-pessimistes croient plutôt que les échanges numériques ne sont que le reflet des conversations hors-ligne (Chadwick, 2006). En ce sens, les médias sociaux constitueraient un espace fertile à la mise en oeuvre des principes et des procédures de marketing au cours d’une campagne électorale (Newman, 1999).
Une analyse de contenu de plus de 13 000 gazouillis publiés durant la campagne électorale provinciale québécoise de 2014 servira à déterminer si l’usage que font les politiciens québécois de Twitter reflète une perspective plus cyberdémocratique que de marketing politique. Avant d’en faire l’examen, il y a cependant tout lieu d’aborder le contexte de l’élection analysée.
Mise en contexte des élections provinciales
Le printemps érable en 2012 (Stolle et al., 2013) a servi de catalyseur numérique au Québec (Millette et al., 2012), alors que tant les grévistes que les journalistes ont pu utiliser les médias sociaux pour informer et mobiliser les citoyens en utilisant des mots-clics comme #grève, #ggi et #manifencours (Beauchesne, 2012). Cette élection extraordinaire a abouti à une fragmentation partisane importante alors que les tiers partis ont récolté plus de 36 % des votes (Daoust, 2015 : 5), et a porté au pouvoir un gouvernement minoritaire dirigé par le Parti québécois (PQ). Le 5 mars 2014, le gouvernement de Pauline Marois a demandé la dissolution précipitée de l’Assemblée nationale 18 mois après son arrivée au pouvoir. Tout comme lors de la campagne électorale en 2012, Twitter a servi d’espace aux débats et au partage d’information, tant pour les citoyens que les politiciens, sur de nouveaux enjeux et avec des mots-clics différents tels que #polqc, #assnat et #QC2014. Au final, malgré le caractère hâtif de l’élection, ce n’est pas moins de 71,43 % de l’électorat qui s’est mobilisé pour exercer son droit de vote (DGEQ, 2014).
Sphère publique numérique : cyberdémocratie versus marketing politique
Le concept de la sphère publique numérique habermassienne réfère à un espace propice à la conversation politique (Dahlberg, 2001). La sphère publique promeut un espace accessible à tous où l’on peut débattre de façon critique et rationnelle. Cette sphère est caractérisée par des espaces communicationnels institutionnels qui facilitent la formation de l’opinion et de la volonté publiques (Habermas, 1989). Selon plusieurs auteurs (Polat, 2005 ; Jones, 2008 ; Koller et Wodak, 2008 ; Roberts, 2009), le cyberespace pourrait être propice à la sphère publique, pour autant qu’il remplisse des critères tels que le fait de pouvoir y échanger et critiquer les prétentions à la validité, d’écouter et de comprendre les arguments des autres et d’être inclusif afin de permettre à tous de prendre part au débat (Dahlberg, 2001).
Twitter agirait ainsi en tant que sphère où se prolonge la démocratie québécoise, car le Web 2.0 se présente dorénavant en tant que plateforme participative (Hadas, 2009). Selon les cyber-optimistes, le cyberespace permettrait de s’engager au niveau politique de différentes manières et accroîtrait le niveau de connaissances politiques de l’électorat. En effet, les médias sociaux offriraient une sphère publique alternative propice au débat politique démocratique (Vrömen, 2008) où les exigences en termes de gestion de contenu sont compensées par la gratuité d’accès à la plateforme. Ce cyberespace promeut également un échange d’idées et d’opinions entre les citoyens (Papacharissi, 2002) et l’accès illimité à l’information (Ferber et al., 2007). Cela dit, Stephen Coleman et Donald F. Norris définissent la cyberdémocratie en tant que « […] means for disseminating more political information and for enhancing communication and participation, as well as hopefully in the long run for the transformation of the political debate and the political culture (2005 : 6). De plus, la cyberdémocratie vise à actualiser la politique en tirant avantage des technologies de l’information et de la communication (Curran et Singh, 2011). Cela peut se refléter dans les stratégies numériques des partis politiques ou le passage au gouvernement ouvert (via les données ouvertes) au Québec.
Mais tout comme Twitter pourrait encourager le débat et contribuer aux connaissances politiques de l’électorat, les cyber-pessimistes estiment plutôt que les médias sociaux serviraient de terrain de jeu aux spécialistes de marketing politique, où les interactions ne seraient que le reflet des conversations hors-ligne (Chadwick, 2006). Cette campagne permanente (Scammell, 1999), rendue possible grâce aux nombreuses plateformes numériques (Bastien et Greffet, 2009), se caractérise par la personnalisation du message diffusé (Bennet et Manheim, 2006) susceptible de générer des consommateurs politiques plutôt que des citoyens engagés (Scammell, 1999). Les effets sur l’augmentation du niveau d’information et la participation politique ne seraient donc pas aussi évidents à concevoir que le laissent croire les cyber-optimistes. En somme, le marketing politique représente une professionnalisation de la politique, à savoir une forme stratégique et contrôlée de la communication (Esmark, 2007) qui vise à influencer le résultat des élections (Marlan et al., 2012), de même que l’utilisation de professionnels de campagne ou de doreurs d’image (Webb et Kolodny, 2006) – allant directement à l’encontre de l’idéal-type de la sphère publique habermassienne. Ainsi, de nombreuses techniques de marketing sont utilisées dans le domaine politique dans le but de satisfaire aux besoins, aux désirs et aux attentes des citoyens (Marland et al., 2012). Cela est en droite ligne avec les travaux de Philip N. Howard et Daniel Kreiss (2010) qui soutiennent que des pratiques de marketing politique déployées dans un cadre numérique, telles que celles employées lors de la campagne électorale de Barack Obama en 2008, pourraient limiter le débat politique citoyen en raison de messages taillés sur mesure et dirigés vers certains groupes spécifiques de l’électorat. Ces campagnes de marketing politique numériques, bien qu’elles aient le potentiel d’augmenter le taux de participation de certains segments de la population, reflètent un modèle de communication de type top-down et centralisé (Turcotte et Raynauld, 2014). Il demeure néanmoins pertinent de nuancer les désavantages démocratiques du marketing politique. Selon Rachel Gibson (2013), qui a examiné le potentiel des médias numériques dans la mise en place de campagnes citoyennes, le marketing politique serait en mesure de déboucher sur une démocratie plus saine. En ce sens, notre étude se situe au carrefour d’une posture épistémologique dichotomique, avec ce que cela entraîne comme mérites et limites.
Méthodologie
Lors des élections générales au Québec en 2014, 815 candidats répartis parmi 125 circonscriptions ont pris part à la campagne. Cet article se concentre sur un échantillon représentatif des sièges à l’Assemblée nationale au terme des élections de 2012. Les candidats ont été sélectionnés à partir de plusieurs critères : leur engagement dans la twittosphère, la fréquence de publication de gazouillis, leur ratio d’abonnés et d’abonnements, ainsi que leur prédominance au sein des médias. C’est en effectuant une revue de presse quotidienne que nous avons pu identifier des candidats qui se sont démarqués dans les médias, soit parce qu’ils se sont prononcés sur des enjeux politiques, qu’ils ont pris part à de nombreuses activités ou même par leur présence sur les plateaux de télévision.
La sélection de critères s’est faite à la suite d’une revue de littérature en communication politique. Giasson et Verville (2011), qui ont analysé l’utilisation des médias sociaux (Facebook et Twitter) par les principaux partis politiques au Québec lors de deux périodes de travaux parlementaires annuelles de l’Assemblée nationale, soit aux mois de novembre 2010 et de février 2011, ont effectivement noté la nécessité de réduire l’échantillon en se concentrant sur les députés les plus actifs. En outre, selon Thierry Giasson, Gildas Le Bars, Frédérick Bastien et Mélanie Verville, la mesure du ratio d’abonnements et d’abonnés permet de connaître « le caractère attractif et le degré d’influence potentielle d’une organisation sur le réseau » (2013 : 138). Le tableau 1 liste les candidats sélectionnés, par parti.
La collecte de données s’est effectuée à la suite de la campagne électorale de 2014 à l’aide du moteur de recherche Twitter et de l’agrégateur PoliTwitter, un service non partisan qui agit en tant qu’agrégateur de gazouillis politiques depuis 2009. Ce dernier a été utilisé dans le cadre de plusieurs recherches portant sur l’utilisation de Twitter par des politiciens (Petrovic et al., 2013 ; Shaffer et al., 2013).
Les indicateurs mobilisés dans notre étude découlent directement de perspectives théoriques dichotomiques issues de la littérature qui traite des cyber-optimistes et des cyber-pessimistes. Quant à notre cadre théorique, il s’appuie sur les travaux d’Erving Goffman (1990) portant sur la présentation de soi – dont la filiation avec le marketing est notable dans la mesure où l’interprétation peut joindre des stratégies de présentation de soi aux valeurs politiques (Corner, 2000). En outre, plusieurs de nos indicateurs s’inspirent des grilles de codage développées par Small (2010) ainsi que par Giasson et ses collègues (2013). Le premier a notamment analysé les pratiques twitteriennes des politiciens canadiens, alors que les seconds se sont concentrés sur les tweets des six principaux partis politiques[1] lors des élections générales québécoises de 2012 afin d’en extirper le caractère social et interactif propre à la plateforme Twitter. Trois catégories mutuellement exclusives ont ainsi été identifiées. La première catégorie d’indicateurs, « cyberdémocratie », est évaluée en rapport avec le nombre de tweets codés qui font référence aux efforts de mobilisation, aux tweets relationnels – propres à la fonction d’interaction de Twitter (Giasson et al., 2013) –, au partage d’information portant sur la campagne et ses enjeux, ainsi qu’à la prise de position. En ce qui a trait à la catégorie de « marketing politique », les indicateurs associés sont les suivants : la narration, l’imagination, la campagne négative, ainsi que la promotion du parti, du chef ou de soi. Une troisième catégorie, « usages », vise à quantifier des pratiques propres au média social. Cette dichotomie théorique sert également de base pour réaliser des tests de signification statistique en rapport avec la différence entre le nombre de tweets qui s’inscrivent dans une optique soit cyberdémocratique soit de marketing politique pour chacun des partis. Cette catégorisation repose sur le repérage de vocables génériques qui permettent de départager les 13 000 gazouillis analysés selon qu’ils appartiennent à des manifestations de cyberdémocratie ou de marketing politique. Notre volonté est d’en ressortir les deux principales tendances lourdes et d’en dégager une analyse de premier niveau qui soit cohérente avec les deux pôles à travers lesquels se manifeste la variété des tactiques exprimées, ainsi que l’ont proposé Giasson et ses collègues (2013) en suggérant d’opposer les tweets de diffusion à ceux d’interaction.
Nous avons effectué le codage manuellement selon la fonction dominante du tweet, à savoir une fonction cyberdémocratique, de marketing politique ou d’usages. Toutefois, l’absence de mesures inter-juges mitige la portée de nos résultats. De plus, alors que la catégorie « cyberdémocratie » s’inspire des grilles de codage de Tamara Small (2010) et de Thierry Giasson et ses collègues (2013), la catégorie « marketing politique » s’inspire, quant à elle, des travaux d’Erving Goffman (1990), d’Alessandro Duranti (2006), ainsi que des techniques de marketing politique d’Alex Marland et ses collègues (2012). Nous présentons au tableau 2 les catégories de codage utilisées pour les 13 000 tweets.
Résultats et discussion : la cyberdémocratie québécoise
La première partie de l’analyse consiste à examiner l’utilisation de Twitter par les candidats québécois lors de la campagne électorale du printemps 2014. Tout comme le démontre la figure 1, l’analyse fait ressortir des tendances générales propres à chacun des quatre partis à l’étude : la campagne négative, la personnalisation, le partage d’information et les retweets.
D’entrée de jeu, tous les partis à l’étude, à l’exception de Québec solidaire (QS), ont très majoritairement fait une utilisation de Twitter dans une optique de marketing politique. Cette démarcation de QS par rapport à tous les autres partis considérés individuellement est statistiquement significative à un niveau de p <0,01[2]. Nous observons que les candidats du Parti libéral du Québec (PLQ) (63 %), de la Coalition Avenir Québec (CAQ) (62 %) et du Parti québécois (PQ) (59 %) ont des modalités d’usage semblables au sein de la catégorie de marketing politique, ayant tous consacré plus de la moitié de leurs gazouillis à des pratiques de marketing politique.
Campagne négative
Comme en fait état la figure 2, l’indicateur de la catégorie « marketing politique » qui a obtenu le taux de participation le plus élevé, tous partis confondus, est celui de la campagne négative, aussi connu sous le nom de Twitter bashing dans le cyberespace. Cette pratique vise à dépeindre un portrait négatif d’un parti, d’un candidat ou d’un chef de parti de façon à miner leur crédibilité et de proposer une option plus attrayante. Les partis à l’étude ont utilisé des techniques variées, dont le partage d’articles à connotation négative au sujet de leurs opposants, mais également l’utilisation de mots-clics tels que #PhilippeFlop, #FaisPasTaPauline, #PaniqueAuPQ et #PQfail. Le parti s’étant le plus démarqué sur ce point est le PLQ, dont les candidats sélectionnés ont consacré 32 % de leurs gazouillis au Twitter bashing, tandis que les co-porte-parole de Québec solidaire n’y ont consacré que 15 % de leurs gazouillis. À titre d’exemple, le candidat péquiste Jean-François Lisée a publié des gazouillis portant sur le chef du PLQ, Philippe Couillard, dont : « Couillard incapable d’autocritique. Pas admis 1 mauvais coup durant la campagne. Idées : #Constitution #PhilippeFlops #Jersey #PubNégative » (Jean-François Lisée, PQ, RT de @Antoyac, 5 avril 2014).
Personnalisation
Nos analyses suggèrent également que les candidats ont tendance à publier des mises à jour personnelles, dans le but de partager des détails de leur vie privée, parfois accompagnés d’égoportraits (selfies). Cette personnalisation de la communication politique médiée est surtout populaire auprès des caquistes, dont 15 % des tweets portent sur des activités personnelles, de même que chez le candidat péquiste Dave Turcotte, qui a consacré 56 % de ses gazouillis au partage de détails de sa vie quotidienne. Par exemple, son message du 15 mars 2014 démontre la tendance à publier des mises à jour personnelles : « Avec un groupe d’amis à la Cage aux sports de #sjsr[3] pour le match du @CanadiensMTL #qc2014 #habs ».
Information et enjeux
Du côté de la cyberdémocratie, tous les partis, et en particulier les candidats de Québec solidaire, ont misé sur le partage de l’information au sujet de la politique, de la campagne et de ses principaux enjeux en y consacrant 25 % de leurs gazouillis. Cette diffusion d’information peut se faire sous forme de communiqués de presse, de plateformes électorales ou d’articles. Cette information, nécessaire au débat raisonné, découle aussi des principes de base d’un gouvernement ouvert et de la cyberdémocratie (Dahlgren, 2009).
Usages
Notre analyse a également permis d’examiner les usages que font les candidats de Twitter, tels que l’utilisation d’hyperliens, d’images, la fréquence de publication et les retweets. La figure 5 fait ressortir que les membres de la CAQ se démarquent en ayant publié en moyenne de 880 gazouillis pendant la durée de la campagne. Le caquiste Christian Dubé a été le candidat le plus prolifique de la campagne avec un total de 1360 gazouillis répartis sur 34 jours. Cependant, les caquistes ont également publié le moins de gazouillis contenant au moins un mot-clic (47 %), mais ont publié le plus de retweets (57 %). À cet effet, le candidat péquiste Jean-François Lisée a publié 1084 tweets durant la campagne, mais 76 % de ceux-ci sont des retweets. Danah Boyd, Scott Golder et Gilad Lotan sont d’avis que le retweet peut avoir une fonction dialogique dans la mesure où le partage du gazouillis invite des internautes à se joindre à une conversation numérique : « Retweeting brings new people into a particular thread, inviting them to engage without directly addressing them. » (2010 : 3500) Une interprétation alternative ad hoc serait que les candidats démontrent ainsi une volonté d’être présents au sein de cet espace narratif. D’un point de vue de marketing politique, la rediffusion d’un gazouillis pourrait aussi servir de stratégie de rétention de militants sous forme de flatterie numérique. Cela n’a toutefois jamais été considéré dans la littérature et est hors de la portée de cette étude.
Une fréquence de publication de gazouillis élevée, ce qui s’avère une modalité d’usage populaire chez les caquistes, n’assure toutefois pas une campagne cyberdémocratique efficace. Les candidats de la CAQ, contrairement à ceux de QS – alors que Françoise David a inclus un mot-clic dans 94 % de ses tweets –, ont utilisé peu de mots-clics et partagé peu d’hyperliens. Ces deux modalités, soit l’utilisation de mots-clics et d’hyperliens, sont étroitement associées à la cyberdémocratie et permettent aux électeurs d’avoir accès à l’information, telle que communiqués de presse, articles et vidéos, ainsi qu’aux gazouillis, car l’utilisation de mots-clics permet de classer et de faciliter la recherche de gazouillis thématiques.
La présence des partis politiques québécois sur Twitter
Parti québécois
La figure 6 illustre le fait que les candidats du Parti québécois ont surtout misé sur une campagne électorale numérique qui s’est appuyée sur les techniques et les pratiques du marketing politique (59 %), notamment l’autopromotion (8 %), une pratique dominante chez Martine Desjardins, Véronique Hivon et Pascal Bérubé, qui ont tenu à souligner leurs réalisations au sujet d’initiatives axées sur la participation citoyenne, l’autisme ou les frais de scolarité. La candidate dans la circonscription de Joliette, Véronique Hivon, a également misé sur le mot-clic #GoVeroGo.
D’un point de vue cyberdémocratique, les péquistes Léo Bureau-Blouin et Martine Desjardins ont tablé sur la mobilisation en faisant la promotion du projet #VoteCampus ; ils y ont consacré respectivement 11 % et 7 % de leurs gazouillis. Cette initiative visait à encourager les étudiants à voter en établissant des bureaux de scrutin sur le site d’institutions d’enseignement et a été mise sur pied à la suite de l’adoption du projet de loi no 13 du PQ (qui modifiait la loi électorale en ce sens). L’indicateur « mobilisation » a obtenu le taux de participation le plus bas au sein de la catégorie « cyberdémocratie », tous partis confondus. Celui-ci vise à faire ressortir les efforts de mobilisation des candidats, soit leurs encouragements à voter le jour du scrutin. Toutefois, les péquistes ont pris part à plusieurs événements visant à mobiliser le corps étudiant lors de tournées des institutions d’enseignement de la province. Par exemple, Martine Desjardins a incité les étudiants à inviter leurs amis à voter : « Participez au #VoteCampus et nominez vos amis sur Facebook ! #VoteNomination^AC [sic] https://www.facebook.com/pages/VoteNomination/1396766597264205… #Qc2014 » (Martine Desjardins, PQ, 28 mars 2014).
Il se pourrait que les pratiques numériques de deux candidats plus jeunes, notamment Léo Bureau-Blouin et Martine Desjardins, reflètent leurs habitudes personnelles et soient l’illustration d’une caractéristique propre à cette génération. Ces deux candidats appartiennent à un segment démographique qui fait un usage abondant de ces plateformes. Il n’est donc pas étonnant qu’ils aient transposé leurs pratiques personnelles dans la manière de mener leur campagne. En revanche, l’absence numérique de Pauline Marois s’est avérée une limite de notre analyse, car il est pertinent de comparer les modalités d’usage du chef à celles de ses candidats (comme Philippe Couillard et ses candidats).
Parti libéral du Québec
Dans l’ensemble, on remarque que les candidats du PLQ ont misé sur une stratégie de campagne négative en y consacrant 32 % de leurs gazouillis. Les candidats qui ont notamment démontré le plus haut niveau d’utilisation au sein de cet indicateur sont Marc Tanguay (62 %), Gerry Sklavounos (52 %), Anson Duran (43 %) et Christine St-Pierre (41 %). Cette dernière a écrit : « Un rappel : Prime de séparation de 80 K $ par année à vie pour le mari de P. Marois. Ça, c’est de l’argent public ! ! ! #qc2014 » (Christine St-Pierre, PLQ, RT de @Joanne_Marcotte, 2 avril 2014).
Quant à Philippe Couillard, chef du PLQ, il a opté pour une utilisation plus cyberdémocratique de Twitter au printemps 2014 dans la mesure où il a consacré 67 % de ses gazouillis au partage d’information. Les analyses démontrent cependant que, comme plusieurs autres candidats, Couillard a fait appel aux services d’attachés de presse pour gérer son compte Twitter, mais que contrairement aux candidats du PLQ, il n’a signé aucun de ces messages. Ce résultat, à savoir que le chef du parti aille à contresens de ses candidats dans la twittosphère, s’explique probablement par les ressources dont il dispose (plus de bénévoles et un budget plus important).
Coalition Avenir Québec
Les candidats caquistes, tout comme les libéraux, ont misé sur le marketing politique (60 %) en se concentrant non seulement sur une stratégie de campagne négative (23 %), mais également en misant sur la promotion du parti (10 %) et de son chef (10 %). En effet, les candidats de la CAQ ont consacré 10 % de leurs gazouillis à la promotion de leur chef, ce qui est le double des gazouillis des candidats péquistes vantant les bons coups de Pauline Marois. Le slogan de la CAQ « On se donne Legault » a été utilisé à la fois en tant que mot-clic et de cri de ralliement.
Comme le démontre la figure 8, la promotion, autant du chef, du parti, que de soi, était de mise. Ainsi, les candidats caquistes qui ont été sélectionnés ont publié des gazouillis tels que « Deux mots me vienne [sic] à l’esprit quand je pense à @francoislegault : Courageux et déterminé. Demain allez voter. #caq #qc2014 #polqc » (Christian Dubé, CAQ, partagé de @sylvain_van, 6 avril 2014) ; « Après Le Beau Risque… Voici Legault Risque ! ! Vers une vague arc-en-ciel ? ? » (Nathalie Roy, CAQ, partagé de @JiCLajoie, 1er avril 2014) ; ou encore « ‘Fini la carte de crédit de nos enfants !’ – @francoislegault #Qc2014 #CAQ #OnSeDonneLegault pic.twitter.com/SuDHFz2K0z » (François Legault, CAQ, partagé de @Cskeete, le 3 avril 2014).
Québec solidaire
Contrairement aux trois autres partis à l’étude, les co-porte-parole de Québec solidaire – Françoise David et Andres Fontecilla – ont consacré 54 % de leurs gazouillis à des pratiques cyberdémocratiques telles que le partage d’information (25 %), les tweets relationnels (10 %) et la prise de position (7 %).
Fontecilla, en plus de discuter avec les utilisateurs de la twittosphère, a aussi pris position (7 %) à quelques reprises, notamment en dénonçant l’absence de Gerry Sklavounos, candidat libéral dans Laurier-Dorion, lors de débats entre candidats. « Découragé que @GerrySklavounos manque (3e fois cette campagne) un débat entre les candidats de Laurier-Dorion ! #qc2014 #Parc-Extens[4] » (Andres Fontecilla, QS, 2014).
Les citoyens doivent être suffisamment outillés pour avoir un accès égal et inclusif aux débats numériques, être en mesure de suivre la conversation, de comprendre les enjeux ainsi que d’exprimer un argument pertinent et raisonné. Selon Manuel Nunez Encabo (1995), il incombe aux acteurs politiques de diffuser l’information nécessaire, entre autres les détails au sujet des bureaux de scrutin, les enjeux de la campagne, les déplacements des candidats et les plateformes électorales. Tel que mentionné plus haut, les candidats de QS ont consacré 25 % de leurs gazouillis au partage de ce type d’information.
De plus, alors qu’on pourrait s’attendre à ce que les nouveaux médias soient davantage utilisés par les plus petits partis qui ont moins de ressources afin de mobiliser une plus grande part de l’électorat (Ward et Vedel, 2006 ; Gibson et McAllister, 2011 ; Giasson et al., 2013), notre analyse démontre le contraire. En effet, Québec solidaire, en moyenne, a publié presque le tiers des gazouillis (332) de la CAQ. Toutefois, les candidats de Québec solidaire se sont démarqués par leur utilisation cyberdémocratique de Twitter pendant la campagne électorale en misant sur les gazouillis relationnels, le partage d’information et d’enjeux, ainsi que la prise de position.
Conclusion
Notre analyse a identifié les modalités d’usage de 26 candidats politiques québécois lors des élections générales provinciales de 2014. Nos résultats révèlent que la campagne électorale numérique se veut généralement stratégique en misant sur des techniques de marketing politique telles que la campagne négative, la personnalisation et la promotion de soi, du parti ou du chef. À cet effet, les membres du PLQ ont été ceux qui ont publié le plus grand nombre de tweets à caractère marketing politique en ayant misé notamment sur le Twitter bashing et une campagne régie par une équipe de communication. Seuls les membres de QS ont fait preuve d’une utilisation cyberdémocratique de Twitter en ayant partagé de l’information au sujet de la campagne, des gazouillis relationnels, et pris position au sujet d’enjeux politiques. Leur usage plus démocratique du média social pourrait d’ailleurs être en conformité avec les valeurs du parti. Les candidats de la CAQ, pour leur part, se sont concentrés sur la promotion de leur chef à l’aide de nombreux retweets et ont choisi de limiter leur utilisation de mots-clics et d’hyperliens dans leurs gazouillis. Enfin, les candidats du PQ se sont démarqués par la promotion de leurs exploits et par la publication de gazouillis personnels, contenant notamment des égoportraits. Ils ont également tenu à mobiliser l’électorat étudiant et ont inclus le mot-clic #votecampus dans plusieurs tweets.
Par ailleurs, nous avons cherché à déduire des modèles théoriques en nous concentrant sur de nouveaux véhicules propres au domaine de la science politique. Une campagne et le discours politiques sont deux objets foncièrement organiques qui évoluent au gré des idiosyncrasies caractéristiques du nouvel écosystème que constituent les plateformes numériques et les médias sociaux. Cette problématique est à ce point fertile que nous avons l’intention d’en approfondir la dynamique lors de projets futurs. Nous sommes d’avis que ces pratiques sont susceptibles d’imprégner le discours politique pendant encore plusieurs années.
Au final, bien que la majorité des pratiques numériques des candidats politiques québécois s’inscrive dans une utilisation stratégique et contrôlée de Twitter – ce qui appuierait les réserves exprimées par les cyber-pessimistes –, nos résultats portent à croire que Twitter aurait le potentiel de contribuer à la cyberdémocratie québécoise en vertu de ses fonctions informationnelles, mobilisatrices et d’échanges numériques.
Appendices
Notes biographiques
Détentrice d’une maîtrise en communication de l’Université d’Ottawa, Katherine V.R. Sullivan est étudiante à la maîtrise en science politique à l’Université de Montréal. Ses intérêts de recherche gravitent autour de la communication politique, du comportement électoral et de la connaissance politique.
Pierre C. Bélanger est professeur titulaire au Département de communication de l’Université d’Ottawa. Ses travaux portent sur les politiques canadiennes en radiodiffusion et télécommunication de même que sur la net-amorphose des stratégies d’affaires des conglomérats médiatiques canadiens.
Notes
-
[1]
Parti libéral du Québec (PLQ), Parti québécois (PQ), Coalition avenir Québec (CAQ), Québec solidaire (QS), Option nationale (ON) et Parti vert du Québec (PVQ).
-
[2]
Pour chaque candidat de chaque parti, les tweets associés à la catégorie « cyberdémocratie » ont été codés 1, alors que les gazouillis catégorisés en tant que « marketing politique » ont été codés 0. Des tests t ont été conduits à l’aide du logiciel statistique Stata, comparant les tweets de Québec solidaire avec chacun des autres partis – QS par rapport au PQ, QS par rapport au PLQ et QS par rapport à la CAQ.
-
[3]
Abréviation de Saint-Jean-sur-Richelieu, circonscription du candidat.
-
[4]
Arrondissement Villeray–Parc-Extension.
Bibliographie
- Bastien, Frédérick C., 2004, « Branchés, informés et engagés ? Les Canadiens, Internet et l’élection fédérale de 2000 », Politique et Sociétés, vol. 23, no 1, p. 171-191.
- Bastien, Frédérick C. et Fabienne Greffet, 2009, « Les campagnes électorales sur Internet : une comparaison entre France et Québec », Hermès, La Revue, vol. 54, no 2, p. 211-219.
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