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Cet ouvrage contribue certainement à une meilleure compréhension de l’étude des idées politiques en réunissant des chercheurs qui offrent des analyses parfois opposées et couvrent un éventail large d’approches permettant à chacun d’y trouver son compte. Cependant, le public cible de Ceci n’est pas une idée politique a l’inconvénient d’être très restreint, contrairement à ce qui est annoncé en introduction (p. 4). Des chapitres particuliers susciteront l’intérêt principalement de professeurs, de doctorants et de chercheurs en théorie/philosophie/pensée politique. Les problématiques abordées dans la majeure partie des chapitres sont très spécifiques. L’ouvrage ne vise donc pas à introduire les lecteurs aux différentes approches de l’étude des idées politiques, mais plutôt à présenter diverses perspectives particulières d’analyse, des plus classiques aux plus audacieuses. La plupart des chapitres s’adressent à un lectorat qui maîtrise déjà les bases de l’approche qui y est discutée ou critiquée. Le livre se divise en quatre grandes parties : 1) Entre la pensée et l’écriture ; 2) Le texte et son dehors ; 3) La modernité en projet ; et 4) Idées, culture et politique.
Le premier chapitre par Ronald Beiner est un excellent point de départ pour cet ouvrage. L’auteur y offre une stratégie de lecture de la philosophie politique nommée « textualisme » et présentée comme anti-méthodologie. Beiner réussit à augmenter notre envie de lire certains classiques de la philosophie politique.
Le chapitre 2, « Leo Strauss : d’un art d’écrire oublié à un art de lire retrouvé », consiste en un résumé par Daniel Tanguay de la méthode straussienne de lecture « ésotérique » des textes philosophiques. Cette interprétation aurait pu être remplacée par le texte original de Strauss : « La persécution et l’art d’écrire », un écrit clair et accessible. Tanguay propose simplement de reprendre la procédure de lecture présentée par Strauss.
Dans le troisième chapitre, « De l’art ‘ésotérique d’écrire’ à la ‘voie oblique’ », Gilles Labelle rapproche la méthode straussienne à celle d’Abensour. L’auteur semble présumer que le lecteur connaît la proposition de Strauss de l’« art d’écrire ». Le texte est bien écrit, mais vise, comme plusieurs autres chapitres de l’ouvrage, un public très restreint, s’intéressant aux méthodes de lecture des deux philosophes.
Certains des chapitres n’ont aucune pertinence pour cet ouvrage particulier, n’étant pas des « réflexions sur les approches à l’étude des idées politiques ». Le cas le plus inattendu est le chapitre 4 (Koula Mellos), qui propose d’analyser l’esthétique de l’ironie dans le roman moderne depuis le Don Quichotte de Cervantès. Nous ne nions aucunement la valeur de la réflexion présentée ici, claire, structurée et intelligente. Néanmoins, l’objet d’analyse n’a aucun lien avec l’étude des idées politiques. Le seul rapport que nous y voyons est que, lors de l’examen du roman, celui-ci est conçu « comme une forme d’art littéraire qui s’inspire des idéaux politiques et philosophiques modernes » (p. 88). Or, l’analyse porte sur l’ironie du roman plutôt que sur ces idéaux. Le chapitre aurait donc dû se trouver dans une publication plus appropriée.
La deuxième partie du livre débute avec un texte se voulant polémique par son titre même : « Il n’y a que du hors-texte », inspiré d’une formule de Jacques Derrida, « il n’y a pas de hors-texte ». En opposition directe aux textes des trois premiers chapitres, Jean-Pierre Couture expose une typologie des analyses sociologiques des oeuvres et des auteurs, qui ne s’intéresse pas au contenu des textes. L’approche mésologique (du milieu entourant le texte) à l’étude des idées politiques y est présentée. En s’inspirant de Pierre Bourdieu, notamment, l’auteur tente d’intéresser le lecteur au microcosme intellectuel influant sur la production des idées.
Contrairement à plusieurs autres auteurs de cet ouvrage, Augustin Simard arrive (chap. 6) à présenter certains débats autour de la réception en études des idées politiques sans s’adresser exclusivement à ses collègues déjà convertis et maîtres de l’approche.
Le chapitre 7 (Lawrence Olivier et Jessica Olivier-Nault) présente en détail l’approche constructiviste dans l’étude des idées politiques. Le constructivisme étant souvent présenté hâtivement et vulgairement, ce chapitre a le mérite de préciser la méthode que cela implique.
Le chapitre suivant de Ricardo Peñafiel représente bien le type de propos hyperspécialisé qui s’adressera à un nombre fort restreint d’adeptes qui peuvent comprendre son jargon intellectuel. Les amateurs de réflexions sur l’analyse de discours seront peut-être ravis, cependant il faudra chercher ailleurs pour une entrée en matière du sujet.
Dimitrios Karmis (chap. 9) arrive intelligemment à mettre en dialogue deux approches importantes ordinairement perçues comme s’opposant. Il s’agit de l’herméneutique représentée par Hans-Georg Gadamer et de ce qui a été nommé « l’école de Cambridge », perspective historique défendue par Quentin Skinner. Karmis préconise de considérer leurs apports respectifs à la question de l’herméneutique de la différence. Il est appréciable que les contributions dont il est question soient expliquées et mises en contexte, sans présumer que le lecteur maîtrise déjà leurs subtilités ; d’autant plus que cela n’enlève rien au niveau de profondeur de l’analyse.
La troisième partie de l’ouvrage débute par un chapitre (Douglas Moggach) qui comblera possiblement les attentes des passionnés de l’idéalisme allemand, de Kant et d’Hegel. Cependant, ce texte se limitera probablement à ce lectorat.
Jocelyn Maclure présente (chap. 11) l’évolution de la tradition qu’est la philosophie politique analytique et ses critiques, texte qui a sa pertinence au sein de l’ouvrage puisqu’il traite d’une approche en philosophie politique. « L’épistémologie morale cohérentiste de John Rawls » est ensuite présentée « pour en discuter les forces et les limites ». La thèse du chapitre est la suivante :
la complexité des défis normatifs auxquels sont confrontées les sociétés contemporaines fait en sorte que la philosophie politique analytique joue un rôle unique et essentiel dans nos débats publics ; un rôle dont elle ne peut toutefois s’acquitter qu’en collaborant avec les autres disciplines des sciences humaines et sociales.
p. 262
Le titre du chapitre 12, « Qu’est-ce que la philosophie politique ? » (Charles Larmore), laisse présager un texte qui serait directement en lien cohérent avec le thème général de cet ouvrage collectif. Or, la question est rapidement évacuée et le texte ne traite pas vraiment de cette question, mais plutôt de celle des théories de la justice politique comme idéal. Pour une lectrice n’ayant jamais lu G.A. Cohen ou Bernard Williams, et peu John Rawls, ce chapitre n’a que peu d’intérêt.
« Le féminisme come théorie critique en histoire des idées politiques » écrit par Diane Lamoureux est probablement le chapitre le plus pédagogique de l’ouvrage. Le mouvement critique contemporain y est présenté de façon claire et précise en trois temps : 1) dévoiler le caractère androcentrique de la tradition en philosophie politique ; 2) examiner les paradigmes dominants de la discipline ; 3) soulever de nouveaux enjeux pour la réflexion politique. En conclusion, l’auteure recommande que les théories féministes demeurent critiques et inclusives des autres luttes contre toute forme d’inégalité et non uniquement celle liée au genre.
Le captivant chapitre 14 (Dalie Giroux) est celui que nous avons préféré dans l’ouvrage. L’auteure y suggère d’associer les héritages, qualifiés d’anarchisme méthodologique, de Marx et de Nietzsche pour proposer une approche généalogique des idées politiques. Cette approche repose sur quatre prémisses développées ici, communes à Nietzsche et à Marx : 1) le langage n’est pas en soi une source de vérité ; 2) les idées sont à la fois un mode de production et un produit ; 3) la volonté est l’opérateur qui articule et désarticule les idées et la réalité vécue ; et 4) la description est un engagement savant et un engagement politique.
La quatrième partie du livre commence avec un texte étonnamment démagogique. Charles Blattberg tente de montrer que la philosophie politique intitulée « patriotisme » est mieux que le pluralisme, qui est mieux que le postmodernisme, qui est mieux que le neutralisme. La technique argumentative consiste à nommer une catégorie et ensuite à mettre des incohérences au sein de celle-ci afin de « démontrer » que cette « philosophie » comporte des faiblesses importantes, pour ensuite présenter favorablement une approche dite « meilleure ».
Le chapitre 16 (Paul Saurette et Kathryn Trevenen) est l’un des plus instructifs de l’ouvrage. Les auteurs y démontrent de façon convaincante que les affects et les émotions se doivent d’être pris en compte dans l’étude des idées politiques. Les contributions des travaux de Drew Westen, William Conolly, Lawrence Grossberg et Brian Massumi sur cette question sont présentées et analysées.
L’ouvrage se poursuit avec un chapitre confus traitant de ce qui y est désigné comme « la constellation postmoderne » (Sylvie Goupil). Un problème au fondement de l’analyse risquée ici est l’absence de définition précise de ce que l’auteure entend par « post-moderne ». Elle présume que Jean Baudrillard, Michel Foucault, Michel Maffesoli, Gilles Deleuze et Félix Guattari se retrouvent dans cette catégorie et tente une vague explication du pourquoi :
Les auteurs choisis […] l’ont été en fonction d’un critère de pertinence puisque leurs écrits renferment des éléments significatifs quant aux aspects traités. Cependant, nous ne cacherons pas notre penchant avoué pour le corpus français par l’intermédiaire duquel nous avons apprivoisé les idées postmodernes. Ce dernier nous semble ainsi constituer un « noyau dur », fondateur de la pensée postmoderne à cet égard.
p. 407
Heureusement, la lecture n’est pas laissée par une dernière impression sur cette incohérence, car Francis Dupuis-Déri offre un « manifeste pour la libération des idées politiques ». Dans ce dernier chapitre, l’auteur débute par une longue explication appropriée de ce qu’est le politique. Il présente ensuite une contribution originale à l’étude des idées politiques comme bien commun.
En conclusion, cet ouvrage examine des sujets variés à travers 18 textes totalement disparates malgré que le collectif prétende avoir pour lien une réflexion sur les approches à l’étude des idées politiques. La plupart des chapitres proposent des contributions originales intéressantes et méritent d’être lus. Cependant, chacune des analyses est susceptible d’intéresser un lectorat particulier et peu liront le livre d’un couvert à l’autre. Si l’ouvrage devait être réédité, nous nous permettons de suggérer une révision pour corriger les coquilles qui s’y sont glissées.