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Historien québécois, Jocelyn Létourneau est professeur à l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire et économie politique du Québec contemporain. Auteur de livre et de plusieurs articles sur la construction identitaire, son nouveau livre s’intitule Le Québec entre son passé et ses passages.
Cet ouvrage s’intéresse à l’histoire du Québec et, plus précisément, au rapport que la province entretient avec son passé. Il s’agit d’une réflexion sur la société québécoise et sur son identité qui tourne autour du désir d’altérité et du souci d’historicité (p. 11). Comment s’occuper d’un futur qui n’est pas encore arrivé ? De fait, les sociétés ont depuis toujours réussi à revoir leur histoire tout en adaptant leur identité à des repères. Cela a permis, entre autres, aux sociétés d’affronter les nouveaux défis et de fonder une narration qui permet le vivre-ensemble. Toutefois, l’arrivée de la modernité amène son lot de problèmes qui bouleversent les repères historiques des sociétés. Au Québec, la société est secouée par la mondialisation, la mobilité sociale et l’arrivée des nouvelles générations, ce qui a eu comme conséquence de rendre encore plus complexe la question nationale. Devant cet effritement, il est nécessaire d’explorer d’autres avenues pour revoir le rapport au passé dans les représentations du présent et de l’avenir. Il est donc important de regarder le passer du Québec, mais surtout ses passages, afin de bien comprendre son évolution et d’y voir des pistes de solution qui pourraient faciliter le vivre-ensemble. L’auteur demandera alors : « Quelle narration collective offrir à la société québécoise pour lui permettre de passer à l’avenir sans dénaturer ce qu’elle a été dans le temps ? » (p. 16)
Analyser l’expérience historique pose tout un problème d’approche. Il n’est surtout pas valable, pour Létourneau, de trafiquer l’histoire pour le bien-être des descendants. Il est encore moins valable de voir l’histoire comme un héritage stagnant qui immobiliserait la mémoire. Même si ces solutions ne devraient pas être considérées, il est quand même possible de revoir le passé pour régler les problèmes d’aujourd’hui sans que la trame historique en soit dénaturée. Ainsi, l’auteur propose d’ouvrir l’histoire aux membres de la société qui, comme plusieurs, sont aux prises avec une diversité culturelle qui cause des problèmes à la conciliation d’une mémoire collective. L’objectif de cette ouverture est toujours le même, soit « de permettre aux contemporains de se sentir en lien avec une expérience historique et développer sur cette base des raisons communes » (p. 16).
Afin de mieux comprendre la complexité de cette problématique, l’auteur a divisé l’oeuvre en deux grandes parties, soit ce qui a été (passé) et ce qui s’effectue (passage). Cette coupure permet de comprendre l’étendue des défis de l’histoire nationale tout en laissant place à une synthèse sur le devenir du Québec.
La première partie de l’ouvrage offre une série de chapitres dans lesquels il est question du passé et de l’actualisation de l’histoire et de la mémoire comme enjeux d’avenir au Québec. L’homme étant, selon Létourneau, un animal fondamentalement historique, il constate que la déhistorialisation des sociétés postmodernes serait exagérée. L’être humain ne cesse de se rapporter à l’antériorité pour donner du sens à son actualité et envisager sa postérité (p. 24-25). L’auteur en rend compte, par ses études sur l’éducation de l’histoire dans les écoles : malgré une connaissance historique incomplète, les élèves ont tous développé une mémoire nationale (p. 44). Il pense alors qu’il serait bien que l’enseignement de l’histoire devienne un moyen d’aiguiser l’intelligence des élèves tout en enrichissant les perspectives critiques. Serait-il préférable alors d’ouvrir l’enseignement de l’histoire linéaire à la complexité historique du Québec (p. 67) ?
En fait, la vraie question est de savoir s’il faut craindre une histoire différente du Québec et s’il faut se sortir d’une certaine lecture historique du passé qui a tendance à ramener l’histoire à un simple outil qui répond aux besoins de l’identité. Aussi faut-il encore revoir le sens accordé aux moments fondateurs qui sont devenus de véritables tabous historiques, notamment celui de la Conquête de 1759 (p. 85). N’empêche que le Québec se trouve déjà dans une période de réévaluation identitaire et historique. La commission sur les accommodements raisonnables fut un bon exemple d’exercice de relecture et de redéfinition. Le vivre-ensemble est une construction où le passé est considéré, par cette commission, comme étant la pierre angulaire sur laquelle on doit bâtir l’avenir (p. 87). Il faut répondre à des questions importantes, à savoir de quoi le Québec doit-il se rappeler pour passer à l’avenir et, pour cet avenir, quelles seront les valeurs historiques qui seront privilégiées pour permettre la construction d’une nouvelle histoire commune ?
Dans la deuxième partie, il est plutôt question des problématiques de l’articulation du soi et de l’autre, de l’identité et de l’altérité, du local et du global, qui constituent les points importants des moments de passage au Québec. Toutefois, Létourneau dévoile son optimisme à l’égard de la société québécoise qui, selon lui, fait preuve d’adaptation en réglant d’elle-même la plupart des problèmes théoriques et politiques de la province (p. 16). Cela dit, la société, selon lui, n’existe de façon empirique que dans ses situations de passage. C’est qu’en travaillant constamment sur elle-même, la société fait preuve d’adaptation en se recomposant sous des formes et dans une synthèse qui englobent autant le « connu (patrimoine) que le nouveau (redéploiement) » (p. 168). Le passé ne peut pas être un lieu où la société peut loger éternellement afin de se mettre à l’abri des défis quotidiens. Au contraire, dit Létourneau, le passé doit être une opportunité de réactualisation dans l’action présente, toujours dans la perspective de construire un avenir ouvert pour les contemporains (p. 204). Ainsi, l’arrivée de la modernité et de tous ses problèmes théoriques et politiques aura amené de grands défis pour les intellectuels québécois. Létourneau propose donc « d’accueillir la complexité québécoise contemporaine et de se réconcilier avec les processus de recomposition de cette société qui échappe de plus en plus aux logiques nationalitaires traditionnelles » (p. 229).
Pour terminer, il faut ajouter que cette recension n’est qu’une brève présentation des points considérés essentiels à la présentation de l’oeuvre de Jocelyn Létourneau. Des chapitres qui, écrit-il lui-même, ont été parfois rédigés il y quelque temps, alors que d’autres sont le résultat de longues recherches et peuvent alors être lus séparément et de manière autonome (p. 18). La structure que prend l’ouvrage le rend difficile à résumer convenablement. Elle offre, néanmoins, l’occasion aux lecteurs de s’aventurer, selon leur intérêt, plus aisément dans les textes, puisqu’il n’y a pas de séquence à suivre pour les découvrir. Bien qu’une lecture partielle en soit possible, il reste que l’oeuvre de Jocelyn Létourneau mérite une lecture complète et approfondie puisqu’il offre une analyse lucide et pertinente à ceux qui s’intéressent, de près ou de loin, aux questions de l’histoire dans le destin de la nation québécoise. Il s’agit d’un regard critique, mais surtout d’une réflexion qui offre des pistes de solutions aux problèmes mémoriels : « S’il y a un enseignement à tirer de l’ouvrage, dit-il, c’est celui de substituer la préoccupation du travail de mémoire à l’injonction du devoir de mémoire. » (p. 40)