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La parution chez les Éditions Modulo de La globalisation de la politique mondiale est certes un développement attendu pour tous ceux déjà familiarisés avec la version anglaise de l’ouvrage. Celle-ci s’était rapidement imposée comme un incontournable dans le champ des relations internationales (RI) par son efficacité pédagogique et sa rigueur. On ne peut que saluer l’adaptation française qui devrait s’avérer un outil de la plus grande utilité autant pour les enseignants que pour les étudiants des RI dans le monde francophone.
Adapté par Afef Benessaieh et son équipe à partir d’éléments provenant des deux plus récentes éditions du volume de Baylis, Smith et Owens, l’ouvrage se découpe en quatre parties et 31 chapitres. Après un exercice de contextualisation historique des relations internationales suivent dans l’ordre une partie dédiée à différentes théories des relations internationales, une partie sur les « structures et dynamiques » de la politique mondiale, puis finalement une partie traitant de divers enjeux contemporains.
Il faut noter dès le départ qu’il ne s’agit pas d’une simple traduction. L’ouvrage présente, par rapport à la version anglaise, une série de modifications, de coupures et de précisions, sous la supervision scientifique de Jean-François Thibault et Frédérick Guillaume Dufour, qui ont pour effet de clarifier et de rendre plus accessibles au public francophone certains passages, par exemple en utilisant des références historiques plus connues dans le monde francophone, ce qui est bienvenu étant donné le caractère éminemment américano-centré de la discipline en général. Les « lectures utiles » regroupées à la fin des chapitres privilégient les sources en français et la bibliographie constitue en elle-même un outil opportun pour la communauté francophone des RI.
Le livre présente de nombreux outils de compréhension qui découpent les textes. Une série d’encadrés, d’études de cas résumées en quelques paragraphes, de groupes de puces synthétisant les idées principales de chaque section, etc. couvre l’ensemble des chapitres, déjà rédigés avec un grand souci pédagogique au départ. Si d’une part un tel attirail d’outils pédagogiques aide sans doute le lecteur à isoler les enjeux centraux et à procéder à une lecture synthétique, il tend toutefois à gommer les nuances en attirant constamment l’attention sur les formules simplifiées plutôt que sur le corps du texte, d’où le risque parfois de « sloganiser » une série d’idées ou d’enjeux complexes. En ce sens, une mise en page plus sobre aurait pu être envisageable sans pour autant entamer l’efficacité pédagogique exceptionnelle du manuel.
Après un chapitre d’introduction et un chapitre portant sur le concept et l’histoire de la « globalisation », distinguée par les auteurs de la « mondialisation » sur la base d’un référent conceptuel dépassant l’aspect « purement géographique » du phénomène et mettant l’accent sur son caractère structuré, la première partie du volume qui traite de l’histoire des relations internationales tente d’offrir un récit « mondial » allant au-delà de la civilisation occidentale, avec des résultats mitigés. L’inclusion de quelques événements ayant eu cours au sein des civilisations chinoise ou islamique ne suffit pas à désoccidentaliser le récit historique, quoique la position postpositiviste avouée des éditeurs sur le plan de la normativité laisse présager que les efforts en ce sens sont authentiques, même si chaque auteur garde bien entendu ses propres spécificités et que l’ouvrage, en tant que collectif, présente un vaste éventail de positions théoriques et normatives.
La partie suivante offre un portrait simplifié, mais non pas simpliste, des principales théories en RI. Les introductions théoriques relèvent toujours en partie de constructions aux fins pédagogiques et rares sont les introductions au réalisme, par exemple, qui rendent compte des nuances que l’on retrouve chez les auteurs associés à ce courant. Cela étant dit, dans la mesure où cette section vise à synthétiser sans caricaturer les discours théoriques qui construisent la discipline des RI, elle y réussit. À l’intérieur des limites posées par la structure de l’ouvrage, on note que les textes se déploient dans un véritable effort de style et de clarté pour établir ces fameuses nuances non seulement entre les divers courants au sein même d’une tradition théorique, dont entre la théorie du système-monde et le gramscianisme dans les théories marxistes des RI, mais également entre les auteurs catégorisés comme appartenant aux mêmes courant ou sous-courant. On différencie par exemple Mearsheimer et Waltz au sein du réalisme dit « structurel », au-delà du noyau synthétisé en trois temps que l’on attribue ici aux « réalistes », c’est-à-dire l’étatisme, la survie et l’autosuffisance. Ces nuances font en sorte que les chapitres, même s’ils se veulent introductifs et synthétiques, vont certainement intéresser les initiés à la discipline.
Comme dans la version anglaise, on ne parle pas des théories féministes dans la section théorie, qui gagnerait de l’ajout d’un tel chapitre. Elles font toutefois l’objet d’un résumé dans le chapitre sur les enjeux de genre en RI dans la partie suivante. La catégorisation des théories qu’offre ce volume rencontre toutefois quelques limites en se concentrant sur les grands « ismes » (réalisme, libéralisme, constructivisme, marxisme, etc.), surtout lorsqu’on constate que les références à l’une des théories majeures des 25 dernières années, la théorie de la paix démocratique, se saupoudrent sur trois chapitres et deux sections différentes. Soulignons la bonne idée d’avoir regroupé certains enjeux normatifs et débats éthiques majeurs dans un chapitre sur l’éthique internationale, à même la section théorie. Il faut aussi noter la place faite aux discours théoriques critiques dont l’émergence dans les 25 dernières années a renouvelé le champ en profondeur. L’adaptation française inclut d’ailleurs les deux nouvelles additions de la cinquième édition anglaise, à savoir les chapitres sur le postcolonialisme et le poststructuralisme.
La troisième partie de l’ouvrage traite des « structures et dynamiques » des relations internationales, avec des chapitres fort intéressants et exhaustifs sur des enjeux tels que la guerre, la sécurité, l’économie politique internationale, etc. Elle traite également du déplacement du point d’ancrage ontologique dans les études des régimes au cours des 30 dernières années, allant de ceux-ci vers les organisations internationales et les acteurs non étatiques transnationaux, mouvement couvert de façon probante sur trois chapitres fort bien construits.
La quatrième partie enfin traite d’« enjeux internationaux » qu’on semble qualifier de plus ponctuels ou contemporains par rapport aux sujets de la troisième partie qui représenteraient des tendances structurelles à plus long terme de la politique mondiale. Cette séparation, bien que justifiée à certains égards, n’est toutefois pas en tous points convaincante dans la mesure où elle suggère par exemple que des développements relativement récents comme l’Organisation des Nations unies seraient en quelque sorte des tendances à plus long terme du système international que les processus de régionalisme ou le commerce mondial notamment, abordés dans la quatrième partie et dont on pourrait faire remonter l’origine et l’évolution des systèmes internationaux antiques à aujourd’hui. Cette séparation pourrait aussi sembler affirmer que le genre ou les régimes structureraient la politique mondiale de façon plus profonde que le nationalisme ou la pauvreté, le développement et la faim, ce qui ne va pas nécessairement de soi à la fois dans la théorie et la pratique des RI. Une grande section traitant des structures et des enjeux aurait sans doute fait l’affaire sans établir une distinction plus ou moins utile entre ce qui s’avère en fait différents sous-champs d’études au sein de la discipline. Cette catégorisation est toutefois reproduite à partir de la version anglaise. Notons par ailleurs les excellents traitements dans la quatrième partie du terrorisme, des enjeux environnementaux et du commerce mondial et de la finance globale. Ici, l’ouverture manifestée dès le départ aux enjeux souvent occultés par les approches et les pratiques dominantes en RI se reflète dans l’inclusion de chapitres portant par exemple sur la sécurité humaine comme un enjeu relié à celui de la sécurité nationale et internationale – tout en étant distinct –, tout comme l’inclusion d’un chapitre sur la pauvreté, le développement et la faim.
En conclusion, c’est le thème de la globalisation qui structure l’ensemble de l’ouvrage, en ce sens que la question de recherche des chapitres tourne souvent autour de l’impact de la globalisation sur le sujet traité. Le chapitre sur la sécurité internationale reconnaît les changements sur les théories et les pratiques de sécurité apportés par la globalisation, tout en concluant qu’il est peu probable de voir émerger un nouveau paradigme sécuritaire plus pacifique. Même si l’on trouve un éventail varié de positions sur la question de la globalisation, le postulat qu’elle constitue la trame de fond de la réalité mondiale contemporaine demeure toutefois implicite dans la structure même de l’ouvrage. Notons toutefois, au-delà de l’inévitable effet structurant exercé par des axes d’orientation communs, l’esprit de corps salutaire entre les différentes parties. Entre autres, le chapitre sur les enjeux environnementaux renvoie aux théories des régimes discutées dans la deuxième partie. Cela fait de La globalisation de la politique mondiale plus qu’une simple collection d’avis d’experts ou de chapitres purement introductifs, mais un véritable portrait d’ensemble du champ qui s’avère indéniablement l’outil pédagogique de niveau baccalauréat (et maîtrise) le plus complet disponible en langue française.