Présentation : corps photographiques / corps politiques[Record]

  • Alexis Lussier and
  • François Soulages

La photographie joue un rôle de premier plan dans les constructions esthétiques, sociales et politiques de l’image, notamment à l’égard des montages imaginaires et symboliques du corps. Car, si nous avons l’habitude de dire que nous vivons à l’ère de l’image, nous vivons aussi à l’ère du « montage ». Montage de l’identité, du sujet, de l’image elle-même ; montage du corps dans le procès de signification qui traverse un corps photographié et fait de lui un corps de signes à déchiffrer. Ce faisant, la photographie du corps n’est jamais réductible au corps représenté, mais procède plutôt d’un agencement complexe qui relève du dispositif où le corps est instamment saisi par les modalités de la représentation : cadrage, point de vue, stratégie ou hantise du hors-champ, stratégie ou hantise de la manipulation photographique. Car toute stratégie concertée peut révéler une hantise qui touche à la lecture de l’image. On sait combien aujourd’hui une photographie peut se prêter à la manipulation idéologique, mais aussi à la manipulation matérielle de l’image elle-même, dans le traitement de ce qui est montré et conservé dans la photographie ou dans ce qui lui est agencé, superposé, surimprimé, etc. Conséquemment, nous apprenons aussi à nous méfier des images. Non pas que l’image soit nécessairement une simple fabrication de discours, mais parce que nous ne savons plus toujours quoi penser de l’image elle-même lorsqu’elle se manifeste dans une situation donnée, à un moment donné, pour être l’objet et l’enjeu d’un témoignage, d’une remise en cause de la représentation, si ce n’est d’un scandale ou d’un combat. Ainsi, « l’instant décisif », pour reprendre la fameuse expression de Cartier-Bresson, n’est plus seulement le moment culminant sur lequel s’arrête l’image, c’est aussi le moment où la photographie, qui fut prise, apparaît elle-même comme événement, que ce soit dans les intentions de contextualisation discursive, traduisant ou imposant un code de lecture – subversif ou non, trompeur ou non –, ou en l’absence de contexte qui livre l’image à la dérive de l’interprétation (toujours probable) comme à l’arbitraire du signe (nécessaire au procès de signification). Ce faisant, la photographie exige, des zoon politikon que nous sommes, que nous entrions dans un dialogue politique avec l’image plutôt que de nous confiner à une réception prisonnière des images de la caverne mondialisée. La photographie des corps participe en ce sens d’une stratégie de la manifestation politique des corps photographiés, parce que le politique repose aussi sur une économie des effets de l’image – effets de discours ou effets de « choc », effets de séduction ou de provocation. Or, il est à penser que le corps n’en sort pas indemne dès lors qu’il est photographié, capté, multiplié, développé, transformé, reconstruit et exposé. Que reste-t-il du corps en photographie – le corps réel, sexuel et sexué, donné à désirer ou brutalement exposé ; le corps mortel, souffrant et désirant ; le corps biologique, mais aussi le corps passager, en mouvement, transitoire ; voire le corps absent, sans voix, muet ? Qu’en reste-t-il, sinon son image, son spectre ou son ombre, à tout le moins une version de corps, sinon, dans certains cas, un agencement politique d’une image et d’une figuration qui le dépasse ? Nombre d’artistes ont témoigné à leur manière de l’urgence de ces questions. En explorant et en exploitant la photographie et ses dispositifs, les artistes (contemporains) traiteraient ces problèmes et leurs effets de tensions autant par le biais d’une technique plus traditionnelle que par les nouvelles propositions numériques que l’on connaît aujourd’hui, que ce soit, entre autres, chez Elinor Carucci, Geneviève Cadieux, Evergon, Alexandre Castonguay, Philippe Bruneau, Reynald Drouhin ou Pierre …

Appendices