Abstracts
Résumé
Cet article porte sur la relation entre célibat et installation dans les zones rurales françaises. Il cherche à savoir si l’on peut expliquer la baisse des installations par des facteurs matrimoniaux et, plus particulièrement, le fort taux de célibat des jeunes agriculteurs. Il soutient que les politiques d’installation n’ont pas eu les effets escomptés parce qu’elles n’ont pas tenu compte de la difficulté pour un agriculteur de trouver une relation sentimentale stable. À l’aide d’une étude statistique de données du recensement de la population et d’un sondage réalisé auprès de 588 agriculteurs, les auteurs montrent que le célibat masculin explique mieux que le revenu la baisse des installations en agriculture et qu’il est – pour des raisons de perception subjective – sous-estimé aussi bien par les syndicats d’agriculteurs que par les pouvoirs publics.
Abstract
This article investigates the relation between bachelorhood and setting up as a farmer in French rural zones. To what extent do matrimonial factors impact on the decline of the number of the farms ? Is the strong rate of bachelors among young farmers an incentive against setting up on a farm ? We claim that the policy related to agricultural setting up did not realize its objective because it did not take into account the difficulty for a farmer to find a steady sentimental relationship. Using data extracted from the French census and exploiting a poll conducted among 588 farmers, the authors show that bachelorhood more than income explains the decrease in the number of farms. They also explain why this cause is underestimated by agricultural trade unions and policy-makers.
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Appendices
Notes biographiques
François Facchini est économiste au Centre d’économie de la Sorbonne (Paris 1) et enseigne à l’Université de Reims Champagne–Ardenne. Il travaille sur l’intervention publique dans les domaines agricole et environnemental et plus généralement sur l’avènement de la propriété dans différentes civilisations. Il a récemment publié dans : European Journal of Law and Economics, Quarterly Journal of Austrian Economics, Revue française d’économie, Économie rurale,Revue française de gestion, Politiques et management public, L’Actualité économique, Revue d’économie régionale et urbaine et Reflets et perspectives de la vie économique. [http://laep.univ-paris1.fr/facchini]
Raul Magni Berton est professeur de science politique à l’Institut d’Études Politiques (IEP) de Grenoble et chercheur à PACTE. Il travaille actuellement sur les élections et la perception subjective des valeurs. Il a récemment publié dans : Revue française de science politique, French Politics, Raisons politiques, Revue de philosophie économique,Revue internationale de politique comparée, Économie rurale et L’Année sociologique. Il a également coécrit un essai, La misère des intellectuels. Pourquoi s’opposent-ils au capitalisme ? (avec Diego Ríos, L’Harmattan, 2003), et codirigé le volume Euroscepticism : Images of Europe among Mass Publics and Political Elites (avec Dieter Fuchs et Antoine Roger, Barbara Budrich, 2009).
Notes
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[1]
Le candidat à la DJA doit remplir certaines conditions : il ne doit pas avoir atteint l’âge de 40 ans à la date de son installation, il doit être agriculteur à titre principal, être français ou ressortissant d’un pays membre de la communauté européenne, posséder un diplôme égal au baccalauréat professionnel ou au brevet de technicien agricole, faire un stage de six mois hors de l’exploitation familiale, suivre une formation de 40 heures dans un centre spécialisé, faire une étude prévisionnelle d’installation (EPI) afin de mettre en lumière les capacités techniques et financières de l’exploitation et s’engager à opter pour le régime simplifié d’imposition à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), à rester agriculteur à titre principal pendant dix ans et à faire les travaux d’équipement exigés par la réglementation sur la protection de l’environnement dans un délai de trois ans.
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[2]
Le CTE installation progressive s’adressait à un public âgé de 21 à 35 ans qui s’installait à titre principal ou secondaire hors cadre familial. Il avait pour objectif de favoriser l’accès aux responsabilités des chefs d’exploitation à des jeunes agriculteurs qui seraient ensuite aptes à bénéficier des aides publiques à l’installation pendant une période de cinq ans préalables à l’installation. Ce contrat devait permettre aux signataires d’acquérir la capacité professionnelle agricole nécessaire à l’obtention des aides à l’installation.
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[3]
Alain Blogowski, François Colson et Yves Léon (1992) montrent que le taux d’endettement élevé fragilise les exploitations dont la viabilité administrative est avérée, mais qui ont des charges financières trop élevées par rapport à leur revenu.
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[4]
Les travaux sur les mesures agri-environnementales et les CTE environnement ont conduit à une conclusion similaire (Facchini, 2003).
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[5]
Ce dispositif des préretraites mis en place en octobre 1991 a, selon la déclaration des intéressés, permis des installations nouvelles (Allaire et Daucé, 1996).
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[6]
Le CNASEA n’existe plus aujourd’hui. Il a été remplacé par l’Agence de service et de paiement (ASP) qui a fusionné le CNASEA et l’Agence unique de paiement. L’ASP est un établissement placé sous la double tutelle du ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche et du ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi. Cette agence instruit les dossiers d’aide, les verse, les contrôle et propose une assistance technique.
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[7]
Le questionnaire a été conçu par les auteurs et distribué par le CNASEA par courrier en 2006. Un taux de réponse de 30 % environ a été enregistré, ce qui a permis de travailler sur 588 réponses exploitables.
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[8]
La question « êtes-vous satisfait de votre condition d’agriculteur ? » comporte quatre choix de réponse : oui, assez, assez peu, pas du tout. Techniquement, son traitement statistique demandait l’utilisation d’une régression tobit, et non d’un OLS comme nous l’avons fait. Nous avons opté pour cette dernière après avoir contrôlé que les résultats restent les mêmes, car les résultats sont plus facilement interprétables par le lecteur non spécialiste. Le même problème se posera plus tard avec la question « Avez-vous déjà songé à aller travailler dans une ville ? », qui n’offre que deux choix de réponse : oui et non. Là aussi nous avons préféré une régression linéaire à une logistique, après avoir contrôlé la similarité de leurs résultats.
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[9]
Nous aurions préféré la marge brute standard (MBS) comme indicateur de richesse, mais beaucoup trop de répondants on refusé de répondre à cette question. La SAU reste l’indicateur le plus proche pour mesurer la richesse.
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D’après les données de l’INSEE, le pourcentage des agriculteurs dans un département donné est corrélé au taux de célibat masculin global par département (r = 0,36) et avec le ratio hommes/femmes (r = 0,52). À la campagne, il semble bien y avoir un déséquilibre entre les sexes qui engendrerait mécaniquement davantage de célibat masculin.
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[11]
Cette réflexion ne vaut que pour ceux qui s’installent alors qu’ils sont encore célibataires. Il va de soi qu’une autre stratégie consiste à s’installer après avoir une relation stable. Selon les régions, cette deuxième stratégie est plus ou moins développée (Barthez, 1994).
Bibliographie
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