Volume 37, Number 3, Winter 2009 Regards croisés sur les images scientifiques Guest-edited by Catherine Allamel-Raffin
Table of contents (12 articles)
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Présentation : regards croisés sur les images scientifiques
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Analyse des images scientifiques par le concept d’observation
Vincent Israël-Jost
pp. 9–17
AbstractFR:
Une partie importante des images scientifiques sont produites dans le but d’observer des entités ou des phénomènes, c’est-à-dire d’obtenir à leur sujet une connaissance sûre, acquise par des moyens aussi directs que possible. Ce rôle des images et des instruments qui les produisent a été évalué par les philosophes, en particulier depuis le début des années 1980, pour tenter de comprendre si l’emploi du terme « observer » est justifié dans le cas où une chaîne complexe d’instrumentation est mise en place pour produire des images. Dans ce cas, en effet, on peut craindre une contamination des images à la fois par des artefacts, en cas de défaut du dispositif expérimental, et par les théories sur lesquelles repose ce même dispositif. Sans se prononcer sur la validité des instruments pour l’observation dans le présent travail, nous décrivons en quoi les analyses philosophiques relatives à cette question sont insuffisantes pour rendre compte de l’utilisation réelle qui est faite des images par les scientifiques. Nous tirons deux éléments importants de cette analyse : d’une part, la nécessité de considérer une image à la lumière d’un contexte scientifique spécifique qui donne l’objectif de la démarche expérimentale et précise ce que l’on tente d’observer et, d’autre part, le fait que des phénomènes de la plus grande variété peuvent être représentés sur une image. Ce deuxième aspect s’oppose à l’idée très généralement partagée par les philosophes que seules les propriétés spatiales des entités pourraient être explorées par l’image. Pour importants que soient ces aspects de forme, d’échelle et de localisation, il faut les compléter d’abord par la possibilité d’explorer des propriétés physiques détectables, telles que la luminosité, la radioactivité, etc., et ensuite, en introduisant la notion de propriétés de haut niveau, propres à chaque domaine des sciences. Nous ouvrons ainsi la question de savoir si l’on peut observer des phénomènes aussi divers que la perfusion cardiaque, la production d’énergie dans le noyau solaire, la région des émotions sur des images cérébrales de résonance magnétique fonctionnelle, etc.
EN:
Many of the scientific images are produced in order to observe entities or phenomena, that is, to obtain a reliable knowledge about them, acquired by the most direct means. This use of images – and of instruments that produce them – has been discussed by philosophers, especially since the early 1980s, in order to understand whether the term “observe” is appropriate when a complex chain of instruments is put together to produce images. Indeed, in this case, images can be contaminated both by artifacts, when some part of the instrument does not work as expected, and by the theories that are used to explain the functioning of the imaging device. I do not bring a conclusion in this work regarding the validity of instruments for observation but I describe instead what makes the philosophical analyses on this question unsatisfactory to give an account of the actual use of images by scientists. Specifically, I make two points in the course of my analysis: first, that it is required to consider an image within a precise scientific context that gives the goal of the experimental setting and, second, that phenomena of the greatest diversity can be represented on an image. This second aspect contradicts the idea largely shared by philosophers, that only spatial properties of entities can be explored through images. Although I acknowledge the importance of such aspects as shape, scale and position, one must also consider other properties, starting with detectable physical properties such as luminosity, radioactivity etc. and pursuing with properties that are specific to the different scientific disciplines, that we call high-level properties. I thus open the question of whether or not we can observe such phenomena as cardiac perfusion, energy production in the solar core, the region of emotions in a cerebral MRI, etc.
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L’apport d’une perspective génétique à l’analyse des images scientifiques
Catherine Allamel-Raffin
pp. 19–32
AbstractFR:
À partir d’études ethnographiques menées dans des laboratoires appartenant à deux disciplines des sciences de la nature, la physique des matériaux et la pharmacologie, Catherine Allamel-Raffin élabore une classification des images produites dans ces domaines de recherche en les envisageant sous l’angle de leur production, c’est-à-dire en adoptant une perspective génétique. Cette démarche conduit notamment au constat suivant : certaines images massivement présentes en pharmacologie (histogrammes), et peu présentes en physique des matériaux, soulèvent des problèmes sémiotiques particuliers qu’il est possible d’analyser à l’aide des travaux de E. Tufte. Le recours à une perspective génétique, dans un second temps, permet de relever les similitudes, mais également d’établir les distinctions qui s’imposent quant aux processus de réalisation de ces images : la présence potentielle d’artefacts, ceux-ci étant situés à des moments différents du cours de l’expérimentation, la non-existence d’une flexibilité interprétative dans le cas des images produites en pharmacologie à l’opposé de ce que l’on rencontre en physique des matériaux, l’évolution du statut épistémique de certaines images au cours de la recherche grâce au recours, couronné de succès, à des stratégies expérimentales déterminées.
EN:
Catherine Allamel-Raffin proposes a classification of scientific images produced in two different fields of the natural sciences (pharmacology and surface sciences). This classification relies upon ethnographic studies. The point of view adopted here is a genetic one, in other words, these ethnographic studies especially focus on the processes which lead to the production of images in two different laboratories. In the first part of my contribution, I will show that certain types of images particularly well represented in pharmacology (but not in surface sciences) like histograms, generate some specific semiotic problems. These semiotic problems will be approached by referring to the E. Tufte’s work. In the second part of my contribution, I will show that this genetic point of view leads us to underline the similarities but also the differences which take place all along the production’s processes of the images: the possible existence of artifacts which are not situated, in the two laboratories, at the same levels of the experiment; the fact that there is no interpretative flexibility in pharmacology contrasting with the interpretative flexibility one can observe in surface sciences; the evolution of the epistemic status of some images based on the successful use of determined experimental strategies.
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La stratification temporelle dans l’image scientifique
Maria Giulia Dondero
pp. 33–44
AbstractFR:
Notre article développe une analyse des méthodes et stratégies de représentation visuelle de la stratification de couches temporelles dans deux disciplines qui visent la datation de phénomènes et d’objets : l’astrophysique et l’archéologie. Cette analyse vise à un inventaire des différents statuts des images mis en jeu par ces deux disciplines dans le but commun de représenter la stratification temporelle. Il s’agit en effet de montrer comment ce même objectif peut impliquer des techniques et des résultats iconographiques très différents dans les deux cas et de voir comment ces différentes solutions peuvent être comparables. Plus spécifiquement, l’analyse sémiotique porte sur la comparaison entre les images produites en astrophysique par l’analyse spectrale (du domaine radio au domaine gamma) et les images produites dans le domaine de l’archéologie, à savoir les images des stratifications des sols et des installations enfouies obtenues à travers des méthodes non invasives, telles la prospection aérienne et les prospections géophysiques. On part de l’hypothèse que les méthodes de fabrication d’images de ces disciplines sont comparables parce que toutes deux relèvent de visualisations qui reconstruisent les données en laboratoire (imagerie), mais on étudie aussi les différents niveaux d’« allographisation » (Nelson Goodman) de ces données requis par les deux disciplines (très élevé dans le cas de l’astrophysique, moins élevé dans le cas de l’archéologie) en faisant l’hypothèse que ces niveaux d’allographisation sont liés et justifiés par des sous-objectifs concernant la représentation de la succession temporelle. En effet, les images en archéologie ont pour but de mettre en évidence les différentes couches temporelles du passé cachées à notre perception directe, tandis que les images en astrophysique visent à construire une mosaïque temporelle du passé, du présent et du futur des astres. La visée principale de l’analyse des corpus consiste enfin à comprendre comment les images incarnent les différents sous-objectifs des deux disciplines : compacter ce qui est diffusé dans l’univers dans un cas, exfolier ce qui est stratifié dans le sous-sol dans l’autre.
EN:
My article develops an analysis of methods and strategies of visual representation of temporal layers in two disciplines, which aim at the dating of phenomena and objects: astrophysics and archaeology. This analysis aims to establish an inventory of the different status of images brought into play by these two disciplines, in the common objective of representing temporal stratification. It involves showing how this same objective can involve very different techniques and iconographic results in the two cases, and to see how these different solutions can be comparable. More specifically, semiotic analysis is about the comparison between images produced in astrophysics by spectral analysis (from the domain of radio to the domain of gamma), and the images produced in the domain of archaeology, that is to say the images of soil stratifications and buried installations obtained by non-invasive methods such as aerial prospecting and geophysical prospecting. We begin with the hypothesis that the methods of image fabrication of these two disciplines are comparable, because both come from visualisations which reconstruct data in the laboratory (imaging), but the different levels of “allographing” (Nelson Goodman) of this data required by the two disciplines (very high in the case of astrophysics, less so in the case of archaeology), are studied by hypothesising that these levels of allographing are linked, and justified by sub-objectives concerning the representation of temporal succession: indeed, the images in archaeology aim to show the different temporal layers of the past that are hidden from our direct perception, while the images in astrophysics aim to construct a temporal cartography of the past, present and future of stars. The principal aim of the analysis of corpora involves finally understanding how images are the incarnation of the different sub-objectives of the two disciplines: compacting what is in the universe in one case, exfoliating what is stratified underground in the other.
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Les fonctions sémiotique et heuristique des symboles chimiques : ou de l’icône au symbole et retour
Francis Edeline
pp. 45–56
AbstractFR:
L’histoire des signes employés par les (al) chimistes révèle qu’il a surtout été fait appel à deux modes d’association d’un signifiant à son signifié : l’iconisme et la convention. Leur évolution peut se diviser en trois périodes : l’alchimie, la révolution berzélienne et la chimie contemporaine. Les alchimistes ont créé des signes graphiques basés sur des analogies symboliques (pour les substances chimiques, non représentables iconiquement à l’échelle macroscopique), ou sur un iconisme pur et simple (pour les appareils et les opérations). Ils n’ont toutefois jamais élaboré un système entièrement cohérent. Lavoisier et Berzelius ont tourné le dos à ce type de signes pour adopter des signes alphabétiques conventionnels. Cependant le développement moderne de la chimie a rendu nécessaire un retour à l’iconisme (représentation spatiale des molécules). Ceci a été obtenu en ajoutant au système de Berzelius des éléments graphiques en relation d’iconisme avec le modèle supputé des molécules (qui demeurent invisibles). Il en est résulté un système hybride tout à fait original et opérationnel.
EN:
The history of the signs used by (al)chemists reveals that two main modes were employed to associate a signifier to its signified: iconism and convention. Their evolution can be divided in three periods: alchemy, the berzelian revolution, and contemporary chemistry. The alchemists created graphic signs based on symbolic analogies (because chemical substances are impossible to represent iconically at the macroscopic level), or on a straightforward iconism (for equipment and operations). Nevertheless they never achieved a completely coherent system. Lavoisier and Berzelius rejected this type of signs, prefering the use of conventional alphabetic signs. However, the development of modern chemistry prompted a return to iconism, for the spatial representation of molecules. This was obtained by adding to the berzelian system graphic elements that were iconically related to the assumed model of the molecules (which remain invisible). The result was a highly original and operational hybrid system.
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La photographie aérienne, l’échelle, le point de vue
Anne Beyaert-Geslin
pp. 57–64
AbstractFR:
L’article observe en quoi les notions de point de vue et d’échelle déterminent la signification de la photographie aérienne. Il montre comment un pays prend forme, sa présence iconique (la constitution d’une forme) s’alliant nécessairement à une présence référentielle (la localisation de cette forme sur terre).
EN:
The article considers how point of view and scale determine the signification of aerial photography. It shows how a country takes shape, its iconic presence (its shape) being necessarily connected to a referential presence (where this shape takes place on earth).
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À quoi servent les schémas ? Tabularité et dynamisme linéaire
Jean-Marie Klinkenberg
pp. 65–73
AbstractFR:
Cet article s’interroge sur la source de l’efficacité des schémas dans les exposés scientifiques. Il part du constat que la plupart des schémas utilisés en science associent des données orientées linéairement et une représentation spatiale ; cette conjonction du linéaire et du spatial peut être appelée « tabularité ». L’article démontre que la puissance explicative de ces schémas provient du fait qu’ils associent, dans une perception globale (voire immédiate) qu’il doit à sa tabularité, le général du paradigme avec la totalité des particuliers exprimée par sa structure syntagmatique.
EN:
This papers examines the origin of the effectiveness of diagrams in scientific presentations. It recognizes that most diagrams used in science combine linearly oriented data and spatial representation ; this combination of linearity and spatiality can be called “tabularity”. The paper demonstrates that the explanatory power of these diagrams lies in the fact that they combine, in a global (even immediate) perception which they owe to their tabularity, the generality of the paradigm with all individuals expressed by their syntagmatic structure.
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La science de Guy Blackburn
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L’image comme outil de la communication scientifique : diversité et spécificités
Luc Desnoyers
pp. 81–92
AbstractFR:
Dans leurs activités de communication, les scientifiques ont recours à un nombre important d’images d’une remarquable diversité. Leur étude est rendue difficile du fait, entre autres, de la confusion causée par la polysémie des dénominations, à laquelle on peut remédier en développant une véritable taxonomie, fondée sur les principes établis par Linné, qui se complète par une nomenclature systématique. Cette opération permet de faire ressortir les affordances spécifiques de chaque catégorie d’images. L’utilisation de cette taxonomie dans l’étude de l’utilisation des types d’images, dans des genres d’articles scientifiques définis fonctionnellement, montre la spécificité effective de chaque type d’image.
EN:
In the course of their communication activities, scientists use an important number of greatly diversified visuals. Analysing these visuals is difficult partly due to the confusion caused by a considerable polysemy in denominations. This can be overcome by developing a truly Linnean taxonomy followed by a systematic nomenclature. This operation in turn allows one to specify the affordances of all categories of visuals. The use of this taxonomy, in a study of visuals offered in functionally defined genres of scientific articles, reveals the effective specificity of each type of visual.
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L’imagerie composite dans la communication scientifique
Martina Merz
pp. 93–103
AbstractFR:
Cette étude porte sur les images dans la communication scientifique. Elle analyse, plus spécifiquement, le rôle des images microscopiques à l’échelle atomique dans les articles scientifiques avec, comme point de départ, le constat qu’une image n’apparaît que rarement seule – elle est souvent accompagnée d’autres représentations visuelles, le tout formant une composition de construction hétérogène et complexe : une figure composite. Il sera donc question de l’interaction entre les éléments (visuels) d’une telle figure composite et des rôles et fonctions qu’assument ces figures dans l’ensemble d’un article. Nous considérerons, comme cas de figure, la recherche en nanotechnologie dans la perspective d’une sociologie des sciences.
EN:
This article features images in scientific communication. It analyzes, more specifically, the role of probe microscopy images in scientific publications based on the observation that an image rarely comes alone. Typically, an image is accompanied by other visual representations, which together constitute a heterogeneous and complex composition: a composite visual display. The paper investigates the interaction of the visual elements within such a composite figure, and the roles and functions that the figure assumes in the context of a research article. Based on a case study of nanotechnology research, this investigation is conducted from a science studies perspective.
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Le rôle des visuels dans un article de revue scientifique : la formation d’un montage-type
Jacques Fontanille
pp. 105–116
AbstractFR:
Cette étude portant sur un seul article scientifique s’efforce de repérer les questions pertinentes, touchant à l’usage des modalités sémiotiques visuelles dans le discours scientifique. Elle s’intéresse aux types sémiotiques utilisés, à leurs agencements syntagmatiques et aux rôles argumentatifs de ceux-ci, de type narratif ou rhétorique. Elle établit ainsi une séquence canonique des visuels (un montage-type), caractéristique de la stratégie persuasive de l’article et du positionnement éditorial de la revue.
EN:
This study, which focuses on only one scientific paper, attempts to identify relevant issues relating to the uses of visual semiotic modalities in scientific discourse. It is interested in the different kinds of visual semiotics used in this paper, in their syntagmatic organizations and in the argumentative roles of these, which are narrative or rhetoric. It establishes a canonical sequence of visuals (a montage-type), characteristic of the persuasive strategy of the paper and of the editorial positioning of the magazine.
Hors dossier
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Chassés-croisés à propos du film Dancing (Patrick Mario Bernard, Xavier Brillat et Pierre Trividic - France, 2003)
Marie-Françoise Grange
pp. 119–124
AbstractFR:
Le présent article étudie dans le film Dancing les enjeux de la question du genre, genre filmique et genre identitaire. Ainsi, le début du film refuse de mettre en place clairement des consignes de lecture ; le personnage de l’Idiot « dégenré » performe l’image autoportraitique dont il énonce les limites et frontières.
EN:
This article looks at how the film Dancing questions the issues of genre and gender. No specific markers are given as to how to read the film. Hence the “ungendered” character of the “Idiot” is performative of the image of the self-portrait of which he sets out the limits and boundaries.