Jamie Peck tient une place importante dans les sciences sociales. Depuis 2007, l’originalité de ses contributions comme celle qui nous intéresse ici réside dans l’intérêt porté aux formes contestées et négociées du néolibéralisme (Contesting Neoliberalism, 2007, New York, Guilford Press). Le nouvel ouvrage de Peck s’inscrit en continuité de son travail et se concentre sur la dimension polymorphique du néolibéralisme. Le pluriel du titre « Constructions » incite le lecteur à percevoir les différentes manières dont le néolibéralisme touche les formations sociales et selon quelles formules. Le néolibéralisme est un « phénomène polymorphique », selon Peck. Alors que le sens commun cherche le point d’origine ou l’essence du néolibéralisme, il montre dans cet ouvrage qu’une histoire linéaire du néolibéralisme est impossible. Tout au long du livre, il oppose l’utopie du moment fondateur au flux ininterrompu des significations du néolibéralisme. Il use du champ lexical du mouvement, ce qui renforce ce parti pris. Il montre qu’il est inutile de chercher la source première du néolibéralisme : « it cannot be reduced to the high-church pronouncements of Hayek […] there was never a pristine moment of mountain top clarity » (p. 13). La compréhension du néolibéralisme ou plutôt de la néolibéralisation, soit le processus d’imposition de la règle du marché, n’est permise qu’à travers l’appréhension des expériences pratiques. Ces expériences, Peck nous montre qu’elles sont différenciées selon les lieux et les acteurs. Rien n’est plus vrai pour le sociologue ; le néolibéralisme est ce que les acteurs en font. De fait, ceux qui l’intéressent sont les intellectuels, les hommes politiques, les think tanks, ou les gens « ordinaires », c’est-à-dire, ceux qui par leurs pratiques et discours discontinus font exister l’idéologie néolibérale. Dans ce fractionnement, seuls les carrefours permettent de reconstituer la dynamique progressive et relationnelle du néolibéralisme. En effet, le langage spatial utilisé par l’auteur invite à considérer que tout s’est structuré autour de points de transit. Cela est fondamental puisque ces localisations servent de balises intellectuelles permettant de tisser la toile du néolibéralisme. Seules peuvent exister des formes hybrides désordonnées. L’ouvrage se compose de six chapitres reflétant cette plasticité. Sa thèse générale s’organise dans le premier chapitre. On peut considérer par la suite deux parties distinctes. Les chapitres 2 et 3 constituent une généalogie du néolibéralisme : il s’agit de reconstruire l’architecture idéationnelle du néolibéralisme de Von Mises à Hayek, puis de Friedman à l’École de Chicago. Peck démontre la connexion entre différents mondes néolibéraux qui a contribué à créer un réseau néolibéral. De Vienne à Londres, de Chicago au mont Pèlerin jusqu’à Fribourg, il décrit les voyages intellectuels de plusieurs auteurs phares (Ludwig Von Mises, Friedrich Hayek, Milton Friedman, Karl Polanyi) qui ont travaillé à ouvrir un espace transnational de discussion. Peck poursuit la reconstitution du réseau néolibéral des années 1940 dans le chapitre 3. Il montre comment et pourquoi Chicago, isolée des grandes universités de l’est des États-Unis, s’impose comme le lieu exemplaire autour duquel s’est effectivement structuré ce réseau. Dans les chapitres suivants, Peck se concentre davantage sur la manière dont sont conçues et pratiquées les politiques néolibérales. Le chapitre 4 notamment propose une analyse des politiques inspirées par le think tank de la nouvelle droite américaine, The Manhattan Institute. Son intérêt est de saisir la manière dont certaines politiques urbaines ont vu le jour. À travers l’exemple de l’ouragan de 2005 à la Nouvelle-Orléans, il montre comment ce think tank, agissant comme un « chevalier idéologique », a influencé le traitement politique de la catastrophe. Dans le chapitre 5, Peck discute de la thèse de Richard Florida sur la classe créative et …
Constructions of Neoliberal Reason, de Jamie Peck, Oxford, Oxford University Press, 2010, 301 p.[Record]
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Sarah Saublet
Étudiante au doctorat, Département de science politique, Université de Montréal
sarah.saublet@gmail.com