Recensions

Critique de l’américanité. Mémoire et démocratie au Québec, de Joseph-Yvon Thériault, Montréal, Québec Amérique, 2002, 374p. [Record]

  • Jacques Beauchemin

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  • Jacques Beauchemin
    Université du Québec à Montréal

Joseph-Yvon Thériault signe, dans sa Critique de l’américanité, l’une des plus éclairantes synthèses de ces dernières années sur la question de l’identité québécoise. Le point de départ de cet essai, dense et fouillé, se trouve dans le malaise d’abord diffus, puis de plus en plus clair que J.-Y. Thériault a ressenti face à ce qui s’est progressivement imposé comme lieu commun de la nouvelle définition identitaire québécoise posant le Québec dans son américanité constitutive. Ce malaise réside plus exactement dans le fait que la redécouverte du Québec dans son appartenance au continent, ou encore sa réinterprétation dans la perspective des « sociétés neuves », aurait pour effet de ramener la société québécoise à ses déterminations infrastructurelles au détriment de celles qui relèvent de la superstructure, comme on le disait dans le bon vieux temps. En d’autres termes, à tant vouloir circonscrire la société québécoise dans la perspective continentale et dans ce qui l’associe à l’aventure des sociétés neuves, on tend à occulter la singularité de son parcours historique et, par-là, à nier « l’intentionnalité » ou, si l’on préfère, la subjectivité historique qui le traverse. L’histoire du Québec témoignerait ainsi, selon J.-Y. Thériault, d’une volonté originale de faire société en Amérique. S’il est vrai que l’on a longtemps cultivé la représentation de la radicale exception qu’aurait constituée la société québécoise en Amérique, voire dans son rapport à la modernité, on assisterait, avec l’affirmation d’une américanité constitutive, à une sorte de retour du balancier à la faveur duquel se trouverait évacuée une réalité sociohistorique qui n’a pourtant jamais cessé de se révéler dans sa particularité. Ce livre soulève deux enjeux importants, l’un théorique et l’autre politique. Au plan théorique, la question porte sur la compréhension du procès d’institutionnalisation de la société moderne. Sur ce plan, J.-Y. Thériault tente de montrer que l’on ne saurait réduire cette dernière aux grands procès de rationalisation qui la traversent. Certes, l’action des « systèmes », pour le dire comme Jürgen Habermas, tend à définir la société comme pure fonctionnalité, mais, insiste J.-Y. Thériault, cette propension s’est toujours heurtée à d’irréductibles subjectivités historiques qui font en sorte que la société moderne est à la fois rationalité et projet. La question du Québec ne saurait alors être analysée en dehors de cette tension constitutive de toute société moderne qui veut que les déterminations induites par le milieu physique ou les systèmes autorégulés (le marché, par exemple) soient toujours mises en forme par une histoire particulière et un rapport à soi-même qui fondent une collectivité humaine dans sa singularité. Sur le plan politique, à l’heure où le nationalisme québécois est de moins en moins capable d’évoquer la mémoire franco-québécoise et où il paraît se méfier de la subjectivité qui la fonde, l’enjeu réside dans le rappel, auquel se livre J.-Y. Thériault, de l’originalité du parcours historique franco-québécois. À l’encontre des zélateurs de l’américanité, l’auteur va jusqu’à affirmer que le Québec a largement fondé son projet de faire société « contre » l’Amérique. L’organisation de l’ouvrage procède de la volonté de remonter aux sources de la représentation de l’identité québécoise sous la figure de l’américanité, un peu comme si l’on partait du symptôme afin d’identifier le virus responsable de la maladie. Examinant d’abord les formes contemporaines du discours de l’américanité, J.-Y. Thériault veut montrer que la tentative qui consiste à retracer la généalogie du Québec en suivant la piste de l’américanité tend à ramener la définition profonde de la société à des déterminations de type structurel. Dans la perspective de l’américanité, les modalités d’occupation du territoire, l’immédiateté de l’expérience continentale, l’expérience de la frontière, tout cela fonderait de …