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Sous la direction et l’initiative de Karine Prémont, cet ouvrage, publié au lendemain même des changements majeurs observés en Afrique du Nord ainsi qu’au Moyen-Orient au début de l’année 2011, regroupe onze chapitres dans lesquels divers auteurs se penchent sur l’épineuse question de l’analyse de la politique étrangère des grandes puissances. D’emblée, la préface de Louis Balthazar souligne l’objectif de l’ouvrage, soit de fournir un manuel francophone sur la politique étrangère pouvant servir autant aux étudiants de premier cycle universitaire qu’à ceux qui désirent se familiariser avec cette discipline. Il est donc essentiel que le lecteur garde en tête cet objectif ultime, réitéré dans l’introduction de Karine Prémont, qui est de rendre accessible la compréhension de l’analyse de la politique étrangère.
Ce livre se divise en deux parties : la première concerne les éléments théoriques de la politique étrangère, tandis que la deuxième partie se penche sur cinq études de cas, permettant ainsi une analyse appliquée de cette discipline. Le premier chapitre vise à comprendre de quelle façon certaines théories des relations internationales considèrent les questions de politique étrangère. En ce sens, ce sont les théories dites mainstream qui sont analysées, soit le réalisme, le libéralisme et le constructivisme. L’auteur, Sébastien Barthe, cerne exclusivement ces trois théories en raison de leur « hégémonie » depuis les vingt dernières années dans la discipline des relations internationales (RI), délaissant la théorie marxiste. Ce chapitre nous apparaît essentiel car il permet de poser le cadre théorique (situé, dans ce cas-ci, à la fin de la guerre froide) dans lequel évolue l’analyse de la politique étrangère. La conclusion de l’auteur pose une critique en énonçant les limites rencontrées lors de la transformation de ces trois approches en une « feuille de route » de la politique étrangère. Si le deuxième chapitre dresse une liste exhaustive des acteurs de la politique étrangère, le troisième chapitre quant à lui questionne plutôt les composantes dites internes des États dans la formulation de leur politique étrangère. Précisément, Victor A. Béliveau énonce trois composantes internes déterminantes, soit l’histoire, la politique nationale et la géographie, relativement à l’analyse de la politique étrangère de chaque État. Si ces trois premiers chapitres façonnent la base de la compréhension de l’analyse de la politique étrangère, Charles-Philippe David amorce le quatrième chapitre en démontrant qu’il est impossible d’éclaircir les changements dans le système international par les seules explications en provenance des théories des RI. En effet, la thèse de l’auteur, basée sur l’analyse décisionnelle, est illustrée par l’exemple de la prise de décision de l’administration de George W. Bush. Cela reprend, sous une autre forme, la question initialement posée par Karine Prémont : comment se fait-il que Zine el-Abidine Ben Ali quitte rapidement le pouvoir en Tunisie au moment des manifestations populaires, alors que Mouammar Kadhafi, sensiblement confronté à la même situation, « s’accroche » à la tête de la Libye ? Indéniablement, cet ouvrage met à jour les nouvelles formes d’analyse de la politique étrangère. En effet, certains chercheurs (dont C.-P. David) étudient l’intégration des variables multi-causales telles que la psychologie ou la gestion pour comprendre l’environnement social des décideurs, proposant ainsi une analyse de la politique étrangère basée sur le facteur humain.
Dans la deuxième section, celle de l’application de l’analyse de la politique étrangère, les auteurs énoncent cinq études de cas, tout en utilisant les outils théoriques de la première partie de l’ouvrage. Si Barthélémy Courmont propose une analyse de la politique étrangère de la Chine avec l’exemple précis de l’Afrique, Pierre Jolicoeur de son côté se penche sur la politique étrangère de la Russie avec l’exemple du cas du Caucase du Sud. Cette section vient enrichir l’ouvrage, car les études de cas s’ancrent dans une réalité concrète des RI.
Il s’agit donc d’un ouvrage qui atteint l’objectif fixé, soit offrir un guide francophone pour la compréhension de la politique étrangère. En effet, il est essentiel de souligner l’apport indéniable de cet ouvrage au champ des RI au niveau du bassin – trop restreint – du corpus francophone. En ce sens, la première section offre de bons outils théoriques au lecteur qui n’est pas familier avec l’analyse de la politique étrangère. Si l’étude de cette discipline est souvent confrontée (voire soumise) aux événements qui façonnent le monde, cet ouvrage propose une mise à jour théorique intéressante. La deuxième section est toutefois indispensable pour étoffer l’ouvrage. Les cas traités par les divers spécialistes – l’Union européenne, les États-Unis au Moyen-Orient, la Chine, la Russie et la question de la stratégie arctique canadienne – s’adressent non seulement à un lecteur peu familier, mais aussi à des personnes dont les connaissances sont plus aiguisées. C’est ce qui nous semble être un élément essentiel à la réussite de l’ouvrage. En ce qui concerne la forme du livre, les auteurs respectent l’auditoire ciblé, c’est-à-dire les étudiants de premier cycle universitaire, en offrant, à la fin de chaque chapitre, une série de questions de révision. L’intérêt réside cependant dans la bibliographie qui permet d’approfondir les éléments abordés dans chaque chapitre. Ultérieurement, afin de continuer à contribuer au champ des relations internationales dans le monde francophone, il serait intéressant de réfléchir à un ouvrage plus pointu, se distançant de la forme du manuel scolaire.