Conclusion

Visages de la participation et capacités critiques des citoyens[Record]

  • Nathalie Schiffino,
  • Francis Garon and
  • Fabrizio Cantelli

Une des mutations les plus profondes de l’époque contemporaine est la revalorisation de la participation dans les processus de discussion et de décision publiques. Cette mutation est porteuse si elle s’inscrit dans l’essence même de la démocratie, c’est-à-dire si elle contribue à asseoir et à renforcer le pouvoir dévolu aux citoyens. Que la logique dominante des penseurs et des décideurs soit représentative ou participative, « dans la perspective démocratique, le peuple est considéré comme le meilleur juge pour exercer le pouvoir, c’est-à-dire pour décider, par la délibération, de son présent et de son avenir en tant que communauté politique » (Holeindre et Richard, 2010 : 7). Représentative ou participative, la démocratie considère le pouvoir comme reposant entre les mains citoyennes ; mais, à l’époque contemporaine, il est impératif d’interroger la gamme des capacités permettant d’incarner en propre ledit pouvoir. C’est sans doute un des principaux défis de notre temps, comme nous l’avons discuté dans l’introduction de ce dossier. Dans ce dossier précisément, le pouvoir est donc mis sous la loupe de plusieurs expériences dont la plus-value n’est pas d’accumuler les analyses de dispositifs pratiques, créneau de recherches déjà bien ancré, mais bien de décomposer et de décliner l’articulation entre participation et pouvoir, capacités et exercice de la citoyenneté. Les dispositifs investigués ici oeuvrent comme autant de laboratoires permettant de décrypter les interactions entre pouvoir et capacités, entre ordre et critique. À la lumière de cadres théoriques diversifiés et de cas d’études mobilisés dans les différentes contributions, peut-on conclure que la distribution du pouvoir entre citoyens et décideurs est modifiée ? Peut-on induire que le pouvoir connaît des recompositions liées à une modification des capacités dont les citoyens disposent à travers les dispositifs qui sont ici analysés ? Nous proposons de répondre à ces questions en mobilisant deux grands axes de comparaison (institutionnalisation–mobilisation et individuel– collectif) permettant de confronter les résultats des différentes contributions. Cette façon de procéder permet d’organiser la réflexion sur la recomposition du pouvoir et des capacités critiques à l’aune de la participation contemporaine avant de conclure sur les jeux de temporalités. Le continuum institutionnalisation–mobilisation permet d’apprécier dans quelle mesure le processus participatif en question est codifié et répond à des logiques spécifiques. La notion d’institutionnalisation réfère à des processus qui seront généralement institués par des acteurs ou des autorités publics ou qui présenteront un degré élevé de codification et de formalisation (sélection des participants, enjeux à débattre circonscrits, temps alloués limités, etc.). Le processus de mobilisation spontanée sera quant à lui le fait d’acteurs de la société civile qui cherchent à changer une situation considérée comme problématique. Généralement, les termes dans lesquels ladite situation est définie ne permettent pas, aux yeux des acteurs, de l’aborder directement. En ce sens, la mobilisation vise à en modifier les termes et à proposer un « cadrage » différent pouvant mener à des actions qui, dans un cadre trop institutionnalisé, n’auraient pas été possibles ou même envisagées. Cette piste, considérant la participation de manière décloisonnée à travers un continuum mobilisation–institutionnalisation, prolonge une série de travaux qui repensent à la fois les agencements institutionnels (Tournay, 2011), les liens entre institutions et critique (Boltanski, 2009), les formats de mobilisation (Bonny et al., 2012) et la théorisation des collectifs (Trom et Kaufmann, 2010). Le continuum individuel–collectif cherche à identifier la conception de l’acteur véhiculée par le processus de type participatif. Certains processus favorisent une dynamique qui renforce des capacités sur le plan de l’individu. C’est notamment le cas des mini-publics, qui mettent beaucoup l’accent sur la capacité du citoyen à délibérer et, surtout, à former des opinions « éclairées » (Warren et Pearse, …

Appendices