Recensions

Sociologie des rapports de sexe, de Marie-Blanche Tahon, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, 170 p.[Record]

  • Gilles Labelle

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  • Gilles Labelle
    Université d’Ottawa

On pourrait dire, sans vouloir corriger l’auteure, que cette Sociologie des rapports de sexe est en réalité une Sociologie politique des rapports de sexe. L’ouvrage tout entier, en effet, même dans les chapitres consacrés particulièrement à la sociologie et à l’anthropologie, est travaillé par la question des effets qui retentissent partout dans l’espace social-politique de la différence des sexes. Les deux derniers chapitres de l’ouvrage (qui en compte cinq) sont d’ailleurs consacrés explicitement à cette question. On dit souvent que les femmes ont été exclues de l’espace politique moderne ; mais une telle exclusion – c’est l’une des thèses principales de l’ouvrage – rendrait leur inclusion purement et simplement impensable. Il faudrait plutôt dire, selon M.-B. Tahon, qu’elles ont été « tenues à distance » (elles le sont d’ailleurs encore, du moins si l’on se fie au nombre de femmes qui sont représentantes dans les assemblées élues). La différence entre « être exclues » et « être tenues à distance » s’éclaire si l’on compare la manière dont la citoyenneté a été conçue dans la Grèce antique, à Rome et dans la modernité. Dans la Grèce antique, l’amour de la mère pour l’enfant sert d’unité de mesure qui rend pensable l’amour inconditionnel du citoyen pour la Cité. Il n’y a de citoyenneté, comme l’a soutenu Nicole Loraux, que s’il y a une figure de la mère qui est exclue de l’espace citoyen ; par le fait même, la mère ne peut être présente dans cet espace parce qu’elle « est tenue pour incapable de considérer que la Cité prime l’enfant » (p. 120). À Rome, le citoyen est un père, c’est-à-dire quelqu’un autorisé à parler au nom d’un tiers (son fils) et qui peut lui transmettre son bien. Or, pour qu’existe ce père, et donc le citoyen, il faut qu’existe à ses côtés son contraire : la mère qui, elle, ne peut pas parler au nom d’un tiers et ne peut rien transmettre. Tant dans la Grèce Antique qu’à Rome, la citoyenneté a donc besoin d’un autre – la « figure de la mère » – pour être pensable. L’espace politique moderne rend à peu près inconditionnel sur le plan des principes l’accès à la citoyenneté, puisque tous les hommes « naissent libres et égaux ». Les citoyens ne sont donc plus des fils dont le sort dépend d’un père, ils sont tous frères (on verra tout de suite pourquoi il s’agit de frères et non de soeurs). Or, dans les faits, l’espace politique apparaît traversé par des conflits et une violence (parfois une terreur) qui le déchirent. Comment donc produire la fraternité dans ces conditions ? Réponse : la vertu civique peut être inculquée aux futurs citoyens par une « mère républicaine » qui, justement parce qu’elle joue un rôle éminemment politique, doit être tenue à l’écart de l’espace politique. « Si la mère républicaine avait des droits politiques, elle ne pourrait plus faire de ses fils des frères dans l’espace politique, elle serait, elle aussi, partie au conflit et rendrait irreprésentable la fraternité » (p. 123). Ce n’est pas parce qu’elle est insignifiante politiquement que la mère est tenue à l’écart de l’espace politique dans la modernité, c’est, en fait, affirme l’auteure, pour la raison inverse. On l’aura remarqué, l’exclusion de l’espace politique (dans le cas de la Grèce et de Rome) et la tenue à distance (dans le cas de la modernité) tiennent à ce que la femme y est immédiatement associée à la maternité, à la figure de la mère. C’est cette dernière qui est exclue ou tenue à distance de l’espace politique, non la …