Dans un contexte de multiplication des conflits ethniques sur le continent américain, des débats émergent dans la littérature au sujet de la forme que prend la réponse autochtone dans ces conflits, et tentent de répondre à la question des caractéristiques spécifiques des conflits ethniques dans les Amériques. Certains auteurs caractérisent les conflits ethniques comme des formes de violence à grande échelle entre une ethnie dominante et d’autres dominées, s’apparentant parfois au terrorisme (Horowitz, 2002 et Cott, 2001, cités p. 25). D’autres auteurs démontrent une fragmentation de l’État-nation latino-américain sous la pression de l’affirmation des ethnicités et des contre-attaques de l’activisme autochtone (Andersen, 2010, cité p. 25). D’autres enfin, comme Natividad Gutierrez Chong et les auteurs rassemblés dans l’ouvrage recensé, prennent plutôt le parti d’une affirmation non violente de l’identité autochtone sur le continent américain, souvent liée à la lutte pour la reconnaissance du territoire et l’accès aux ressources naturelles, et faisant par ailleurs face à un haut degré de violence et de discrimination systémique. Le livre Territoires et reconnaissance constitutionnelle est le premier volet du volume intitulé Ethnicité et conflits dans les Amériques (notre traduction). Le livre dirigé par la professeure Natividad Gutierrez Chong cherche à tracer un portrait de la situation des conflits ethniques dans les trois Amériques. Pour y parvenir, les différents auteurs font appel à la sociologie du risque. Ce choix de cadre théorique repose sur les prémisses suivantes : les conflits ethniques entraînent des dommages et des menaces pour une population vulnérabilisée par ses spécificités ethniques ; cette population vulnérabilisée demeure ignorée des preneurs de décisions ; le conflit ethnique n’est pas bureaucratiquement neutre, puisqu’il génère des responsables, voire des coupables ; un conflit ethnique ne survient pas par accident, mais vient au contraire d’un processus de gestation et de maturation ; finalement, les populations autochtones sont plus susceptibles de subir les dommages liés aux conflits en raison du peu de protection institutionnelle dont ils jouissent (p. 39-40). Tous les auteurs reconnaissent l’exclusion systématique des autochtones des programmes nationaux de développement, et ce, malgré les accords internationaux en la matière, comme la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et la Déclaration des Nations Unies sur les peuples autochtones, auxquelles ont adhéré la majorité des États du continent et dont c’était pourtant un impératif (p. 359). Les textes de ce collectif s’articulent autour de trois notions centrales : l’importance de la reconnaissance constitutionnelle des peuples autochtones et donc leur inclusion au sein des États-nations ; la quête des peuples autochtones pour la préservation du territoire et des ressources naturelles ; la réactivation du concept de colonialisme interne autour duquel les populations autochtones du continent articulent leurs revendications du droit à l’autonomie et à l’autodétermination. D’entrée de jeu, Gutierrez Chong propose que la mobilisation autochtone ait rendu visibles les dommages et les menaces vécus par les autochtones ainsi que la nécessité de leur reconnaissance constitutionnelle. Isabel Altamirano Ramirez, dans son chapitre sur la lutte des Inuits pour la protection de l’Arctique canadien, aborde, de façon d’autant plus intéressante dans le cadre d’un ouvrage destiné au public hispanophone, l’importance du territoire dans la cosmologie inuite. Elle démontre aussi comment cette conception a servi de cadre aux pressions exercées par les Inuits auprès du gouvernement central et des instances internationales. La reconnaissance des populations autochtones par les États du continent américain est illustrée dans le livre par des exemples intéressants et assez atypiques pour l’observateur néophyte qui chercherait des lieux communs. Claudia Andrea Villagrán Muñoz relate l’exemple du Venezuela où, bien que les droits des populations autochtones soient protégés par la législation nationale, celle-ci n’a su empêcher l’éclatement …
Etnicidad y conflictos en las Américas. Territorios y reconocimiento constitucional, de Natividad Gutierrez Chong, Instituto de investigaciones sociales, Universidad nacional autónoma de México, 2013, 366 p.[Record]
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Amélie Lafortune-Lauzon
Université du Québec à Montréal
amelie.lafortune@gmail.com