Abstracts
Résumé
Dans cet article, nous défendons la nécessité d’articuler les luttes pour la reconnaissance aux luttes pour l’appropriation. Nous effectuons d’abord un retour sur le déficit socioéconomique de la Théorie critique du capitalisme. Puis, nous tentons d’arrimer la problématique de la reconnaissance à une critique sociohistorique du capitalisme. Nous présentons comment Marx avait lié les questions du capitalisme, de l’accumulation et de la reconnaissance. Enfin, nous exposons des développements au sein du marxisme occidental qui nous paraissent plus aptes à développer les enjeux soulevés par la problématique de la reconnaissance dans le capitalisme avancé.
Abstract
In this paper, we argue in favour of embedding struggles for recognition in struggles for appropriation. In the first section, we highlight the socio-economic antinomies of the Frankfurt’s School critique of capitalism. Then, through a presentation of Marx, we seek to anchor struggles for recognition in a socio-historical critique of capitalism. Lastly, we seek to present promising theoretical developments within Western Marxism to address the issue of recognition in advanced capitalism.
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Appendices
Notes
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[1]
Nancy Fraser, 1995, « From Redistribution to Recognition ? Dilemmas of Justice in a “Postsocialist” Age », New Left Review, no 212, p. 68-93.
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[2]
Walter Benn Michaels, 2006, The Problem with Diversity, New York, Metropolitan Books.
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[3]
Wendy Brown, 2006, Regulating Aversion, Princeton, Princeton University Press.
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[4]
Jacques Beauchemin, 2007, La société des identités, Montréal, Athéna.
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[5]
Aijaz Ahmad, 1994, In Theory. Nation, Classes and Literature, New York, Verso ; Timothy Brennan, 2000, Wars of Position. The Cultural Politics of Left and Right, New York, Columbia University Press.
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[6]
Adam David Morton, 2006, « The Grimly Comic Riddle of Hegemony in IPE : Where is Class Struggle ? », Politics, vol. 26, no 1, p. 62-72.
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[7]
David McNally, 2007 [2e éd.], Another World is Possible, Winnipeg, Arbeiter Ring ; Ellen M. Wood, 1995, Democracy Against Capitalism, Cambridge, Cambridge University Press ; Eric Hobsbawm, 1996, « Identity Politics and the Left », New Left Review, no 217, p. 38-47 ; Göran Therborn, 2009, From Marxism to Postmarxism ? Londres, Verso ; Michel Freitag, 1992, « Identité, altérité et le politique », Société, no 9, p. 1-55.
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[8]
Nous utilisons Théorie critique (avec la capitale initiale) pour désigner le courant théorique qui s’inspire des travaux de l’École de Francfort et théorie critique pour désigner les théories qui ne s’inscrivent pas nécessairement dans le sillon des travaux de cette école.
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[9]
Ellen M. Wood, 1995, « Civil Society and the Politics of Identity », dans Democracy Against Capitalism, sous la dir. d’Ellen M. Wood, op. cit., ; voir aussi, Ellen M. Wood, 1998, TheRetreat From Classes, Londres, Verso.
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[10]
Keith Banting et Will Kimlicka (dir.), « Introduction », dans Multiculturalism and the Welfare State. Recognition and Redistribution in Contemporary Democracies, Oxford, Oxford University Press, p. 15-18.
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[11]
Nous préférons l’expression « luttes pour l’appropriation » à celles de « luttes pour la redistribution » ou « luttes pour la distribution ». Ce dont il s’agit fondamentalement ce sont des luttes sociales pour l’appropriation du travail social et de la production sociale. L’articulation de ces luttes à travers la « redistribution » étatique est seulement une des modalités que peut prendre la médiation de ces luttes.
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[12]
Ce à quoi Jürgen Habermas (1985, « Pour une reconstruction du matérialisme historique », Après Marx, Paris, Hachette, p. 86) référait comme la « double réflexivité » du matérialisme historique.
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[13]
Moishe Postone, 2003, Time, Labor, and Social Domination. A Reinterpretation of Marx’s Critical Theory, Cambridge, Cambridge University Press, p. 84.
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[14]
Moishe Postone et Barbara Brick, 1993, « Critical Theory and Political Economy », dans On Max Horkheimer. New Perspectives, sous la dir. de Seyla Benhabib, Wolfgang Bonss et John McCole, Cambridge, MIT Press, p. 215-220.
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[15]
Abbot Gleason, 1995, Totalitarianism : The Inner History of the Cold War, Oxford, Oxford University Press.
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[16]
Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, [1947] 1974, La dialectique de la raison, Paris, Gallimard ; Max Horkheimer, [1946] 1974, L’éclipse de la raison, Paris, Payot.
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[17]
Jürgen Habermas, 1987, Théorie de l’agir communicationnel, 2 vol., Paris, Fayard ; Karl-Otto Apel, 1998, Toward a Transformation of Philosophy, Milwaukee, Marquette University Press.
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[18]
Postone et Brick, « Critical Theory and Political Economy », p. 215-256.
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[19]
Jürgen Habermas, 1978, Raison et légitimité, Paris, Payot, p. 70.
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[20]
Habermas poursuit l’étude philosophique et sociologique des fondements démocratiques de l’État de droit dans Droit et démocratie, 1992, Paris, Gallimard.
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[21]
Jürgen Habermas, 1998, L’intégration républicaine, Paris, Fayard.
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[22]
Nancy Fraser, 2000, « Rethinking Recognition », New Left Review, no 3, p. 107-120, à la p. 109. [Cette citation et toutes celles dont la source est anglaise sont des traductions libres.]
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[23]
Id., p. 117. [En italique dans le texte.]
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[24]
Id., p. 118. [Nos italiques.]
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[25]
À l’instar de Keith Banting et Will Kimlicka, nous ne croyons pas que nous puissions déduire a priori dans quelles mesures les luttes pour la reconnaissance ont favorisé la mise en place de l’État néolibéral en détournant l’attention des luttes pour la réappropriation des surplus sociaux. L’évaluation de cette tension doit reposer sur des études empiriques et comparatives. Contrairement à ces deux auteurs, nous insistons sur l’importance d’historiciser ces luttes afin de ne pas les extraire de leurs trajectoires sociales. Sur l’histoire sociale et l’articulation classe et race, voir l’ensemble des travaux en amont de l’ouvrage de David R. Roediger, 1999, The Wage of Whiteness. Revised Edition, Londres et New York, Verso. Pour l’articulation classe et genre, nous renvoyons notamment à l’effort de théorisation au sein du journal The History Workshop.
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[26]
Nancy Fraser et Axel Honneth, 2003, Redistribution or Recognition ? A Political-Philosophical Exchange, Londres et New York, Verso.
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[27]
G.W.F. Hegel, 1959, La philosophie de l’esprit, 2 vol., Paris, Montaigne.
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[28]
Axel Honneth, 2007, La réification. Petit traité de Théorie critique, Paris, Gallimard, p. 35.
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[29]
Certains soulignent que les aspects qui nous paraissent plus problématiques chez Honneth caractérisent principalement les développements récents de son travail théorique. Voir notamment Jean-Pierre Deranty, 2005, « Les horizons marxistes de l’éthique de la reconnaissance », Actuel Marx, no 38, p. 159-178.
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[30]
Michel Seymour, 2008, De la tolérance à la reconnaissance, Montréal, Boréal, 708 p.
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[31]
Franck Fischbach, 1999, Fichte et Hegel, La reconnaissance, Paris, Presses universitaires de France, 136 p.
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[32]
Honneth, La réification…, p. 31.
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[33]
Id., p. 44.
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[34]
Id., p. 52-53.
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[35]
Id., p. 78.
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[36]
Axel Honneth et Martin Hartmann, 2006, « Paradoxes of Capitalism », Constellations, vol. 13, no 1, p. 41-58. L’étude de l’idéologie managériale par Luc Boltanski et Eve Ciapello se base sur une littérature portant sur les problèmes de régulation et d’orientation significative des salariés participant aux processus de gestion des organisations capitalistes et, de manière périphérique, aux employés qualifiés associés aux processus de création, de recherche et de design, plutôt qu’au vécu et aux régulations effectives de la masse des salariés. Cette analyse, comme le souligne Honneth, concerne une minorité de salariés haut-placés. (Voir Luc Boltanski et Eve Ciapello, 1999, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard.)
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[37]
Postone et Brick, « Critical Theory and Political Economy », p. 215-256.
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[38]
Pour une introduction aux différentes théories sociologiques des classes sociales, voir Eric Olin Wright (dir.), 2005, Approaches to Class Analysis, Cambridge, Cambridge University Press.
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[39]
Postone et Brick, « Critical Theory and Political Economy », p. 230.
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[40]
Karl Marx, Le Capital, t. 1, Paris, Presses universitaires de France, chap. 1.
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[41]
Id., chap. 1, sect. 3 et chap. 10.
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[42]
Michel Freitag, 2008, L’impasse de la globalisation, Montréal, Écosociété.
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[43]
Derek Sayer, 1991, Capitalism and Modernity. An Excursus on Marx and Weber, New York, Routledge, p. 60.
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[44]
Id., p. 60-61.
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[45]
Id., p. 65.
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[46]
À moins, comme le souligne Hegel, qu’elle ne débouche sur la mort des deux sujets. Une éventualité où la lutte des classes peut se résorber par la destruction des antagonistes.
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[47]
Jürgen Habermas, 1978, L’espace public, Paris, Payot, p. 126-138.
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[48]
Dans cette représentation quasi christologique du prolétaire, le modernisme de Marx atteint son apogée. (Marshall Berman, 1988, All That Is Solid Melts Into Air, Londres, Penguin Books.)
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[49]
Ellen M. Wood, « History or Teleology », dans Democracy Against Capitalism, op. cit. ; Derek Sayer, 1990, Modernity and Capitalism, Londres, Routledge.
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[50]
La plus-value absolue (logique extensive) et la plus-value relative (logique intensive) de Marx.
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[51]
Nous reprenons la définition de capital de la théorie des relations sociales de propriété : « a social relation between persons in which all “factors of production,” including labour-power, have become commoditised and where production of goods for exchange has become market-dependent and market-regulated. On this basis, capitalism does not mean simply production for the market, but competitive reproduction in the market based on a social-property regime in which property-less direct producers are forced to sell their labour-power to property-owners. This separation of direct producers from their means of reproduction and their subjection to the capital relation entail the compulsion of reproduction in the market by selling labour-power in return for wages. This social system is uniquely dynamic, driven by competition, exploitation and accumulation. » (Benno Teschke, 2005, « Bourgeois Revolution, State Formation and the Absence of the International », Historical Materialism, vol. 13, no 2, p. 3-26, à la p. 11.)
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[52]
Robert Brenner, 1995, « The Agrarian Roots of European Capitalism », dans The Brenner Debate, sous la dir. de T.H. Ashton et C.H.E. Philpin, Cambridge, Cambridge University Press, p. 213-327.
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[53]
Christopher A. Bayly, 2007, La naissance du monde moderne : 1780-1914, Paris, Éditions de l’Atelier ; Hannes Lacher, 2006, Beyond Globalization, New York, Routledge ; Frédérick Guillaume Dufour, 2007, « Social Property Relations and the Uneven and Combined Development of Nationalist Practices », European Journal of International Relations, vol. 13, no 4, p. 583-604.
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[54]
Edward P. Thompson, 1994, Customs in Common, New York, The New Press ; Raymond Williams, 1997, Problems in Materialism and Culture, New York, Verso ; Emmanuel Renault, 2008, Souffrances sociales, Philosophie, psychologie et politique, Paris, La Découverte.
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[55]
Sandra Halperin, 1997, « The Myth of Democracy Before the First World War », dans In the Mirror of the Third World, Ithaca, Cornell University, p. 167-188.
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[56]
Gilles Bourque, Jules Duchastel et Éric Pineault, 1999, « L’incorporation de la citoyenneté », Sociologie et Sociétés, vol. 31, no 2, p. 41-64.
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[57]
Jacqueline Jones, 1999, A Social History of the Laboring Class. From Colonial Times to the Present, Malden, Blackwell, p. 172-201 ; Robert Brenner, 2007, « Structure vs Conjuncture », New Left Review, no 43, p. 33-59.
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[58]
Robert Castel, 1999, Les métamorphoses de la question sociale, une chronique du salariat, Paris, Fayard ; Lizabeth Cohen, 2003, A Consumers’ Republic : The Politics of Mass Consumption in Postwar America, New York, Vintage Books.
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[59]
Cohen, 1993, A Consumers’ Republic, op. cit.
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[60]
Brian Waddel, 2000, « Limiting National Interventionism in the United States : The Welfare-Warfare State as a Restrictive Paradigm of Governance », Capital and Class, no 74, p. 109-139 ; Brenner, « Structure vs Conjuncture », p. 33-59.
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[61]
Benno Teschke et Christian Heine, 2002, « The Dialectic of Globalization : A Critique of Social Constructivism », dans Historical Materialism and Globalization, sous la dir. de Mark Rupert et Hazel Smith, Londres, Routledge, p. 165-187.
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[62]
Robert Brenner, 2006, The Economics of Global Turbulence, New York, Verso ; Martijn Konings, 2008, « The Institutional Foundations of US Structural Power in International Finance : From the Re-emergence of Global Finance to the Monetarist Turn », Review of International Political Economy, vol. 15, no 1, p. 35-61.
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[63]
Nancy Fraser, dans Fraser et Honneth, Redistribution or Recognition ?, p. 48.
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[64]
Terme juridique anglais qui s’apparente à celui de « société » dans le droit civil, c’est-à-dire d’une entreprise capitaliste organisée en société par actions et jouissant de la personnalité morale, mais qui a connu un développement institutionnel marqué par la dissolution de la référence à l’association pour plutôt retenir une référence à la corporéité de l’organisation capitaliste, résultant en une plus grande naturalisation de l’entreprise comme entité sociale ayant une légitimité prépolitique.
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[65]
Heide Gerstenberger, 2008, Impersonal Power, Leiden, Brill.
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[66]
Rolande Pinard, 2008, La révolution du travail. De l’artisan au manager, Montréal, Liber ; David Harvey, 2003, The New Imperialism, Oxford, Oxford University Press.
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[67]
C. Wright Mills, 1948, The New Men of Power, Chicago, Illinois University Press ; C. Wright Mills, 2000, The Power Elite, Oxford, Oxford University Press ; John Porter, 1965, The Vertical Mosaic. An Analysis of Social Class and Power in Canada, Toronto, University of Toronto Press ; Wallace Clement et John Myles, 1994, Relations of Ruling : Class and Gender in Postindustrial Societies, Montréal, McGill-Queen’s University Press ; Bill Carrol, 2004, Corporate Power in a Globalizing World, Oxford, Oxford University Press.
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[68]
Chez Éric Pineault, le concept de capitalisme avancé ne désigne pas une formation économique qui serait plus développée en termes technoscientifiques. Il ne désigne pas non plus les « économies les plus avancées » selon des indicateurs de développement, pas plus qu’il ne réfère à une périodisation selon la logique des « post » où un âge d’or projeté dans le passé sert d’étalon à l’analyse critique de la structure institutionnelle actuelle. Il désigne plutôt une nouvelle relation sociale de propriété capitaliste qui eu des conséquences importantes sur la forme même du procès d’accumulation et de reproduction productive du capital. En effet, cette nouvelle relation sociale de propriété consolida la puissance du caractère intangible du capital industriel et donna à la production sociale une forme organisationnelle où la production d’information et sa communication, la fusion de la technoscience et de l’industrie, la capacité de coordination non marchande de la division du travail, le développement d’une comptabilité des actifs intangibles, leur capitalisation, devinrent des caractéristiques typiques de l’accumulation capitaliste. Pour une discussion de ce concept, voir Éric Pineault, 2008, « Quelle théorie critique des structures sociales du capitalisme avancé ? », Cahiers de recherche sociologiques, no 45, p. 111-130.