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Les Presses universitaires de France ont entrepris depuis quelques années de rééditer un certain nombre d’ouvrages de référence en format poche dans la collection « Quadrige dicos poche ». On trouve dans cette collection : Le dictionnaire de philosophie politique (2003), Le dictionnaire d’éthique et de philosophie morale (2004), Le dictionnaire de la psychologie (2007), Le dictionnaire historique de la Révolution française dirigé par Albert Soboul (2005), Le dictionnaire européen des Lumières (2007), Le dictionnaire de la géographie (2006) et Le dictionnaire de l’Antiquité (2005). La réédition de ces ouvrages en format poche les rend accessibles à de nouveaux publics, particulièrement aux étudiants désireux de solidifier leur culture générale.

La publication du Dictionnaire de la pensée sociologique directement en format poche est une bonne nouvelle. Il s’agit d’un projet ambitieux et qui se démarque de la plupart des autres dictionnaires de sociologie. Ce dictionnaire ne se veut pas uniquement centré sur la pratique sociologique, ni limité pas aux concepts et aux théories sociologiques. D’aucuns, non sans raison, ont déjà dénoncé les visées « impérialistes » de cette discipline. Les directeurs de cet ouvrage ont plutôt cherché à mettre l’accent sur une conception de la sociologie comme discipline carrefour. C’est d’ailleurs pourquoi on y trouve plusieurs entrées qui constituent un véritable pont entre la sociologie et d’autres disciplines : « biologie et sociologie », « géographie et sociologie », « histoire et sociologie », « mathématique et sociologie », « philosophie et sociologie », « psychanalyse et sociologie ».

Les spécialistes qui ont contribué à ce Dictionnaire de la pensée sociologique sont issus de diverses disciplines des sciences sociales. Il est aussi intéressant de mentionner que, fait rare dans l’édition francophone, presque le tiers des articles proviennent de non-francophones. Un grand nombre d’articles sont le fait de chercheurs anglophones ou germanophones.

Cet ouvrage de référence se veut un juste équilibre entre théories, concepts, institutions et auteurs. Dans l’ensemble, il répond aux attentes. Néanmoins, on doit souligner un léger décalage entre, d’une part, les entrées qui couvrent les concepts et les théories et, d’autre part, les entrées portant sur les auteurs. Les directeurs du dictionnaire ont décidé d’écarter de la liste « tous ceux qui sont encore de ce monde ». C’est ce qui explique que des noms tels que Zygmunt Bauman, Ulrich Beck, Anthony Giddens ou encore Daniel Bell, François de Singly, Will Kymlicka et Alain Touraine soient absents. On le regrette. Cela aurait permis de mieux situer le positionnement de chacun dans le domaine sociologique. Par contre, les entrées concernant les concepts sont très à jour. Les articles sur des thèmes comme le communautarisme, l’identité, la mondialisation, les réseaux ou la violence urbaine permettront d’enrichir la réflexion sur les débats et les interrogations sociologiques actuels.

On y retrouve sans surprise les pères fondateurs de la discipline : Max Weber, Émile Durkheim, Gabriel Tarde, Vilfredo Pareto ; les grands noms : Raymond Aron, Pierre Bourdieu, Marcel Mauss, Georg Simmel ; mais également ceux qui ont marqué la sociologie sans pour autant avoir eu le rayonnement qu’ils auraient peut-être mérité : Fernand Dumont, Gino Germani, Henri Hubert, Alfredo Niceforo, René Worms, Florian Znaniecki. L’ouvrage permettra sans aucun doute d’ouvrir de nouveaux horizons à tous ceux qui s’intéressent à la sociologie et, de manière plus large, aux sciences sociales.

Un seul regret : on aurait aimé que ce dictionnaire soit plus volumineux. Avec ses 220 chercheurs qui ont contribué à autant d’entrées, 770 pages sont finalement peu ; nous sommes loin des 2 200 pages, pour un nombre similaire d’entrées, du Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale dirigé par Monique Canto-Sperber. Les différents articles constituent une bonne présentation du sujet ; néanmoins, la synthèse aurait pu être approfondie davantage dans bien des cas. On trouve, à regret, le survol quelquefois trop rapide. Il s’agit d’un bon outil de départ pour entreprendre une investigation, mais on aurait aimé en obtenir davantage. Une entrée comme « capitalisme » ne fait que deux pages et demie, « classe sociale » trois pages, « citoyenneté » deux pages, « intégration » trois pages, etc. Il est évidemment impensable d’épuiser un sujet et tel n’est pas le but recherché par ce genre d’ouvrage, mais on s’attend à ce qu’un dictionnaire spécialisé présente de manière approfondie et détaillée l’ensemble des grandes perspectives sur un sujet donné.

En visant très large, cet ouvrage donne quelquefois des impressions de petite encyclopédie plutôt que de dictionnaire spécialisé. C’est à la fois un point fort et un point faible. Il sera un bon compagnon pour l’étudiant qui entreprend des études universitaires en sciences sociales, mais d’une utilité fort réduite pour le spécialiste, le chercheur ou le professeur qui possède déjà de solides connaissances dans le domaine. Cet aspect de petite encyclopédie explique peut-être pourquoi les Presses universitaires de France ont décidé de publier directement le Dictionnaire de la pensée sociologique en format poche.

À titre d’exemple, l’entrée d’à peine deux pages sur le positivisme pourra initier très brièvement (trop brièvement ?) l’étudiant à ce thème ; par contre, elle risque de laisser sur sa faim le professionnel qui s’efforce de trouver une précision ou une information pointue. Les racines profondes du positivisme qui remontent au marquis de Condorcet sont laissées de côté au profit du tournant conservateur d’Auguste Comte ; les contributions d’Émile Durkheim et de Karl Popper sont soulignées rapidement ; les remises en question de cette conception de la science ne sont pas développées.

Malgré son caractère parfois trop expéditif, ce dictionnaire vient combler un certain vide dans le monde de l’édition. Si un dictionnaire comme celui de Philippe Raynaud et Stéphane Rials, Le dictionnaire de la philosophie politique (dans la même collection), est un incontournable très complet et d’une grande rigueur, celui dirigé par Borlandi, Boudon, Cherkaoui et Valade n’a pas la même visée. C’est plutôt un ouvrage d’introduction apparenté au Dictionnaire des sciences humaines qui vient de paraître (2006) dans la même collection. Bien que les entrées ne soient pas aussi développées qu’on pourrait le souhaiter, l’étendue des thèmes traités saura compenser cette lacune pour un débutant. Mais un spécialiste risque d’être déçu.