Article body
Les oeuvres photographiques qui accompagnent le présent dossier n’ont certes pas été conçues en prévision d’un dossier thématique sur la « Répétition et l’habitude dans les pratiques quotidiennes », mais elles entretiennent avec lui des affinités électives, telles ces mystérieuses « Correspondances » au coeur de l’esthétique baudelairienne, qu’il convient d’expliciter afin de mieux en apprécier le caractère médiateur.
Christian Barré est un artiste photographe, vidéaste et designer dont l’oeuvre interroge, de propos délibéré, le rapport d’asservissement au discours publicitaire qui caractérise nos comportements culturels, dans le contexte d’un environnement médiatique exploitant l’image à des fins persuasives, manipulatrices, voire abrutissantes. L’enjeu consiste pour lui à se jouer de la perception commune et de sa capacité à distinguer le réel de l’image publicitaire.
Dans l’intervalle de la perception à sa subversion, on découvre cependant comme des « forêts de symboles » qui nous interpellent d’un regard familier. Ainsi en est-il de cette ballerine de la page couverture, assujettie par la nature de son art à la tyrannie de la répétition, mais qui se retrouve en l’occurrence bien loin du cadre habituel. Et le titre « Like a complete unknown » évoque un vers d’une chanson de Bob Dylan, « Like a Rolling Stone » (« How does it feel/ To be on you own/ With no direction home/ Like a complete unknown? »), illustrant justement la déchéance d’une fille de bonne famille.
Puis, interviennent cette « caissière courage » et ces itinérants qui applaudissent, tout droit sortis d’un quotidien des plus prosaïques. Quoi de plus commun, en effet, que l’indigence et l’absurdité de la tâche toujours recommencée ? Et pourtant, le sens surgit de ces mains qui se disposent à la rencontre, figées dans le temps et le silence par la photographie, marquant une pause avant la reprise inévitable du travail ou le retour à une posture plus habituelle qui est celle de la mendicité ou du marchandage.
Enfin, ce micro tendu, cette mise en abyme du conducteur de véhicules publicitaires, ces réitérations paradoxales de l’accident et cet homme au front marqué, à la manière des nazis du film Inglorious Basterds de Quentin Tarantino, constituent autant de détournements du familier, voire de subversion de la répétition, puisque dans la reprise s’opère chaque fois une sorte de synesthésie, moins sensorielle que cognitive, et qui renvoie d’un médium à l’autre.
Toutefois, c’est peut-être le « Monument à la prostituée inconnue » qui symbolise le mieux, par sa circularité réfractaire à toute verticalité, l’éternel retour de l’habitude et le cercle vicieux des pratiques quotidiennes.
Appendices
Note biographique
Christian Barré
Christian Barré vit et travaille à Montréal. Il possède une maîtrise es arts de l’Université du Québec à Montréal. Il fait un travail photographique, vidéographique et installatif. On a pu voir ses réalisations à la Montreal Telegraph, au Centre d’essai 3e impérial, au Centre Plein sud, dans le cadre du Prix Duchamp-Villon, au Mois de la Photo à Montréal et lors du symposium organisé par Virose à Porto. Christian Barré présenta le corpus photographique Dignité au Musée d’art contemporain de Montréal, prit part à la Biennale de Montréal en 2004 et à la Manif d’art 3 de Québec. Il exposait son travail en duo avec Catherine Plaisance en 2007 à la (Im)mortal love international biennal de Varsovie. Depuis 1993, il a été plusieurs fois boursier du Conseil des arts et des lettres du Québec et du Conseil des arts du Canada.