Recensions

Trudeau. Fils du Québec, père du Canada. Tome 1. Les années de jeunesse : 1919-1944 de Max et Monique Nemni, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 446 p.[Record]

  • Frédéric Boily

…more information

  • Frédéric Boily
    Campus Saint-Jean
    University of Alberta

Cette biographie intellectuelle que les deux anciens directeurs de Cité libre, Max et Monique Nemni, ont consacrée à la figure de Pierre Elliott Trudeau a beaucoup fait parler d’elle. En effet, paru dans les deux langues officielles du Canada, l’ouvrage a été l’objet de plusieurs articles et commentaires, et ce, dans presque tous les grands quotidiens canadiens, Québec y compris. Essentiellement, c’est en raison de révélations qui sont particulièrement surprenantes, comme celles concernant les sympathies profondes que le père de la Charte avait pour l’extrême droite. On pense aussi à cette prédiction de P.E. Trudeau qui, en 1936, se voit revenir à Montréal en 1976, qui plus est, pour y déclarer l’indépendance. Ou encore à cette autre révélation concernant son appartenance, au début des années 1940 (peut-être même avant), à une petite société secrète dont l’objectif était de déclencher une révolution nationale. Apprendre aujourd’hui que Trudeau a été dans sa jeunesse lui-même un partisan du coup de force national est bien entendu pour le moins étonnant, puisque tout le monde connaît son combat contre le nationalisme québécois. Au-delà de ce que nous pouvons appeler ces scoops, c’est à une pénétrante archéologie intellectuelle de la pensée de P.E. Trudeau et de l’époque que nous convient les auteurs. Trudeau est en effet décrit comme une sorte de caisse de résonance idéologique des idées véhiculées par l’élite catholique canadienne-française d’alors, plus particulièrement des jésuites qui dirigent le collège Brébeuf où Trudeau poursuit ses études. Plus en retrait, mais non moins présente, l’ombre de Lionel Groulx, dont Trudeau a suivi deux cours sur l’histoire du Canada comme auditeur libre, plane sur l’ensemble de la jeunesse du futur premier ministre. Profondément croyant, P.E. Trudeau veut mettre en pratique l’enseignement prodigué par ses professeurs. Élève talentueux et lecteur vorace, il absorbe comme une éponge les idées qu’on lui professe et demeure aveugle aux dangers que le nazisme et le fascisme font courir au monde occidental. Il est si respectueux de l’autorité de l’Église que, même à l’étranger, il demande la permission, aux autorités ecclésiastiques, de lire certains ouvrages mis à l’index par Rome. Certes, l’historien John Hellman affirme qu’on peut voir dans ce geste un signe d’audace (chutzpah) du jeune Trudeau qui aurait ainsi ouvertement défié les autorités ecclésiastiques (« Skeleton in Jackboots ? », Literary Review of Canada, vol. 14, no 7, septembre 2006, p. 21). Peut-être bien, mais, faute de preuve concrète, la thèse d’un Trudeau soumis à l’autorité de l’Église paraît plus convaincante. À cet égard, le sous-titre de l’ouvrage aurait tout aussi bien pu être « Fils des jésuites ». Les deux auteurs, qui ont eu un accès privilégié aux documents personnels du jeune Trudeau, nous apprennent que ce dernier veut transformer profondément la société québécoise en initiant une véritable révolution nationale. Avec quelques personnes dont l’identité demeure plutôt mystérieuse, il s’agit de fomenter une révolution à l’image de celle qui avait cours, en France, sous les auspices du maréchal Pétain. P.E. Trudeau est alors simplement, en 1942, un disciple de Charles Maurras. Dans sa quête pour se donner les outils intellectuels qui lui permettraient d’entreprendre les profonds changements qui doivent bouleverser la société québécoise, Trudeau s’abreuve à une variété de sources intellectuelles. Avec l’aide de Jean-Baptiste Boulanger, un jeune homme d’Edmonton qu’il a connu au collège, Trudeau entreprend de lire des ouvrages comme La République de Platon, Du Contrat social de Rousseau ou encore Enquête sur la monarchie de Charles Maurras. Hormis ce dernier, il n’hésite pas à fréquenter des auteurs – on peut penser ici à Alexis Carrel et à Georges Sorel – jugés …