Paru au début de l’automne 2002, La révolution technique, quatrième livre de Daniel Jacques, poursuit la réflexion sur la notion de politique que le philosophe politique a élaborée dans ses écrits précédents. Dans ce nouvel ouvrage, l’auteur cherche à cerner les dimensions morale et politique de la révolution technique en cours. Il part du double constat que le projet technique exerce une fascination généralisée – en raison de la promesse de bonheur qui le sous-tend (p. 10) – et qu’il vise une transformation de l’humain. Cette transformation et l’idéal de bonheur qui lui est lié, puisqu’ils impliquent une transformation du politique, doivent faire l’objet d’un sérieux travail de la part des philosophes politiques : voilà le « chemin de pensée » (p. 177) suivi par cet essai. La révolution technique, écrit D. Jacques, a « pour objet de résoudre le problème humain par une maîtrise accrue des choses et des hommes selon les mêmes moyens » (p. 14). Du fait que la réalisation de ce projet technique « dispose désormais pour elle seule de toute l’énergie libérée autrefois par notre volonté d’en finir avec l’humanité telle que nous l’avons connue, renouant par cette voie avec le rêve premier de tous les révolutionnaires de procéder à une régénération définitive de l’homme » (p. 67), il s’agit véritablement ici d’une révolution technique, laquelle promet « à la fois la liberté, l’égalité et la fraternité » (p. 64). Dans ce projet qui acquiert aujourd’hui la dimension d’une « utopie partagée » (p. 14), l’auteur voit l’aboutissement de l’idéal révolutionnaire et de l’espérance démocratique de la réalisation du bonheur pour tous. Alors que D. Jacques souligne « l’indifférenciation » du projet technique (p. 63), les analyses développées dans les trois premiers chapitres du livre, plus que de simplement montrer les « affinités naturelles » entre le libéralisme et le projet technique, en viennent à suggérer que le projet technique et la révolution qui en découle sont l’aboutissement de ces deux dimensions de la modernité que sont l’espérance démocratique et l’utilitarisme moral. Il note d’ailleurs « la possibilité morale » – au singulier – « que comporte, depuis toujours, la technique » (p. 93). Dans l’horizon d’espérances nourries par l’utopie technique, « l’humanisation du monde, c’est-à-dire la soumission de toute chose par le moyen de la technique à notre volonté impérieuse de bonheur, ne peut apparaître que comme un bien supérieur » (p. 30-31). Le projet technique se présente ainsi comme la nouvelle forme de l’espérance révolutionnaire qui est au coeur de la modernité et qui nourrit, au nom d’une certaine conception du bien, un projet politique bien particulier. Dans ce cas, peut-on véritablement dire que le projet technique – qui vise l’augmentation du bonheur pour tous et la suppression des lieux de souffrance en vue d’une certaine conception du bien humain – est indifférencié ? Il semble qu’une ambiguïté demeure dans le texte de D. Jacques entre la neutralité politique du projet technique – son « indifférenciation » – et le fait que ce projet soit présenté comme l’aboutissement naturel de l’idéal démocratique et de la morale utilitariste. La dimension morale que recèle la technique, selon D. Jacques, repose sur la « conviction, laissée largement inexplorée, que notre refus de la douleur, qui est aussi une volonté de satisfaction, forme la base raisonnable, la plus raisonnable qui soit, d’une solution définitive au problème humain » (p. 99). Le projet technique est animé par la conviction « que le bonheur humain n’est finalement qu’une variante quelque peu exotique de la satisfaction animale » (p. 99) : il réduit le problème humain à un problème …
La révolution technique. Essai sur le devoir d’humanité, de Daniel Jacques, Montréal, Boréal, 2002, 192 p.[Record]
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Martine Béland
École des hautes études en sciences sociales