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Plusieurs ouvrages critiques des politiques contemporaines de santé ont été publiés ces dernières années sur des sujets chauds comme la privatisation, le manque de ressources ou les crises de financement. Peu d’entre eux toutefois nous montrent une vue d’ensemble du système de santé canadien. C’est ce à quoi on s’attendait avec le livre de Nicole F. Bernier, L’environnement politique de la santé. On y trouve effectivement une description du système de santé, mais, malgré son titre, ce n’est pas le but premier de l’ouvrage. Celui-ci porte plutôt sur les façons d’aborder les problématiques en politique publique et se veut un ouvrage destiné avant tout aux chercheurs débutants en science politique.
En partant, la structure de l’ouvrage n’est pas classique. On peut le découper en deux parties : le système de santé canadien (chap. 1 à 3) et une méthodologie de recherche en politique publique (chap. 4 à 7). L’auteure justifie ses choix comme suit en introduction : « j’ai voulu fournir un ancrage concret – le système de santé et les politiques de santé – à partir duquel introduire des connaissances de base sur le fonctionnement du système politique, les mécanismes de prise de décision, les concepts théoriques et les approches méthodologiques pour analyser les politiques publiques » (p. 2). Il n’empêche que nous avons nettement l’impression d’avoir deux monographies en main. Le lien entre les deux n’est pas du tout évident. Si, effectivement, la description du système de santé devait servir d’application (si l’on peut interpréter « ancrage » ainsi) à une méthodologie de recherche des politiques publiques, n’aurait-il pas été préférable d’inverser l’ordre de ces deux parties et, surtout, de retenir un titre du genre « Analyse des politiques publiques : le cas de la santé » ?
Quoi qu’il en soit, portons maintenant notre attention sur le contenu de l’ouvrage. Le premier chapitre est consacré à une description des systèmes politiques canadien et québécois. On y trouve des considérations théoriques sur les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, mais l’auteure insiste surtout sur ce qu’on pourrait appeler l’« appareil d’État », entendu ici comme les organigrammes des ministères et les relations d’autorité entre les groupes avec l’accent mis sur le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. Cette approche concrète et bien vulgarisée en fait à mon avis une très bonne introduction au système de santé. On relèvera toutefois une lacune, ou peut-être une occasion manquée étant donné l’actualité, concernant le « pouvoir de dépenser » du fédéral, dont l’élaboration est beaucoup trop brève (p. 28).
Les chapitres 2 et 3 sont consacrés au système canadien de santé, avec une attention particulière au système québécois. Le choix du Québec ne doit pas être vu comme restrictif, car au niveau de généralité de l’ouvrage, les systèmes provinciaux se ressemblent beaucoup. Pour l’analyse du système dans sa globalité, l’auteure a recours à la notion de health care state de Michael Moran qui distingue l’aspect social des services de santé et des effets redistributifs vers les plus démunis, l’aspect économique du système de santé comme créateur d’emplois et de richesse, et l’aspect politique où se façonnent les compromis (p. 40-53). Après une classification de l’État providence canadien selon la grille classique d’Esping-Anderson (p. 58-64), l’auteure en vient finalement à la description proprement dite du système canadien, qui fait six pages (p. 64-70). Elle mentionne succinctement les cinq éléments clés du système : la séparation des pouvoirs en 1867, la Loi canadienne sur la santé, la réforme des transferts fédéral-provincial de 1996, celle des années 2000, et le jugement Chaoulli ouvrant la porte au privé dans le système québécois. Bien que la présentation théorique et classificatoire dans son ensemble soit utile et intéressante, il manque trop de détails qui permettraient de bien comprendre le système canadien de santé ; mais rappelons-nous qu’il s’agit ici d’un ancrage pour un projet plus gros, celui de l’analyse des politiques publiques. On trouvera, cela dit, une chronologie commentée à la toute fin de l’ouvrage.
Le reste de l’ouvrage est un ensemble de considérations sur la méthodologie de recherche en politique publique. Dans les deux premiers chapitres (4 et 5), on apprend l’élaboration des objectifs de recherche et les approches théoriques. Le traitement schématique de l’analyse des politiques publiques au chapitre 4 est excellent L’auteure aborde les distinctions entre politique officielle et politique appliquée et les dimensions à étudier. Elle propose aux chercheurs une évaluation de l’objet à l’étude en trois étapes, les déterminants, le contenu et les effets des politiques publiques, reliées respectivement aux aspects explicatif, descriptif et normatif. Je n’aurais aucun problème à suggérer cette approche à un jeune chercheur en science politique empirique. La leçon se poursuit au chapitre 5 avec les considérations méthodologiques. Essentiellement, Bernier y mentionne les avantages et les inconvénients de l’étude de cas et de l’approche comparative, avec une préférence marquée pour cette dernière. Bien que son argumentaire soit tout à fait valable, je trouve qu’elle évacue un peu rapidement l’étude de cas. Elle semble la relier en fin de compte à une approche strictement idiographique où les comparaisons ne sont pas possibles. D’abord, les études de cas singuliers peuvent conserver une comparabilité si on a recours à une grille d’analyse standard. Ensuite, cela dépend du but de la recherche. En science politique, il est tout à fait possible que l’objectif final soit de conseiller les pouvoirs sur la marche à suivre et ici l’étude de cas est souvent essentielle. L’opinion de l’auteure selon laquelle l’approche comparative est plus « scientifique » (p. 103-104) n’est pas bien fondée et ressemble à un jugement de valeur.
Les deux derniers chapitres (6 et 7) introduisent le néo-institutionnalisme comme théorie privilégiée pour l’analyse des politiques. C’est au jugement de l’auteure, mais le choix est justifié et il s’agit d’une théorie populaire de nos jours, que tout chercheur devrait au moins connaître. La théorie n’y est pas présentée systématiquement ; Bernier expose plutôt quelques manières générales de concevoir la recherche au sein d’un paradigme néo-institutionnalisme. La diversité des théories est appréciée, malgré qu’on y trouve un penchant apparent pour les versions structuralistes, comme celles de Mayntz et de Scharpf (p. 138-140). Comme pour le reste de l’ouvrage, le champ est très bien vulgarisé et d’une lecture accessible même aux néophytes. Il y a un problème par contre à la fin de l’ouvrage : il n’y a pas de conclusion ! Les quatre dernières pages s’intéressent au rôle des idées politiques dans la prise de décision, puis vient la bibliographie. Déjà que, comme mentionné au début, l’ouvrage souffre d’une structure chancelante, l’absence complète de conclusion n’aide pas.
Ce livre atteint ses objectifs, annoncés et présumés, de façon inégale. Il s’adresse aux jeunes chercheurs et aux non-spécialistes et, en cela, l’ouvrage est réussi car il est très accessible et fournit une boîte à outils pour la recherche qui devrait en intéresser plus d’un. Pour ce qui est du traitement des politiques publiques, l’ouvrage est certes intéressant mais peut-être trop court. Je ne critique aucunement l’approche partiale privilégiée par l’auteur, nommément une certaine forme de néo-institutionnalisme, mais pour un tableau complet, le chercheur débutant devra aller se ressourcer ailleurs. Pour le système de santé toutefois, comme mentionné, l’ouvrage est décevant. En lisant l’introduction, on s’aperçoit que ce n’est pas le sujet principal, alors que le titre laisse croire le contraire. Le titre et la structure devraient donc être refaits. En conclusion, je recommande le livre à tout chercheur en science politique en panne de méthode, mais je ne peux faire preuve de la même courtoisie pour ceux qui voudraient connaître le fonctionnement du système de santé canadien.