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Dans Au coeur des débats, Marie-Hélène Parizeau et Pierre Le Goff ont réuni les textes des dix premières conférences du prix Gérard-Parizeau. Dans les prochaines lignes, après avoir présenté le prix, nous passerons succinctement en revue les différents chapitres du livre et discuterons de ses limites et mérites.
Grand officier de l’Ordre national du Québec, chevalier de la Légion d’honneur française et membre de la Société royale du Canada, Gérard Parizeau (1899-1994) fut un homme aux multiples talents. Professeur aux HEC (École des hautes études commerciales), il enseigna l’histoire économique et l’assurance en plus de diriger pendant plus de cinquante ans la revue Assurances, qu’il avait lui-même fondée. Homme d’affaires, il démarra son propre bureau de courtage, Gérard Parizeau ltée, qu’il dirigea pendant de nombreuses années. Enfin, historien, il publia à partir des années 1970 plusieurs ouvrages sur l’histoire du Québec, s’intéressant en particulier au dix-neuvième siècle. Après sa mort, suivant une volonté exprimée dans son testament, ses fils Robert et Jacques Parizeau mettent sur pied le Fonds Gérard-Parizeau, destiné à reconnaître le mérite et l’excellence dans les domaines des affaires et de l’histoire. Depuis l’an 2000, le Fonds décerne annuellement (sauf en 2010) un prix d’une valeur de 30 000 dollars à un chercheur ou à un homme d’action s’étant démarqué dans l’un ou l’autre de ces domaines au cours de sa carrière. Lors de la remise du prix, le comité responsable du Fonds – constitué de représentants des HEC, de l’Université de Montréal et de la famille Parizeau – organise également une grande conférence publique, portant habituellement sur un thème lié à la carrière du lauréat.
Après un bref avant-propos et une courte introduction au prix, Au coeur des débats est composé de dix chapitres correspondant aux dix conférences et présentés de façon non chronologique selon deux volets – le premier « analytique », le deuxième « prospectif ». Les cinq premiers chapitres portent ainsi sur « les grands enjeux de l’époque », alors que les cinq suivants s’interrogent sur les façons de « corriger le système ».
Le principal « grand enjeu » retenu est celui de la mondialisation. Invoquant l’émergence des grandes civilisations anciennes, les grandes découvertes des quinzième et seizième siècles et la révolution industrielle, l’historien français Gérard Noiriel nous rappelle dans sa conférence de 2001 que la mondialisation, aussi importante qu’elle puisse être à notre époque, n’a rien de nouveau. Abondant dans le même sens dans son allocution de 2003, Alain Touraine se demande si la mondialisation, présentement accusée de tous les maux, ne serait pas en fait en proie à un certain déclin. Analysant les États-Unis en 2008, le politologue Pascal Boniface envisage également un ralentissement de la mondialisation, suggérant que la dépendance américaine au pétrole étranger est à ce point coûteuse que le temps est venu de privilégier la conservation énergétique ainsi que les énergies vertes. Plus optimiste par rapport à la présente conjecture, le président fondateur d’Axar, Claude Bébéar, insiste quant à lui dans sa présentation de 2006 sur les bénéfices économiques liés à la mondialisation – au Nord comme au Sud. S’exprimant en 2005, l’ancien président du Brésil, Fernando Henrique Cardoso, précise que, pour le Sud, c’est en mettant sur pied des institutions internationales démocratiques solides que nous allons construire une mondialisation véritablement porteuse de prospérité et d’équité.
Plus clairement prospective, la conférence de 2002 de Philippe Jorion, professeur de finance à l’Université de Californie, s’interroge sur la gestion du risque dans la finance internationale dans les mois qui ont suivi les attentats du 11 septembre, faisant ainsi écho aux préoccupations soulevées deux ans plus tôt par le spécialiste de la gestion du risque et vice-président de la CIBC d’alors, Michel Crouhy. Prenant la parole aux HEC en 2009, en pleine récession, le président du conseil de l’Institut sur la gouvernance des organisations publiques et privées (IGOPP), Yvon Allaire, livre un plaidoyer pour un nouveau capitalisme, stabilisé et mieux réglementé. Braquant leurs projecteurs sur les réalités québécoises, Claude Castonguay (en 2004) et Jacques Parizeau (en 2007) nous offrent, respectivement, une analyse nuancée de la situation de nos régimes de retraite et de notre économie.
En voulant réunir dans un même livre les textes de conférences aussi variées, le défi de faire une oeuvre cohérente était peut-être impossible à relever. Il n’y a, effectivement, aucun fil conducteur liant entre eux les différents chapitres-conférences. On passe ainsi aisément d’un chapitre sur les transformations du capitalisme mondial (Yvon Allaire, chapitre 8) à une analyse des régimes de retraite au Québec (Claude Castonguay, chapitre 9). La tentative d’imposer une certaine structure en divisant les chapitres selon les volets analytique et prospectif apparaît artificielle dans la mesure où la plupart des conférences combinent volontiers les deux volets.
Cela dit, un ouvrage éclaté peut néanmoins être génial. Ce n’est pas le cas ici. Un lecteur qui s’attendrait à trouver du contenu original serait déçu. À quelques exceptions près (notamment l’analyse de Claude Castonguay), les textes sont assez superficiels et ne se démarquent pas significativement des publications antérieures des conférenciers – pour la majorité professeurs d’université. Difficile, dans ce contexte, d’identifier le genre de lecteur auquel l’ouvrage était en premier lieu destiné.
Aussi, plusieurs questions restent en suspens. On ne comprend pas trop le lien entre le prix décerné et la conférence. Pourquoi les conférences ne sont-elles pas données par les lauréats eux-mêmes ? Après tout, ceux-ci se démarquent au Québec, qu’on pense à Jean-Marie Poitras ou à Gérard Bouchard, pour ne nommer que les deux premiers à être auréolés. Ensuite, pourquoi le sujet de la conférence semble-t-il parfois n’avoir aucun lien avec les travaux du lauréat ? Quel est le lien, par exemple, entre la carrière de l’historien des sciences Yves Gingras et la conférence de Fernando Henrique Cardoso ? Enfin, pourquoi les conférenciers sont-ils si souvent français (six sur dix dans le cas des conférences retenues ici), alors que les lauréats sont tous québécois ?
Malgré ces lacunes, le livre n’est pas dépourvu d’intérêt. On y trouve de très grosses pointures. Les aficionados de Fernando Henrique Cardoso, Jacques Parizeau ou Alain Touraine auront le bonheur d’y trouver des textes inédits. Et le caractère « éclaté » de l’ouvrage, interpellant volontiers des auteurs français et québécois, historiens et économistes, académiques et essayistes, fait en sorte que le lecteur risque fort de faire des découvertes intéressantes.
Mais la principale contribution de Marie-Hélène Parizeau et Jean-Pierre Le Goff est peut-être d’avoir rehaussé la notoriété du prix et de la conférence Gérard-Parizeau. Tous les lauréats ont eu une carrière exceptionnelle et méritent d’être davantage connus du grand public ; les conférences, malgré les réserves exprimées plus haut, méritent également d’être davantage publicisées et discutées dans nos médias – d’être, en somme, au coeur des débats.