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Cet ouvrage, sous la direction de Stéphane La Branche et de Lawrence Olivier, est plus que le bienvenu dans le monde des publications universitaires. Il s’agit d’un domaine qui souffre – de manière chronique – d’un manque de réflexions. La publication d’un ouvrage sur la pédagogie universitaire ne peut être que saluée. Le projet a rassemblé des intervenants de France et du Québec, ce qui permet quelques comparaisons entre deux systèmes relativement différents. Le livre est composé de neuf chapitres qui, tour à tour, proposent soit des réflexions sur la pédagogie universitaire, soit des approches novatrices qui ont été testées auparavant dans différents cours et séminaires du domaine des sciences sociales. Il faut souligner au départ que la pédagogie traditionnelle n’a la faveur d’aucun des auteurs qui ont contribué à cet ouvrage ; nous avons affaire à des réformateurs.
L’ouvrage débute avec une réflexion fondamentale sur l’objectif d’une formation universitaire. L. Olivier, tout en soutenant que l’idéal de l’action pédagogique est « un effort à s’ouvrir à la réflexion », cherche à démontrer que la « liberté académique » a plutôt tendance à empêcher une telle ouverture à la réflexion. C’est le statut du professeur qui est ici remis en cause, car cet acteur représente généralement l’autorité qui dicte ce qu’il faut savoir et comment il faut penser. Une telle instance de pouvoir n’est pas propice à la libre réflexion ; selon lui, « il faut donc remettre en cause l’autorité qui ne dispose pas à la réflexion sans espérer trouver ou imaginer une autre forme d’autorité qui serait une meilleure façon de “se disposer de s’ouvrir à la réflexion” » (p. 21). L. Olivier en appelle à une révision du modèle maître-élève qui empêcherait le déploiement d’une autonomie personnelle. Il n’en appelle pas à la disparition du professeur qui demeure l’expert sur son sujet d’enseignement et qui peut évidemment transmettre des connaissances à ses étudiants ; il s’en prend au désir de contraindre les étudiants à penser comme le maître. À ce sujet, il y aurait par ailleurs beaucoup à dire sur la relation entre les étudiants des cycles supérieurs qui travaillent dans un centre de recherche, leur liberté au moment du choix de leur sujet de thèse ou de mémoire et les conclusions auxquelles ils arriveront.
Le livre se veut en outre un manuel pédagogique. Philippe Warin, directeur de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), propose, comme méthode, d’aller sur le terrain, de faire réaliser aux étudiants des études de cas concrètes, en rencontrant des acteurs sociaux, afin que « le vu s’introdui[se] et dérange le su » (p. 63) ; ainsi les acteurs ne sont plus simplement des objets d’étude, mais également des sources d’information. Autre proposition intéressante de P. Warin : il signale l’intérêt du travail d’écriture comme méthode d’apprentissage et de prise de conscience de l’élément de falsifiabilité en recherche, approche qui aide les étudiants à être le plus près possible des conditions réelles de la production scientifique. Une proposition pour le développement d’une pédagogie du doute sous-tend ainsi l’article de P. Warin.
Dans ce même registre de l’apprentissage par l’expérience, Pierre Bréchon propose le sondage comme élément de pédagogie formatrice. Mais la méthode qui retient le plus l’attention à la lecture de cet ouvrage est celle de Stéphane La Branche de l’Institut d’études politiques (Grenoble), qui porte sur la « simulation d’une négociation internationale assistée par les nouvelles technologies » ; c’est également cette méthode qui est la plus dubitative. Le texte de La Branche a le grand mérite d’être un incontournable pour quiconque désire mettre sur pied un tel projet ; il a aussi le mérite de faire prendre conscience du temps requis pour une telle entreprise. Cela en vaut-il la peine ? S. La Branche répond par une question : « dans le contexte actuel, les universités vont-elles prendre le tournant technologique dans le domaine de la pédagogie des années après le reste de la société ou le faire dès maintenant ? » (p. 171). Il faut être prudent avec les modes, qui, par définition, sont temporaires. L’arrivée de la radio, puis de la télévision n’a pas changé de manière profonde l’enseignement universitaire dans les domaines des lettres, des arts et des humanités (entendus au sens classique). À la lecture du texte de S. La Branche, une question revient constamment à l’esprit : en quoi les nouvelles technologies ont-elles été fondamentales au projet de simulation d’une négociation internationale ? L’auteur ne le démontre pas. S’il est vrai qu’il faut encourager les étudiants de tous les domaines d’études à connaître autant que possible les nouvelles technologies et le mode de fonctionnement des principaux logiciels informatiques, est-ce vraiment aux professeurs de sociologie, d’histoire ou de science politique qu’il revient de fournir à leurs étudiants ce savoir ? Il y a un danger de perdre de vue la substance, c’est-à-dire la matière et la réflexion au profit d’une gestion informatique qui n’est pas l’objectif premier d’une formation en sciences sociales.
On trouve également dans cet ouvrage un article d’une étudiante québécoise, Sophie Gélinas, qui revient sur son expérience universitaire en France. Il est dommage que les éditeurs n’aient pas réussi à trouver un étudiant français pour lui répondre. Disons-le d’emblée : le système universitaire français trouve très peu de mérites à ses yeux, voire aucun. Elle présente le système français comme étant un des modèles les plus classiques de l’enseignement universitaire. S. Gélinas explique que les étudiants sont gavés de connaissances dans leurs cours et qu’« une telle façon de faire ne peut conduire qu’à la formation d’ignorants-informés » (p. 80). Le propos ne fait ni dans la dentelle, ni dans la subtilité. Ce genre de commentaire n’est absolument pas nouveau ; ces remarques sont celles qui reviennent le plus souvent chez les étudiants qui sont allés parfaire leur formation en France. Si l’auteure n’a pas complètement tort en ce qui concerne le peu de place qui est laissé à la réflexion, il ne faudrait néanmoins pas sous-estimer le « modèle français » des cours magistraux. Malgré toutes ses rigidités, ce modèle a réussi à former de très grands penseurs. Si l’on prend en compte le poids démographique de la France, force est de constater qu’il existe depuis longtemps une surreprésentation des « penseurs français », que l’on qualifie dans les cercles universitaires étasuniens de « French theorists ». S’il est de bon ton de critiquer ce modèle, il est dommage que S. Gélinas n’ait pas plutôt cherché à réfléchir sur certains des bons points de ce système.
Un des apports les plus intéressants est sans contredit l’article de Christine Bout de l’An portant sur la pédagogie du débat. Effectuant un retour aux sources médiévales de l’université, l’enseignante a cherché, lors de différents séminaires, à faire revivre l’ancienne tradition de la disputatio. Il faut en effet, selon C. Bout de l’An, déplorer que l’importance de la matière à traiter et la massification de l’université ne laissent que très rarement la place aux débats. Cette triste réalité participe au « naufrage de l’université » tant dénoncé, il y a quelques années, par le sociologue Michel Freitag. Reprenant la tradition de l’exercice intellectuel et de la joute théâtrale, l’auteure explique comment elle a adapté cette pratique à notre époque par la méthode du « jeu de rôle », afin de contrer, entre autres, le manque d’expérience des étudiants dans ces joutes oratoires. La qualité de la disputatio va bien au-delà des échanges avec les professeurs où ils sont généralement interrogés sur un sujet. Afin de débattre, l’étudiant doit comprendre et persuader. De plus, comme les « rôles » sont répartis de manière aléatoire, les étudiants ne peuvent plus chercher à argumenter « dans le même sens que les idées du professeur ». Une telle approche pédagogique permet de manière bien concrète de disposer les étudiants à s’ouvrir à la réflexion, comme le souhaite L. Olivier. C. Bout de l’An explique de manière bien détaillée sa façon de procéder. Son article devrait aider tout enseignant qui désire approfondir une telle approche ; il est d’une utilité certaine, en plus de présenter un argumentaire solide en faveur du débat au sein de nos universités.
Les conceptions de l’université véhiculées dans ce « manuel de pédagogie universitaire » sont diversifiées. Néanmoins, une approche prédomine : celle selon laquelle l’université se doit d’être le plus en phase possible avec l’extérieur, avec le « monde réel ». On cherche les expériences pratiques, les simulations reliées à des pratiques professionnelles. Bref, on cherche le « concret » ; il s’agit de préparer les étudiants au marché du travail. Cette approche est bien entendu défendable, tout comme l’est celle qui, à l’instar de L. Olivier et de C. Bout de l’An, semble davantage intéressée à l’université comme lieu d’approfondissement de la réflexion et de la quête de la plus grande liberté possible. Espérons que nous rencontrerons plus souvent des ouvrages de ce genre à l’avenir, car il reste encore bien des éléments à discuter.