Volume 36, Number 1, Spring 2008 Le symbole. Réflexions théoriques et enjeux contemporains Guest-edited by Émilie Granjon, Bertrand Rouby and Corinne Streicher
Table of contents (9 articles)
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Présentation : le symbole. Réflexions théoriques et enjeux contemporains
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Du (dé)bris symbolique
Guillaume Asselin
pp. 7–15
AbstractFR:
On a l’habitude, lorsqu’on s’attarde au symbole, de faire porter l’attention sur le « rejointement » des deux moitiés de l’objet brisé (tablette, anneau ou cube) auquel renvoie étymologiquement le sumbolon. On occulte, du coup, l’instant dia-bolique de la déchirure ou de la brisure, qui semble ne conditionner l’acte de suture symbolique que pour en signer simultanément la ruine, que matérialise ce qui tombe hors de son règne sous la forme d’un reste ou d’un débris opaque résistant à la signification, analogue au caput mortuum des alchimistes. Il s’agira donc de s’interroger sur l’incongru foisonnement des vestiges qui affluent sur la scène de la littérature contemporaine et se distribuent autour de la fêlure du symbole. J’analyserai, en me basant essentiellement sur l’oeuvre de Pascal Quignard, la nature et la fonction de ce qui fourmille ainsi sur les bords du symbole sous des noms divers : « skybala », « sordidissimes », « miroboles » ou « significe » qui tous sont à mettre au compte de cet « impossible-à-sauver » dont parle Benjamin et commandent, à ce titre, d’explorer le lien entre ce qu’on peut qualifier de « souffrance du symbole » et la pensée sacrificielle.
EN:
When it comes to the symbol, we usually focus on the bridging of the two halves of the broken object (tablet, ring or cube) to which the sumbolon is etymologically bound. Yet, by doing so, we occult the dia-bolical breaking moment, which seemingly conditions the symbolic juncture only to simultaneously sign its ruins, materialized in that which falls out from its reign, in the form of opaque “insignificant” remains, similar to the alchimists’ caput mortuum. The purpose of this article is to question this incongruous abundance of vestiges that flow on the contemporary literary scene, distributing themselves around the breach of the symbol. Based on the work of Pascal Quignard, I will analyse the nature and function of what grows on the symbol’s borders, under such names as “skybala”, “sordidissimes”, “miroboles”, “significe”… All of these should be attributed to what Benjamin calls “the impossible to save” which commands an exploration of the link between what is to be understood as “the suffering of the symbol” and sacrificial thought.
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Le symbole : une notion complexe
Émilie Granjon
pp. 17–28
AbstractFR:
Nombre d’auteurs ont utilisé le mot « symbole » de manière bien souvent disparate et parfois même erronée. Faire une synthèse de tout ce qui a été dit sur le symbole dans le cadre des sciences humaines serait impossible. Selon les traditions théoriques, les disciplines que sont la sémiotique, la philosophique, la sociologie, l’anthropologie, la psychanalyse et la sémiotique utilisent des aspects définitionnels variés opérant une divergence herméneutique fondamentale, divergence observée parfois même au sein d’une discipline et opérant un imbroglio sémantique déstabilisant. L’auteure convoque plusieurs réflexions théoriques sur le symbole pour effectuer un état des lieux actuel sur la question.
EN:
Numerous authors have used the word «symbol» in often disparate and sometimes erroneous ways, so that it would be an impossible task to synthesize all that has been written on symbols in the humanities. Depending on theoretical leanings, such disciplines as semiotics, philosophy, sociology, anthropology and psychoanalysis resort to various definitional aspects, thus leading to hermeneutic divergences sometimes to be seen within the same field and giving way to an unsettling semantic imbroglio. The author brings together the reflections of several theoreticians on symbolism so as to sum up their various positions.
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Le corps : anatomie d’un symbole
Paola Pacifici
pp. 29–38
AbstractFR:
Grâce à la dissection, une idée nouvelle du corps s’affirme à l’aube de la Renaissance : il s’agit d’un corps matériel et saisissable, qui trouve dans son nouveau statut les prémisses – philosophiques et esthétiques – de sa représentation. Néanmoins, loin de se réduire à un schéma fonctionnel, le corps anatomique se détermine dans le cadre d’une saisie symbolique qui le lie étroitement à la religion, à l’astronomie et à l’art. Par l’analyse d’un choix de textes, cet article se propose de revoir cette construction à la fois symbolique et scientifique et d’expliquer comment le corps se définit dans un réseau pragmatique, devenant une clefd’interprétation du monde.
EN:
By way of dissections, a new idea of the body arises at the dawn of the Renaissance: being material and tangible, it takes on, in this new status, both the philosophical and the aesthetic presuppositions of its representation. Far from being reduced to a functional line of thinking, the anatomical body takes on meaning within a symbolic prism, thus establishing close links with religion, astronomy and the arts. By analysing several key texts, this article seeks to study such a symbolic and scientific construct, and works toward an explanation of how the body found its own definition in a pragmatic network and thus became a key for interpreting the world.
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Symbolisme et rhétorique : dans les images de la littérature illustrée jésuite entre les XVIe et XVIIe siècles : approches sémiotiques
Andrea Catellani
pp. 39–51
AbstractFR:
L’article tente de définir, à partir du modèle théorique sémiotique, certains aspects de la symbolique humaniste incarnée dans la littérature jésuite illustrée du xviie siècle. Un premier moment est la présentation de quelques contributions sémiotiques liées à l’exploration du champ sémantique du mot « symbole », en distinguant en particulier les contributions de Saussure, Hjelmslev et Todorov, et en retravaillant le couple conceptuel de « mode symbolique » et « mode allégorique » de signification secondaire, proposé par Eco. Deuxièmement, on observe la prévalence du mode allégorique dans cette partie de l’épistémè renaissante et baroque appelée « symbolique humaniste », en vérifiant aussi l’existence constante, au cours de l’histoire, de la tension entre le deux « modes ». Enfin, l’analyse textuelle de quelques images symboliques provenant de deux ouvrages jésuites du xviie siècle permet de retrouver cette tension dans un corpus textuel spécifique.
EN:
Starting from a theoretical semiotic model, the article tries to define some aspects of the “humanistic symbolic,” as it is incarnated in the spiritual Jesuit literature of the 17th century. A first step is the presentation of some semiotic contribution to the exploration of the semantic field of the word “symbol,” by distinguishing in particular the contributions of Saussure, Hjelmslev and Todorov. The conceptual couple of the “symbolic mode” and “allegoric mode” of secondary signification, proposed by Eco, is re-elaborated. A second step is the observation of the prevalence of the allegoric mode in that part of the renaissance and baroque episteme called “humanistic symbolic,” and the underlining of the constant presence of the tension between the two “modes” in the course of history. Finally, the textual analysis of some symbolic images, taken from two Jesuit works of the 17th century, makes it possible to find this tension inside a specific textual corpus.
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Besner le prodigieux
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La plume de Grainville contre l’oeil du Virginal : ordonnance symbolique et désordre de la langue
Fabienne Claire Caland
pp. 59–67
AbstractFR:
Dans L’Atelier du peintre de Patrick Grainville, l’acte de création (poiêsis) est théorisé par le narrateur principal, Le Virginal, en vue d’élaborer un langage symbolique fondé sur l’art, et son herméneutique exprimée par les médias iconiques et verbaux. Parce qu’il s’agit en définitive d’une fictionnalisation personnelle et non d’une structure fonctionnelle symbolique, le système s’effondre. Le Virginal tombe littérairement le masque : la langue de Grainville se construit sur et par la destruction du langage symbolique, laquelle lui fait prendre toute son ampleur et affirmer son autonomie à l’herméneutique attendue. La plume de Grainville, son écriture « différentielle », l’emporte sur l’oeil fortement sexué que Le Virginal pose sur le monde.
EN:
Le Virginal, the main narrator in Patrick Grainville’s L’Atelier du peintre theorizes about the creative act (poiesis) in order to create a symbolic language grounded in arts and hermeneutics as expressed by iconic and verbal media. Ultimately, this leads to personal fictionalization and not a working symbolic structure, with the result that his system collapses. As Grainville’s style rests on the destruction of symbolic language, it becomes autonomous of the hermeneutics expected by the reader. In the end, Grainville’s “differential” writing prevails over Le Virginal’s sexual outlook on the world.
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Défaites du symbole : david Gascoyne et l’alchimie face à l’hiver des signes
Bertrand Rouby
pp. 69–77
AbstractFR:
La poésie de David Gascoyne est tiraillée entre réinterprétation de symboles alchimiques et paysages en voie de désymbolisation, dilemme lié au caractère irreprésentable de la Deuxième Guerre mondiale. S’il est tentant de fabriquer de nouveaux schémas symboliques pour rendre compte de l’horreur à venir, de telles architectures ne donnent finalement lieu qu’à des jeux stylistiques où se désassemblent les composantes mythiques. En ce sens, elles préfigurent un autre aspect de la poésie gascoynienne, où les paysages européens sont peu à peu vidés de toute résonance symbolique, voire de toute signifiance. La situation ainsi dépeinte s’apparente aux friches de la modernité où « la perte de toute valeur mesurée par l’homme » suscite une nouvelle herméneutique tributaire de la réévaluation subjective. Dès lors, la déconstruction des symboles alchimiques sert de pont entre les intonations élégiaques héritées du modernisme et le rejet postmoderne des principes essentialistes.
EN:
At the core of David Gascoyne’s poetry lies a tension between reinterpreting alchemical symbols and depicting desymbolized landscapes, a crux derived from the difficulty of envisioning The Second World War. While it may be tempting to devise new symbolic patterns so as to make sense of the coming horror, all such constructs ultimately boil down to stylistic interplays disassembling their mythical components. As such, they prefigure a different aspect of Gascoyne’s poetry in which European landscapes are gradually emptied of all symbolic resonance. The situation thus depicted is akin to the modernist wastelands where “the loss of all man-measured value” triggers a new hermeneutics dependent on subjective revaluation. In this respect, Gascoyne’s deconstruction of alchemical symbols acts as a bridge between elegiac intonations inherited from modernism and the post-modern rejection of essentialist tenets.
Hors dossier
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Figures de surface média
Alexandra Saemmer
pp. 79–91
AbstractFR:
The Dreamlife of Letters, poème cinétique de Brian Kim Stefans, fait partie des créations numériques les plus commentées du Web. Les hésitations des critiques quant à l’inscription de ce poème dans la tradition concrète ou lettriste interpellent autant que le caractère souvent très généraliste des commentaires. À travers une lecture détaillée des premières minutes de The Dreamlife of Letters, il s’agit d’abord dans cet article d’identifier des « figures de surface média » de la poésie numérique. Afin de rendre sensibles certaines proximités entre les figures du discours classiques et les figures de surface média, des emprunts aux taxinomies classiques sont faits dans certains cas. Pour éviter les analogies trop téméraires, et aussi pour exclure d’emblée toute confusion entre « effets » et « figures » de la poésie numérique, une nouvelle terminologie est proposée dans d’autres cas. Cette taxinomie a comme but de caractériser avec précision la relation entre le contenu des mots et leur mise en mouvement. En conclusion, il s’agit de réfléchir sur l’inscription de ces formes de poésie cinétique dans les mouvements de la poésie d’avant-garde.
EN:
The Dreamlife of Letters, a kinescope poem by Brian Kim Stefans, is one of the most commented literary creations on the Internet. But critics often hesitate on inscribing this poem in the “concret” or “lettrist” literary tradition; otherwise, their comments often remain too general. Through a “close reading” of the first minutes of The Dreamlife of Letters, the author of this article aims to identify some “figures of speech on media surface” in electronic poetry. In order to show certain proximities between the traditional figures of speech and these “figures of speech on media surface”, traditional taxonomies are used in certain cases; in order to avoid analogies that are too rash, and also to exclude any confusion between “effects” and “devices” in electronic poetry, a new terminology is proposed in other cases. This new taxonomy characterizes the relation between the contents and the animation of words and letters in electronic poetry. In conclusion, some reflections on the place of these forms of kinetic poetry between the avant-garde movements are proposed.