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La République québécoise. Hommages à une idée suspecte du professeur Marc Chevrier concerne le régime politique du Québec et constitue un véritable plaidoyer en faveur de la république. Ce plaidoyer, il le fait en ayant recours aux grandes oeuvres de la pensée politique, à l’histoire et aux institutions qui nous gouvernent. Il s’inscrit dans le courant républicaniste qui s’exprime entre autres dans les travaux de Louis-Georges Harvey et de Stéphane Kelly. Un tel sujet, le régime politique du Québec, aurait pu donner lieu à un savant traité de droit constitutionnel – le livre comporte d’ailleurs sur le sujet toute l’érudition nécessaire –, mais la forme ou la façon qu’a l’auteur, juriste et politologue, de développer le sujet nous interdit tout verdict d’austérité. En effet, sans sacrifier aux connaissances et à la documentation exacte, le livre se déploie au rythme des mouvements de musique qui intitulent chacun des six chapitres.
Si en ouverture l’auteur clame la république, illustre inconnue de la politique québécoise, une des raisons explicatives se situe en allégro moderato dans le monarchisme québécois ou la politique de l’irréel tant de la part des fédéralistes que des souverainistes fort peu républicains. Qu’à cela ne tienne, sous le magistère de l’Église, le Canadien français peut vivre dans le cadre d’un État whig anglais (le Parti whig devient le Parti libéral anglais au milieu du XIXe siècle), celui-là même qui a été garant de la douce conquête écossaise. Cette situation qu’a facilitée l’ultramontanisme (p. 82) trinitaire (France, Angleterre, États-Unis) n’aurait pas été propice à l’éclosion d’une tradition de pensée sur les obligations et les fondements de la vie publique (p. 89) ; sans compter la nation qu’il faut constamment purifier de ses relents d’ethnicisme et affubler de « citoyennisme » tout sujet/objet d’intérêt public… (p. 102) en attente de la république.
Pourtant, au chapitre « Andante non troppo », la Nouvelle-France revisitée par l’auteur contient déjà des espaces de liberté et des tendances égalitaires qui n’ont rien à envier à la célèbre libéralité de la monarchie anglaise (p. 167). Il en ira tout autrement à partir de la Conquête anglaise de 1760. Dès lors, Chevrier passe en revue, au chapitre « Intermezzo », les tribulations d’une « province » de sa Majesté britannique depuis la Proclamation royale de 1763 jusqu’à aujourd’hui (p. 169), en prenant soin au départ de bien spécifier que le terme « province » signifie en français « État ». Un État dont le statut et la liberté ont suscité des périodes de sursaut civique ou de ressaisissement collectif et des périodes de repli civique. Cette histoire qu’il relate lui permet de considérer les leçons des échecs fédéralistes et souverainistes québécois (p. 203) jusque dans les basses eaux postréférendaires. Comme solution de rechange à ces échecs, Chevrier propose en « Allegro risoluto » la république québécoise et sa constitution. Telle est la thèse centrale de l’ouvrage.
Même si le républicanisme est une notion politique complexe qui renvoie à l’histoire et à la théorie, deux dimensions fort bien documentées à ce chapitre, il importe à l’auteur d’élucider le sens de l’idée républicaine pour les enjeux d’aujourd’hui tels qu’ils se posent au Québec. Plusieurs raisons motivent pour lui l’adoption d’une constitution d’inspiration républicaine pour le Québec (p. 289) ; entre autres, organiser le droit politique québécois, établir un projet de réforme démocratique, actualiser la souveraineté populaire, clarifier les valeurs communes. En tant que régime politique démocratique vers lequel devrait tendre le Québec, l’auteur en considère les dispositions légales possibles comme la constitution interne d’un État fédéré ou comme la constitution d’un Québec indépendant. Parmi ces dispositions, il précise notamment le rôle d’un président chef d’État qu’il différencie de celui de premier ministre, chef de gouvernement, la justice constitutionnelle, l’équilibre des pouvoirs et la nationalité québécoise plus assurée, sans négliger les étapes du processus constituant.
L’auteur rappelle à bon escient la vision plus égalitaire des Patriotes, celle qui s’apparente au républicanisme américain en reprenant l’idée de la pondération des pouvoirs dont la légitimité procède d’une seule source, le peuple (p. 365). Or, en lieu et place d’une république, nous vivons au Canada, écrit-il en « Scherzo », sous le régime d’un gouvernement mixte. Si le modèle de la constitution mixte anglaise (King – Lords – Commons) n’a pu être calqué dans l’Union canadienne de 1867 faute de dynastie et d’aristocratie, la « monarchie » canadienne serait toute en imagination (p. 382). Celle-ci se traduit par le gouvernement mixte canadien recomposé, notamment dans le projet d’un sénat fédéral élu (p. 394), un sénat élu « égalitaire » qui réduirait d’autant le poids relatif des États provinciaux (Québec, Ontario), et par la toute-puissance du premier ministre. Celui-ci surplombe en monarque tous les pouvoirs, exécutif, législatif, judiciaire et administratif, y compris les hautes nominations et le rôle de chef de guerre. Plusieurs premiers ministres canadiens ont ainsi gouverné pendant plus de dix ans ! et ce, en se dotant d’une garde rapprochée (spécialistes et conseillers) formant une véritable « cour ». Cette évolution du pouvoir du premier ministre aura été concomitante du déclin de la déférence et de la montée de la méfiance à l’endroit de la politique et des élus. Cette emprise et les longs règnes ont aussi permis la mise en place d’un État providence. Tout se passe comme si la concentration monarchique des pouvoirs du premier ministre était d’autant plus tolérée qu’elle garantit le « bien-être » et la stabilité au Canada (p. 402).
Le seul contre-pouvoir qui peut bloquer la toute-puissance primo-ministérielle est la Cour suprême du Canada avec la réforme de 1982. Or, comme l’exécutif est maître du suivi à donner à un arrêt de justice, le contrôle judiciaire concourt aussi à renforcer le pouvoir exécutif au détriment du pouvoir législatif ; sans compter le processus de nomination des juges en étroite dépendance avec l’exécutif et le premier ministre (p. 410). La réforme de 1982 instaure ce que Chevrier appelle le « régime des libertés » (p. 415) selon lequel la culture et la protection des droits individuels dépendent de l’action des juges et de la consécration de ces droits dans une constitution. En outre, une partie des activités de l’État se déploie en dehors des instances classiques du pouvoir, dans des organismes (CRTC [Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes], BAPE [Bureau d’audiences publiques sur l’environnement], Ombudsman…) qui appuient leur légitimité sur leur compétence technique, leur impartialité, leur proximité avec le citoyen… à la manière de tiers pouvoirs.
Ce phénomène n’empêche nullement la concentration du pouvoir « le pouvoir personnel à l’ère de la grandipotence » (p. 418) qui institue un véritable gouvernement de cour. Amarré à ce régime, le Québec se distingue à peine dans l’art de gouverner. Il offre la réplique simplifiée et provinciale du gouvernement mixte canadien. De 1982 à 1992, le Québec s’est beaucoup dépensé dans la dénonciation des torts que lui a posés la réforme constitutionnelle de 1982… sans proposer en contrepartie une version porteuse de la démocratie (p. 424). Enfin reconnu à peu de frais comme nation en 2006, le Québec recru de fatigue politique ferait aussi partie, plus que jamais, « des joyaux de la Couronne canadienne – d’un moindre éclat peut-être que les autres » (p. 425).
En « Presto finale », l’auteur invite à réfléchir sur notre condition politique, sur le régime d’un peuple libre (p. 428), en considérant les deux questions qui ont jalonné la Révolution tranquille, la question nationale et la question sociale. Or, écrit-il, la nation dans ses rêves d’affranchissement n’a proposé aucun régime politique qui lui soit propre sans même le définir contre le régime dont elle veut sortir. Plus encore, la question sociale, le passage de l’Église à l’État, de la charité à la solidarité d’un État interventionniste et ses idéaux de justice sociale auront contribué à occulter toute réflexion sur le régime politique d’un peuple libre (p. 433).
Il est impossible en quelques pages de rendre compte de la richesse de cette oeuvre magistrale. La situation politique du Québec, vue sous l’angle de la pensée, de l’histoire et des institutions, constitue un exercice intellectuel hors du commun ; tout comme allier érudition et ironie et sarcasme n’est pas sans assurer l’assiduité de la lecture. Enfin, définir les institutions républicaines, c’est déjà pour Marc Chevrier désamorcer lui-même la suspicion qui accable l’idée républicaine et qu’il implore de tous ses voeux.