D'abord, il y a quelque chose de paradoxal dans ce titre d'allégorie visuelle, car l'allégorie, technique ancienne et médiévale selon l'expression de J. Whitman, était à l'origine une pratique de la langue parlée. En effet, l'étymologie du terme le fait dériver du grec ἀλληγοрία, action consistant à dire une chose et en même temps à en signifier une autre (ἀλλοϚ), le terme ayant ainsi pour origine un verbe voulant dire « haranguer au marché ou sur la place publique » (ἀγοрἀ). Le verbe ἀλληγοрειυ aurait donc débuté dans une sorte de rhétorique mystifiante comme acte de décrire ou de représenter oralement et de manière disjointe certains faits et événements sous l'apparence de tout autres faits et événements qui leur ressemblent à certains égards. Ensuite, le parlé s'est constitué en écrit sous la forme du commentaire philosophique - l'allégorèse ou allégorie interprétative connue longtemps sous le nom de ὑπόυοια (signification sous-jacente) -, et ce n'est véritablement qu'au haut moyen âge que le potentiel didactique et moralisateur de la « technique » a pu être compris et exploité comme composition et non plus seulement comme interprétation. L'allégorie fondée sur l'image, quant à elle, réalisée de manière exemplaire dans les divers livres d'emblèmes, sera par conséquent une invention tardive. Si donc une pratique parlée est devenue un commentaire écrit pour enfin se réaliser sous la forme d'images, on peut avancer l'idée, n'en déplaise à certains commentateurs qui s'obstinent à n'admettre que l'allégorie écrite, qu'à certains égards qui restent à déterminer les trois réalisations orale, écrite et visuelle de l'allégorie ont des caractères communs. Ce sont ces considérations que les collaborateurs du dossier exploitent en poursuivant en filigrane trois pistes de réflexion. D'abord, de technique l'allégorie se transforme véritablement en mode commun à divers genres, qui vont du récit à l'emblématique nationale, de l'image allégorique photographique jusqu'à un questionnement sur la nature du musement et de la création artistique. Ensuite, c'est sur ce point précis de la nature du dénominateur commun aux divers genres allégoriques que s'ouvre à nouveau le vieux débat des rapports associant (ou non) l'allégorie et la métaphore. Enfin, toute image allégorique ou autre étant en elle-même forcément rhématique, se pose avec persistance la question du rôle à attribuer dans l'interprétation de l'allégorie visuelle au texte qui l'accompagne et la soutient. Néanmoins la problématique ouverte par le thème du dossier ne s'arrête pas avec l'étymologie - la lecture d'un texte écrit étant tout autant une activité oculaire et le texte lui-même un phénomène visuel et vu. C'est que notre conception du visuel tout comme notre perception visuelle elle-même, comme l'a suggéré autrefois Walter Benjamin, ont évolué avec les changements sociaux et politiques survenus dans l'histoire de l'humanité. Et de la même manière le statut « ontologique », pour ainsi dire, de l'objet visuel ainsi perçu en tant qu'existant a lui aussi subi de profondes transformations. Autrefois, les histoires saintes, par exemple, ont souvent été réalisées sous forme de fresques murales proposées à la contemplation collective et humble de fidèles illettrés dans un endroit sacré unique et fixe ou bien se sont retrouvées sur les pages altières de livres destinés à un lectorat aristocratique restreint. Dans les deux cas l'objet visuel avait une portée et un rayonnement limités. C'est sans doute grâce à l'invention de la xylographie que la diffusion de l'allégorie s'est développée et que la gamme du représentable s'est considérablement étendue. Car aujourd'hui, en revanche, tout au moins dans le monde occidental, l'observation de l'objet visuel, allégorique ou autre, est devenue un acte à la fois individuel et universel : la scolarité obligatoire assure à …