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Ce collectif présente une douzaine d’études destinées à évaluer la pertinence du concept de la gouvernance en administration publique et en analyse de politiques. Issu d’une conférence tenue en 2006, il vise à vérifier si la gouvernance est une « innovation rhétorique ou un changement paradigmatique ». Le titre laisse songeur, car la gouvernance implique plus de joueurs que l’État et la société civile et qu’on ne voit pas de joug dans ce texte. À notre avis, le livre devrait s’appeler « L’analyse des politiques publiques sous l’éclairage de la gouvernance » ou « à l’aune de la gouvernance », car il s’agit de voir comment les idées associées au concept de gouvernance influencent les objets et les stratégies de recherche ainsi que les contenus théoriques.
Le livre est organisé en quatre parties titrées : « La reconfiguration de l’espace public », « La légitimité et la confiance », « La transformation par les idées » et « La participation publique ». On pourrait aussi les classifier selon leur genre ; les textes portant sur la théorie et la méthodologie viennent en introduction et en conclusion de Christian Rouillard et Nathalie Burlone ainsi que des chapitres de Dalie Giroux et de Francis Garon et Éric Montpetit. En deuxième lieu, il y a quatre textes qui explorent des problématiques propres à la mise en application de la notion de gouvernance à divers domaines des politiques publiques. Un troisième groupe de cinq chapitres combine ce genre de réflexion et des études empiriques menées par les auteurs.
Disons d’emblée qu’il s’agit d’un livre intéressant et bien édité (avec quelques exceptions assez amusantes dans les notes du chap. 10). Il témoigne de l’intérêt que peut apporter la notion de gouvernance, mais aussi de ses importantes faiblesses. Résumons les conclusions des auteurs sur les différents domaines d’application avant de discuter des chapitres théoriques.
Il y a quatre chapitres qui analysent de façon générale la contribution de cette notion à des domaines particuliers des politiques. Le chapitre de Christian Rouillard et Mélanie Bourque discute de « Gouvernance, managérialisme et mesure de la performance : la réforme du secteur de la santé et des services sociaux au Québec ». Composé surtout d’un retour historique sur l’évolution du secteur ainsi que des réformes récentes de l’administration publique québécoise, le chapitre aboutit à la conclusion que le système public « emprunte de plus en plus des caractéristiques au système entrepreneurial » (p. 50).
Ensuite, Patrik Marier aborde les régimes de pensions publics d’un point de vue de gouvernance. Il observe que ni la Régie des rentes du Québec ni le Régime de pensions du Canada ne font de place aux partenaires sociaux dans la gestion de leur plan respectif. Ceux-ci sont d’ailleurs de plus en plus inadaptés au marché de travail actuel où les emplois sont souvent précaires et les carrières souvent interrompues. Les personnes âgées sont les mieux organisées des parties prenantes et ont, de ce fait, un droit de veto sur toute réforme éventuelle.
Une troisième réflexion, de Nathalie Burlone et Jean-Pierre Couture, traite de « Gouvernance et choix d’instruments de politique familiale ». Ces auteurs considèrent que, ici encore, les politiques traditionnelles (basées sur la responsabilité familiale) ne correspondent plus aux réalités contemporaines. À l’opposé de cette version « privatiste », ils prônent une « responsabilité collective à l’égard de la famille ».
Pour sa part, Jean Mercier écrit que les idées, les institutions et les instruments de politiques publiques sont tous importants pour le développement du transport durable dans les villes. Cependant, si la présence de plusieurs acteurs confirme l’un des postulats de la gouvernance, l’État occupe néanmoins une position stratégique et un certain degré de centralisation reste nécessaire.
De ces analyses de problématiques, rien de très concluant ne ressort donc concernant la gouvernance. Qu’en est-il des cinq chapitres qui ajoutent à ce genre de réflexion des comptes rendus de recherches empiriques ?
Louis Imbeau utilise une méthodologie innovatrice dans l’étude de « Gouvernance horizontale, relations de pouvoir et dissonance dans la politique budgétaire de quatre provinces canadiennes ». Par la comparaison des discours inauguraux, du budget et ceux des ministres de la Santé et de l’Éducation dans les plus grandes provinces de 1971 à 2002, il arrive à un jugement bien plus nuancé sur le degré de consonance et de dissonance parmi ces grands textes que s’il avait retenu un point de vue de gouvernance verticale où seules la consonance et la transparence importent.
Lyne Latulippe pour sa part traite de « La diffusion des idées par les organisations internationales : un mode informel de gouvernance », mettant en valeur le potentiel des comités d’experts au sein de L’Organisation de coopération et de développement économiques. Elle montre comment les travaux de l’OCDE (et ceux de l’Organisation des Nations Unies) dans le domaine de l’évitement de la double imposition ont permis au Chili et à l’Argentine de régler leur problème par une convention bilatérale. Ces deux chapitres offrent des acceptions très différentes et peu habituelles du mot gouvernance.
Les travaux du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement sont analysés par Mario Gauthier et Louis Simard. Ceux-ci jugent cet organisme et les résultats qu’il a obtenus d’une façon positive et concluent que le BAPE répond à un « impératif délibératif » (p. 213). À leur avis, désormais la détermination de l’intérêt public passe par les procédures suivies, la discussion publique y comprise, plutôt que par une analyse experte en vase clos.
Steve Jacobs et Pierre-Marc Daignault signent un chapitre portant sur « L’implication des parties prenantes dans l’évaluation des politiques publiques », qui rend compte d’une expérience française dans la région Rhône-Alpes. Ils trouvent que les listes d’avantages et d’inconvénients sont également importantes, qu’on ne peut pas déterminer dans l’abstrait s’il s’agit d’une panacée ou d’une boîte de Pandore et que tout dépend du contexte et des fins de l’évaluation (consultation, outil de gestion ou empowerment).
Pour leur part, François Pétry et Vincent Lemieux évaluent la prédiction de George Gallup, en 1940, que les gouvernements à l’avenir gouverneraient selon les résultats des sondages. Ils sont d’avis que, dans le cas canadien, c’est un mythe : « On aurait tort de le regretter parce que l’opinion publique telle qu’elle est révélée par les sondages est trop mal informée et superficielle » (p. 262). Par contre, le recours de plus en plus fréquent aux sondages par les décideurs a des conséquences plutôt positives.
Nous avons gardé pour la fin les contributions plus spécifiquement méthodologiques et théoriques. Dans une réflexion combien bienvenue sur l’épistémologie de l’usage de la notion de gouvernance dans l’étude de l’administration publique, Dalie Giroux fait appel notamment aux écrits de Niklas Luhmann et de Claude Lefort. Cependant, le lecteur n’a pas les moyens de les évaluer, car plusieurs affirmations restent sans démonstration, notamment « l’abandon ambigu » de la distinction entre les sphères publique et privée (p. 16) et l’idée que la théorie n’est que l’autodescription du système (p. 19). S’il est vrai que la théorisation en administration publique a un caractère rétroactif, que faire du fait que tous les grands théoriciens du domaine venaient de disciplines situées en dehors de celui-ci, c’est-à-dire de juristes, de politologues, de sociologues, d’ingénieurs, d’économistes et j’en passe ? L’auteure reconnaît, mais n’en tire pas les conséquences, que l’abandon du distinguo public/privé mène inévitablement à l’abandon de la notion d’administration publique (p. 16).
Dans un chapitre intitulé « Gouvernance : les défis de la légitimité et de la confiance », Francis Garon et Éric Montpetit essaient justement de théoriser les relations entre citoyens, réseaux de politiques publiques et élites politiques. Ils notent toute l’ambiguïté qui les caractérise lorsqu’il y a trois types d’acteurs et quatre types de relation (construction de l’agenda des politiques publiques, mise en oeuvre de celles-ci, construction des discours et actions sur les réseaux). C’est d’autant plus compliqué que les acteurs des réseaux de politiques sont choisis tantôt pour leur expertise, tantôt pour leur représentativité, et qu’ils deviennent inévitablement une élite citoyenne qui s’éloigne de leur condition initiale de représentant.
On souhaiterait davantage de réflexions du type représenté par ces deux chapitres. Les directeurs de l’ouvrage répondent en amont et en aval à leur questionnement initial. Ils notent que, tout comme le modèle du management public auquel elle est une réponse, l’idée de gouvernance est polysémique, c’est-à-dire qu’elle possède plusieurs contenus et plusieurs valeurs (Petit Robert). Au fond, on s’entend généralement pour dire qu’il s’agit d’étudier la fragmentation de l’autorité et du pouvoir de l’État. De là, on l’évalue selon ses préférences idéologiques. Les directeurs rejettent la version de la bonne gouvernance de l’OCDE qu’ils trouvent « crypto-managérielle » (p. 265). Ils optent plutôt pour une version de gouvernance démocratique, mais ils notent que même cette version tend à gommer la domination et la coercition et à marginaliser l’État (p. 264-265). L’État et la société civile sous le joug de la gouvernance est donc un volume stimulant, une tentative honnête d’opérationnaliser une notion omniprésente.