Volume 33, Number 1, Spring 2005 L’allégorie visuelle
Table of contents (10 articles)
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Présentation : problématiques du visuel
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Fond et forme dans l'image allégorique
Tony Jappy
pp. 9–23
AbstractFR:
Il y a vingt ans, l'historien de l'art américain Craig Owens publiait en deux parties une étude visant à réhabiliter l'allégorie dans un contexte postmoderniste. Cette étude est devenue depuis un passage obligé de toute réflexion sur ce mode. S'inspirant très largement d'un texte de Walter Benjamin consacré au drame baroque allemand, Owens soutenait entre autres que l'allégorie est résolument tournée vers le passé avec, pour figures caractéristiques, la ruine isolée et la mélancolie et que sa structure spécifique peut se concevoir comme le « supplément » derridien.
S'appuyant sur deux séries de photographies allégoriques contemporaines, le présent article cherche à replacer certaines des thèses d'Owens dans un cadre sémiotique peircien en s'intéressant tout particulièrement à sa tentative de caractériser le mode par son contenu et à la thèse du passéisme mélancolique qui lui serait spécifique.
EN:
Twenty years ago, the American art historian Craig Owens published a two-part study on allegory that has since become a necessary reference in any discussion concerning the allegorical mode. Drawing heavily on Benjamin's thesis regarding German Baroque tragic drama, Owens claimed that allegory was resolutely linked to the past, that its principal figures were the ruin and melancholy, and that its specific structure could be conceived in terms of the Derridean supplement.
Using two series of contemporary photographic allegories, this article seeks to examine some of Owens' claims from a Peircean perspective. It will specifically focus on Owen's attempt to characterize the allegorical mode by its content, and will examine the association of allegory with the past, with melancholy and the ruin.
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Régimes du visuel et transformations de l'allégorie
Christian Vandendorpe
pp. 25–38
AbstractFR:
L'allégorie est un des procédés majeurs dont dispose le peintre pour faire accéder le tableau au domaine du sens. La vogue et le déclin de cette figure en peinture sont parallèles au destin changeant que connut l'allégorie verbale, tombée en discrédit à l'époque romantique. Tout comme le langage s'est détaché du référent à la fin du xixe siècle, la peinture a effectué une rupture avec l'ordre de la représentation quelques années plus tard. À notre époque, l'avènement de la « vidéosphère » a réintroduit dans l'image de grande consommation les exigences d'une symbolisation aussi univoque que possible. Celle-ci, toutefois, s'appuie souvent sur des procédés différents de l'allégorie classique afin de pouvoir transcender les langues et les cultures.
EN:
Allegory is one of the most important tools at the disposal of the painter who wishes to communicate meaning through his paintings. The success and decline of allegory in painting parallels the changing fate of the verbal allegory, which fell into disregard with the advent of Romanticism. Later, just as language cut its ties to the referent at the end of the xixth century, painting moved away from the necessity of representation in the xxth century. Today, in the age of the " videosphere ", images of mass consumption are searching for ways to express symbols as unequivocally as possible. However, the modern allegory has had to invent new methods of expression in order to transcend languages and cultures.
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La structure sémiotique de l'allégorie : analyse peircienne d'une icône nationale : Britannia
David Scott
pp. 39–48
AbstractFR:
En retenant la définition de l'iconicité proposée par Tony Jappy, à savoir « l'ensemble des propriétés qualitatives, formelles, hérité de son objet dynamique par un signe donné », cette intervention proposera une analyse sémiotique d'une allégorie visuelle, en l'occurrence celle constituée par l'icône nationale Britannia.
L'allégorie (plastique) est un discours visuel qui se construit en utilisant des signes visuels. Le but de mon analyse est d'interroger le processus de la sémiose activé par l'allégorie visuelle quand il prend la forme, comme c'est le cas avec Britannia, d'une icône complexe. Utilisant les catégories et la terminologie de Peirce, mon texte poursuit l'analyse sémiotique de Britannia en se concentrant surtout sur la structure des inférences que l'allégorie, en tant que signe, invite de la part de l'interprétant, et de la contrainte qu'elle exerce sur le processus d'interprétation. Car l'allégorie, en proposant entre signe et objet un parallélisme plus systématique et plus fermé que la métaphore pure, appelle une activation plus suivie des diverses logiques d'inférence proposées par Peirce que sont la déduction, l'induction et l'abduction. L'analyse est étayée par un corpus d'illustrations qui, en montrant les diverses formes visuelles que prend l'icône Britannia, souligne un paradoxe à l'intérieur de l'allégorie visuelle - la mobilité dans l'unité, sur le plan de l'interprétation et sur le plan de la représentation.
EN:
Based on the definition of iconicity given by Tony Jappy (" l'ensemble des propriétés qualitatives, formelles, hérité de son objet dynamique par un signe donné "), this article presents a semiotic analysis of a visual allegory, namely Britannia, national icon of Great Britain.
In its plastic form, allegory is a visual discourse constructed around iconic signs. This analysis seeks to examine the semiosis process activated by the visual allegory, when it takes the form of a complex icon, as it is the case in Britannia. Using Peirce's categories and terminology, my analysis will focus on the structure of inferences that allegory as a sign draws on in the interpretant, and on the constraint it imposes to the interpretive process. By proposing a more systematic and closed parallelism between sign and object than that of metaphor itself, the allegory suggests a more extended activation of the various logics of inference - deduction, induction, abduction - suggested by Peirce. My analysis will be supported by illustrations which, in showing some of the multiple visual forms taken by Britannia as an icon, underline a central paradox found in visual allegories - that of mobility within unity, both on the levels of interpretation and of representation.
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Dérivations de l'allégorie dans la photographie contemporaine
Mirelle Thijsen
pp. 49–57
AbstractFR:
Quelle est la place occupée par l'allégorie dans la photographie contemporaine ? L'utilisation du mode allégorique marque, depuis le début de ce siècle nouveau, un tournant décisif. Les pratiques photographiques actuelles s'imprègnent de dérivations allégoriques : de nombreux artistes photographes, des femmes surtout, majoritairement britanniques, font ouvertement usage de l'allégorie dans leurs oeuvres, assurant ainsi à la suite des travaux des générations d'artistes photographes des années 1980 et 1990 (Evergon, Sherman, Knorr, Buckland, Richon, Cohen, Leriche, etc.) la survie de ce mode « académique ». En cela ils s'appuient sur des conventions de représentation et de figuration héritées de la tradition de l'art occidental, fondées donc sur une esthétique bien établie.
Alors que l'on dispose de nombreuses études qui alignent l'allégorie sur les productions du théâtre, de la littérature, de la sculpture, de la peinture et du cinéma, on s'est très peu intéressé d'un point de vue sémiotique aux stratégies et aux méthodes de travail des artistes qui adoptent le mode allégorique, et partant aux discours critiques qui leur sont consacrés. C'est là la préoccupation principale du présent article. On cherchera donc à dégager la très grande variété d'outils empruntés par des artistes impliqués à fond dans des projets esthétiques très divers et souscrivant à des positions politiques différentes, et à étudier la manière dont ils génèrent dans l'imagerie fixe des effets narratifs et le sens allégorique. Il sera également opportun de mettre en évidence certains thèmes récurrents, liés à la culture, aux institutions, au pouvoir, à la diversité sexuelle, et la manière dont ces artistes ont su dépasser et étendre les codes de représentation classiques.
EN:
What place does allegory hold in contemporary photography ? The use of the allegorical mode is a significant trend in turn of the century photography. Current photographic practice is suffused with derivations of allegory ; contemporary photographers, mainly British women, have openly used allegory in their work, following in the steps of a generation of artists that appeared in the eighties and early nineties (Evergon, Sherman, Knorr, Buckland, Richon, Cohen, Leriche, etc.). Artists using the concept of allegory rely on conventions of representation and figuration that are common in Western art. The content of allegorical work by the artists studied here is firmly based on an established aesthetic.
In contemporary photography, allegory has been aligned with plays, books, sculptures, paintings and films, but surprisingly, the strategies and working methods of photographers using the allegorical mode have not often been studied from a semiotic point of view. A comparative study is thus being conducted in this article. Holding different aesthetic and political views, photographers use a variety of tools to generate narration using themes linked to culture, cultural institutions, power, social conditions, sexual diversity and gender, hence pushing the boundaries of classical codes of representation.
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Suzanne Tardif-Berberi : par delà l'empreinte
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L'allégorie : image insue et geste créateur
Francesca Caruana
pp. 67–76
AbstractFR:
La peinture ne manque pas de figures allégoriques. Leur interprétation, marquée par l'histoire et l'histoire de l'art, ne parvient pourtant pas à masquer l'importance de l'acte créateur qui préside à leur existence. C'est cette dimension trop vite classée dans l'habitude esthétique que cet article propose d'explorer, à partir du fait que toute forme laissée par l'artiste ne rend finalement compte que d'une métaphore du for intérieur : le geste créateur apparaît alors comme l'allégorie du musement.
EN:
There is no shortage of allegorical figures in painting. Yet their interpretation, which has been influenced by history and art history, has not quite managed to minimize the importance of the creative act which determines their existence. It is this dimension of pictorial allegory, all to often classified as an esthetic habit, that the present article seeks to explore, starting from the idea that any and every form left by the artist simply constitutes a metaphor of the inner life : the creative act thus appears as an allegory of what Peirce called " musement ".
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De la métaphore à l'allégorie dans la sémiotique écologique
Göran Sonesson
pp. 77–90
AbstractFR:
Si l'allégorie est une métaphore filée, comme disent les classiques, il faut commencer par étudier cette dernière. Le système du Groupe µ, dont nous avons donné ailleurs une version revue et corrigée, esquive cette terminologie traditionnelle, mais si l'on veut appliquer un tel système à la rhétorique langagière, il est nécessaire d'en trouver les corrélations. Or, tandis que la métaphore de l'image, à la différence de la métaphore verbale, relève presque complètement de l'iconicité primaire, l'allégorie ne peut pas être fondée, dans les deux cas, que sur une iconicité secondaire. Nous utilisons le terme d'iconicité primaire pour désigner les cas où la ressemblance précède et détermine la fonction du signe, et nous l'opposons à l'iconicité secondaire, où la similitude ne devient perceptible que grâce à la fonction du signe. Néanmoins, nous allons voir que, dans l'image, l'allégorie a plus de chance de devenir « symbole », dans le sens où les romantiques opposaient ce dernier à l'allégorie. Pour le montrer, nous nous fondons sur notre interprétation, dans les termes de la sémiotique moderne, de l'opposition entre les deux modes de représentations caractérisées par Lessing.
EN:
If allegory is an extended metaphor, as classical rhetoric would have it, we should have to start by studying it. The system of the µ group, which I have elsewhere examined and tried to amend, steers clear of this traditional terminology ; however, should such a system still be relevant to linguistic rhetoric, correlations must be found. While pictorial metaphors, contrary to verbal metaphors, are almost entirely a kind of primary iconicity, the allegory must, in both cases, be based on secondary iconicity. The expression primary iconicity is used to describe the case in which similarity precedes and determines the sign function, as opposed to secondary iconicity, used when similarity can only be perceived thanks to the sign function. Nevertheless, I will try to show that, in the case of pictures, allegory may more easily turn into " symbol ", in the sense in which this term was opposed to allegory by the Romantics. My argument is based on the distinction made by Lessing between two modes of representation reconceived in terms of modern semiotics.
Hors dossier
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Les notions d'intertextualité et d'intratextualité dans les théories de la réception
Kareen Martel
pp. 93–102
AbstractFR:
Cet article étudie le concept d'intertextualité tel qu'abordé par trois poéticiens de la réception : Michael Riffaterre, Wolfgang Iser et Umberto Eco. Les idées avancées par ces théoriciens sont synthétisées, analysées et comparées afin d'établir une définition commune de l'intertextualité dans le cadre d'une poétique de la réception. Nous appliquons ensuite ce modèle à une forme particulière d'intertextualité négligée tant par les théories de la réception que par l'ensemble des approches théoriques, c'est-à-dire l'intratextualité, qui consiste, pour un lecteur, à établir une lecture paradigmatique entre au moins deux textes signés par un même auteur. Les émotions suscitées par une telle lecture ainsi que les signes textuels sur lesquels elle prend appui sont relevés et mis en relation avec ceux associés à une lecture intertextuelle entre des textes qui portent une signature différente.
EN:
This article studies the concept of intertextuality proposed by three poeticians of the theories of reception : Michael Riffaterre, Wolfgang Iser and Umberto Eco. The ideas put forward by these theoreticians are here synthesized, analyzed and compared to one another in order to establish a common definition of intertextuality in the context of a poetic of reception. This definition will then be used to understand intratextuality, a specific kind of intertextuality neglected by the theories of reception and by other theoretical approaches. Intratextuality is defined as the paradigmatic links established by a reader between at least two texts written by the same author. This article identifies the emotions created by such a reading and by the textual signs supporting it, while also comparing these emotions with those related to an intertextual reading of texts written by different authors.
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Peirce et la limite : l'adresse nécessaire du signe
Nelson Charest
pp. 103–111
AbstractFR:
Cet article veut montrer que le signe peircien, par son adresse nécessaire, rejoint les pratiques de l'herméneutique. Nous procédons, dans un premier temps, à une révision des Catégories peirciennes, en notant comment cette pensée prépare les définitions du signe. Puis nous évaluons quelques-unes de ces définitions, et nous les complétons par des remarques sur la semiosis, l'habitude et la croyance, pour enfin établir un lien entre le signe peircien et l'herméneutique, selon trois aspects : la polysémie, l'autorité et l'adresse.
EN:
This article aims at showing how Peirce's sign, by its necessary address, meets the techniques used in hermeneutics. We will first examine Peirce's categories and show how they help construct the different definitions of " sign ". We will also examine some of Peirce's definitions of " sign ". Finally, we will complete these definitions with additional remarks on semiosis, habits and belief, allowing us to link Peirce's sign to hermeneutics, according to three specific aspects: polysemy, authority and address.