L’ambition de ce numéro consacré à la sémiotique du timbre-poste est double : approfondir et analyser les multiples fonctions du timbre-poste en tant que signe – définitif (ou traditionnel) et indiciaire, commémoratif et iconique, etc. – et, en même temps, poursuivre deux approches sémiotiques complémentaires – sémiologie et herméneutique – à l’analyse du timbre dans ses multiples fonctions. Le point de départ de notre propos est la distinction faite par Michel Foucault dans Les Mots et les Choses entre l’herméneutique (« [l]’ensemble des connaissances et des techniques qui permettent de faire parler les signes et de découvrir leurs sens ») et la sémiologie (« l’ensemble des connaissances et des techniques qui permettent de distinguer où sont les signes, de définir ce qui les institue comme signes, de connaître leurs liens et leur enchaînement »). Foucault fait cette distinction pour élucider les différentes stratégies sémiotiques des deux épistémès historiques qu’il analyse, en l’occurrence celle du xvie siècle et celle des xviie et xviiie siècles, c’est-à-dire l’âge classique. Selon Foucault, « le xviie siècle a superposé sémiologie et herméneutique » ; ce sera le but de notre projet, comme celui de l’âge classique, de les séparer jusqu’à un certain degré, mais pour les remettre en contact par la suite en constatant qu’au fond elles sont indissociables. C’est pour cette raison que je fais ici une séparation provisoire entre deux groupes d’articles, dont le premier recourt plus particulièrement à la sémiologie et le second davantage à l’herméneutique. Comme nous le verrons pourtant, ces deux différentes orientations se rencontrent ; une partie du premier groupe a d’importantes retombées dans le domaine de l’herméneutique et la plupart des articles du second groupe fondent tout de même leur poursuite de l’herméneutique sur la base d’une sémiologie. Les deux stratégies sémiotiques ainsi définies par Foucault se retrouvent en outre grosso modo dans les modèles théoriques repris dans les analyses qui constituent notre dossier, notamment ceux qui relèvent des théories de Saussure et de Peirce. Quoique ces derniers proposent des théories sémiotiques suffisamment compréhensives pour embrasser à la fois l’aspect herméneutique et l’aspect sémiologique du signe, dans chaque cas l’orientation va vers l’une de ces tendances. L’herméneutique est approfondie surtout dans la théorie peircienne du signe par son analyse du processus d’interprétation, la manière dont l’interprétant appréhende le signe en tant que fonction de logiques différentes mais complémentaires – la déduction, l’abduction ou l’induction. En revanche, la différence entre herméneutique et sémiologie est exprimée chez Saussure dans sa distinction entre parole – ou activation pour ainsi dire herméneutique des signes – et langue – disposition théorique qui permet l’opération du processus de signification, la sémiologie. Chez Peirce, ce sont les dispositifs d’interprétation (ou l’herméneutique) qui sont peut-être les plus élaborés, alors que chez Saussure, c’est plutôt la structure interne du signe (ou sémiologie) qui prime. Peirce est le père de la sémiotique dans le sens plus général du terme, s’intéressant à la pragmatique aussi bien qu’à la théorie ; en revanche, Saussure, inventeur du mot sémiologie, s’intéressait surtout à l’aspect structural du signe. La sémiologie saussurienne privilégie la différence – à l’intérieur d’un système ou entre deux systèmes – alors que l’herméneutique peircienne focalise sur l’autre, surtout dans la mesure ou celui-ci s’approche du réel ou du phanéron. Le timbre-poste constitue un objet privilégié en tant que dispositif sémiotique, dans la mesure où il se prête à une analyse d’une richesse exceptionnelle au niveau sémiologique aussi bien qu’herméneutique. Malgré sa taille minuscule, le timbre affiche sa présence et son statut comme signe d’une manière à la fois si voyante et si discrète …