La question de la filiation mène toujours directement – on pourra le constater à la lecture des textes rassemblés ici – à la question du père, à sa fonction, à sa place mais aussi à sa « matérialité ». De quelle étoffe un père est-il donc fait? Si la filiation est un destin en ce qu’elle désigne d’abord l’ordre généalogique dans lequel prend place un corps, un nom, elle indique une provenance et ouvre sur un devenir qui est perpétuation de la vie, mais de la vie en tant qu’elle est parlée, instituée par des sujets qui, du lieu où ils sont assignés par la lignée, disent, nomment, rêvent, refont et défont les liens qui les rattachent à cette histoire. L’interrogation sur le père, objet premier de spéculations, si ce n’est fiction juridique, comme le rappelait Joyce, n’est pas sans faire retour sur le corps maternel. Que la mère soit la matière concrète et incontestable de cette provenance ne dispense pas l’enfant d’interroger son origine et sa causalité. Dans la mesure où il s’est cru destiné à combler cette origine, il rencontrera bientôt son impuissance, si ce n’est son incompétence à répondre de ce qui là, dans la mère, continue de s’ouvrir au dehors. L’entrée dans la filiation ne se fait pas sans angoisse puisqu’elle suppose toujours le pluriel que le tiers injecte dans la première dyade du monde. Car, à la question « D’où viennent les enfants ? », ce n’est pas tant le corps reproducteur qui répond, que l’énigme de la reproduction ; énigme du sexe et de la sexuation. Si c’est de la mère que nous sommes sortis, comment donc sommes-nous venus en elle ? La question vise brusquement, dans la mère, autre chose que le maternel : l’entrée en scène du père ne se distingue pas, du coup, de l’entrée en scène de la femme. Les enjeux de la filiation nous apprennent donc que, si la maternité est « naturelle », le père quant à lui relève du symbole, du signifiant qui entame cette maternité et l’arrache à sa pure détermination matricielle, comme à l’imaginaire d’une fusion ou d’une abolition. C’est le désir, la jouissance, qu’ils soient accomplis ou inaccomplis, qui constituent les matériaux de la filialité, ses impasses, ses interdits, ses noeuds ou ses ruptures. On comprend aussi que l’enfant entre dans la filiation par un travail fantasmatique sur l’origine de sa conception. La psychanalyse élabore en ce domaine un savoir dont il est difficile de se dispenser, comme le montre d’ailleurs l’ensemble de ce dossier. Ce savoir repose ici sur une reconnaissance des enjeux que mettent à l’épreuve les fictions analysées. La filiation concerne le sens ; et la matérialité de l’écriture littéraire ou filmique qui permet de le construire permet aussi d’en reprendre et d’en rejouer les termes, d’en déployer les effets. La question de la filiation nous renvoie donc toujours aux figures de l’histoire dont nous sommes les destinataires et les passeurs, héritiers d’un texte à déchiffrer ou à récrire avec des mots inédits. Les filiations sont des écritures, des fictions, des inventions. Cela ne nie en rien la loi qui les détermine, puisque cette loi est justement ce qui fonde l’entrée du sujet dans le langage. On verra ici à quel point elles sont le moteur de toutes les écritures, fictions et inventions qui font oeuvres. Le texte d’ouverture de François Ouellet en est une excellente démonstration, puisqu’il présente un montage fictionnel qui propose d’en finir avec toute filiation instituée, autant dire avec toute fonction paternelle qui ne serait pas choisie délibérément par le « fils ». Dans L’Homme de paille …
PrésentationFiliations[Record]
- Anne Élaine Cliche
Online publication: Nov. 6, 2006
A document of the journal Protée
Volume 33, Number 3, Winter 2005, p. 5–7
Filiations
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