Volume 29, Number 1, 2001 La société des objets. Problèmes d’interobjectivité Guest-edited by Eric Landowski and Gianfranco Marrone
Table of contents (11 articles)
Les objets entre eux
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Objets sans frontières
Andrea Semprini
pp. 9–16
AbstractFR:
Cet article concerne l’analyse d’un type particulier d’objets, les « objets sans frontières », dans le cadre d’une lecture sémiotique de la mondialisation. Après avoir rappelé les principales perspectives théoriques utilisées dans l’analyse des objets, nous y définissons les objets mondialisés et identifions leur spécificité dans le type de relation qu’ils entretiennent avec les contextes. Nous proposons ensuite une description du monde possible que ces objets projettent et de la dialectique d’interaction et de renforcement mutuel qui s’établit entre monde possible et monde réel. Cette dialectique montre que la mondialisation, loin d’être une question exclusivement économique, est aussi une affaire d’imaginaire et de représentations.
EN:
This article presents a semiotic analysis of what can be termed “objects without borders”, described from the standpoint of globalization. After a brief reminder of the principal approaches used in the analysis of objects, we will define what a global object is and argue that its specificity stems from its distinct relation to its context. We will propose a description of the possible worlds created by these objects, then compare these worlds to the real world, and try to define their interactions. These interactions show that the globalization process, far from being solely an economic issue, are also a matter of imagination and representation.
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L’aménagement d’un espace habitable
Giorgio Grignaffini and Eric Landowski
pp. 17–22
AbstractFR:
Aménager son appartement constitue une expérience des plus intéressantes du point de vue de l’étude de l’interobjectivité. Un véritable dialogue s’y noue entre sujets et objets, ainsi qu’entre les objets eux-mêmes, appelés à cohabiter en un même espace. La problématique ici proposée se concentre surtout sur la dialectique entre esthétique et fonctionnalité qui préside au choix des objets, sur le double rôle de l’espace, précondition du sens en même temps qu’objet parmi les autres, sur certains effets de rimes entre formes, couleurs ou matériaux entrant dans la composition des objets, et sur diverses questions liées à la notion de style en tant que dimension intervenant dans les modes de la coprésence interobjective.
EN:
Decorating one’s home represents an interesting experience from the point of view of a semiotic theory of the interaction between objets and subjects and, above all, between the objects themselves, especially when juxtaposed within one single space. This article focuses on the dialogue between aesthetics and functionality, which governs the choice of all furniture, on the role of the spatial dimension, on various types of correspondences or “ rhymes ” among shapes, colors or materials composing the objects, and finally on various problems of “ style ” arising from modes of interobjective co-presence.
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La patine et la connivence
Jacques Fontanille
pp. 23–35
AbstractFR:
La patine est tout d’abord affaire de temps, et en cela elle procure à l’objet une surface (sémiotique) d’inscription pour les « empreintes » d’un ensemble d’usages (les énonciations antérieures et successives des objets). Elle participe donc d’une mémoire figurative des objets, car, tout comme le discours verbal le fait avec la langue, l’énonciation des objets les modifie, et inscrit ces modifications dans leur structure même, qui en garde mémoire. En outre, cette mémoire, en ancrant les objets dans une sorte de tradition matérielle, celle de la longue chaîne des énonciations successives, projette des systèmes de valeur qui motivent leur co-existence : la mémoire inscrite dans la patine de chacun d’eux, devient alors leur mémoire collective, première étape de l’interobjectivité. Mais, pour pouvoir parler d’« interobjectivité », il faut d’abord pouvoir parler d’« objets », c’est-à-dire d’« actants ». Et on s’aperçoit alors que la patine, en dotant les « choses » soumises aux temps et aux usages d’une « enveloppe » chargée de valeurs et de mémoire, les convertit d’abord en actants compétents. Cette « compétence » n’est pas seulement de type sémantique (les valeurs incarnées dans la matière par les usages), elle est aussi modale, en ce sens que la patine et l’usure, tout comme l’ergonomie, induisent des contraintes et des lignes de tendance, des formes qui modalisent l’usager et infléchissent l’usage.
EN:
Patina is above all a question of time, which explains why it gives to the objects a semiotic surface where imprints of their uses are recorded, that is to say, the traces of the previous and successive enunciations of the objects. So, patina is a part of a figurative memory of objects, because, as verbal discourse does with language, the enunciations of objects modify them, and these modifications are embedded into their own material structure, which keep them in “ memory ”. This memory, when binding objects in a kind of material tradition, projects systems of values which are motivations of their coexistence : the memory which is inscribed in the patina becomes their collective memory, which is the first step to “ inter-objectivity ”. But, to be allowed to speak of “ inter-objectivity ”, we must first speak of “ objects ”, that is to say, of “ actants ”. And it becomes obvious that the patina, by giving them a layer heavy with values and memory, convert them into full-fledged actants. This “ competence ” is not only a semantic one (the semantic values which are embedded into the material structure by uses), but it is also a modal one, because the patina and the wear, induce on the surface of objects constraints and tendencies, shapes and orientations which are imposed to users and which change the use itself.
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Mécaniques de l’imaginaire
Guido Ferraro
pp. 37–47
AbstractFR:
Les derniers développements technologiques sont en train de mettre certains genres d’objets – « bots » et robots – à même de communiquer et d’interagir entre eux en manifestant un degré toujours plus élevé d’autonomie. Toutefois, ce que nous avons tendance à saisir substantiellement comme des objets devrait, d’un point de vue sémiotique, être repensé plutôt en termes d’entités purement relationnelles, corrélées soit à d’autres « objets », soit à des sujets. De même, si les objets sont envisagés le plus couramment comme des indicateurs d’identité sociale à lire par les autres sujets, ici au contraire on voit les objets-robots se conduire comme des lecteurs prompts à modéliser nos comportements, à l’attention d’autres robots. Des bots à notre service, on passe alors aux robots en société.
EN:
The most recent technological developments seems to allow certain classes of objects, such as the so-called “ bots " and robots, to communicate and interact directly with one another, presenting therefore an ever increasing degree of autonomy. However, what we consider fundamentally to be " objects " should be redefined, in a semiotic perspective, purely in terms of relational entities, acting in connection either with other objects, or with subjects. Likewise, while objects are, most commonly, regarded as indicators of social status to be " read " by other subjects, in the present case, on the contrary, one may observe that objects behave as " readers " – readers able to decipher and reconstruct our behaviour for the profit of other bots and robots. Objects cease to be " at our service " and tend to form their own " society ".
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Alex Magrini : L’art qui désarme. Aux armes, et caetera
Les objets, médiateurs entre les sujets
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Au supermarché. Libertés et contraintes dans le temple moderne de la consommation
Maria Pia Pozzato
pp. 57–63
AbstractFR:
Les courses au supermarché sont un bon exemple pour vérifier comment les liens qui constituent l’intersubjectivité peuvent être parfois influencés par des formes déterminées d’« interobjectivité ». Là où l’influence du Destinateur se fait sentir, dans le sens injonctif (la pièce de monnaie pour avoir le chariot) ou incitatif (collection de points, don, rabais), les Sujets ont tendance à renouer des liens sociaux ; par contre, quand les marchandises sont proposées sans intermédiaire (self-service), et que seule leur syntaxe propre est chargée d’engendrer des programmes d’achat, on note alors le retour de simulacres d’autosuffisance du Sujet par rapport aux autres Sujets.
EN:
Shopping at the supermarket is a good example of how intersubjective bonds may be influenced by specific forms of inter-objectiveness. When the Addresser’s influence is felt, either on an injunctive mode (having to pay just to get a trolley) or an incentive mode (sales, discounts or tokens), the subject tends to renew social bonds. On the contrary, when goods are offered directly, without any intermediary (self service, for instance), as if the objet’s function was its sole reason for its purchase, then the Subject is made to believe the simulacrum of its own autonomy.
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Les objets en peinture : un exemple d’interobjectivité « matrimoniale »
Lucia Corrain
pp. 65–73
AbstractFR:
Dans la peinture figurative, les objets perdent leur caractère de singularité pour assumer entre eux des relations de solidarité et de cohérence isotopique interobjective. L’analyse du diptyque de G. Metsu, Homme en train d’écrire une lettre et Dame en train de lire une lettre (1664), confirme cette hypothèse : les objets qui meublent les deux scènes concourent à produire un seul effet de sens. Dans le tableau consacré à la figure masculine, l’organisation des relations plastiques entre objets permet de déchiffrer le contenu de la lettre ; dans l’autre tableau, les objets servent à traduire les effets passionnels produits sur la jeune femme par l’arrivée de la lettre de son bien-aimé. Chaque objet de ce diptyque, même ceux de petite taille comme le dé, est renforcé par la mise en scène d’autres objets.
EN:
The objects portrayed in figurative paintings loose their features of singular objects and enter into relation with other objects, creating a system, an isotopic coherence. The analysis of the diptych Homme en train d’écrire une lettre and Dame en train de lire une lettre (1664), by G. Metsu, confirms this hypothesis : all the objects are aimed at expressing the general meaning. In the first picture, the “ plastic ” relations between he represented objects suggest the content of the letter, while in the second, they disclose the passionate effects reading her lover’s letter causes in the woman. All the objects in this diptych, even those as small as a dice, complement each other in constituting a totality.
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Organisations interobjectives et intersubjectivité dans les trains
Michela Deni
pp. 75–83
AbstractFR:
Cet article présente une analyse des objets dont se compose l’aménagement intérieur des trains de passagers en Italie. On observe que les relations interobjectives suscitées par la disposition des sièges, des poignées, des interrupteurs, des tablettes, des cendriers, etc., créent des espaces signifiants différenciés selon les modèles de wagons. Une typologie en est proposée. L’usage que les passagers font de ces espaces est lié à la manière dont ils en interprètent les effets de sens, compte tenu de la présence et de la valeur relationelle de chaque élément. Cet ensemble de relations induit des formes d’inclusion et d’exclusion entre groupes de passagers.
EN:
This article offers an analysis of the interior decoration of Italian trains. We will show that passenger cars are differentiated by arrangement of seats, handles, push buttons, small tables, ash trays, all those objects that furnish the car’s space. The passengers use this space as best they can, based on their interpretation of its meaning and on the relative value of each object. All these relations establish distinct social interactions, inclusive and exclusive.
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L’univers du téléphone portable. Microrites, paraboles et récits
Nicolas Dusi, Gianfranco Marrone and Federico Montanari
pp. 85–94
AbstractFR:
Le téléphone portable n’est pas seulement une exceptionnelle réussite commerciale. Sa diffusion transforme peu à peu la façon même de communiquer, et par suite les modes de relation sociale. À cet égard, le plus intéressant du point de vue sémiotique est d’observer comment cet objet technologique suscite l’émergence de formes d’hybridation inédites entre sujets et objets – corps et machines – toujours plus étroitement imbriqués les uns aux autres. D’où l’impossibilité de s’en tenir à la distinction entre une intersubjectivité exclusivement humaine et une interobjectivité purement technologique. La dimension anthropomorphe et la dimension objectale forment désormais une seule (et très complexe) réalité sociale, et aucune forme d’intersubjectivité n’est plus pensable indépendamment d’une interobjectivité.
EN:
The popularity of the cellular phone is not merely a commercial phenomenon. It has transformed ours ways of communicating and, as a consequence, our social relations. More importantly, from a semiotic point of view, this technological object has contributed to the creation of new body, a hybrid, where body and machine meet, where human subjects and non-human objects coalesce. Thus, it becomes impossible to distinguish between an entirely human intersubjectivity and an exclusively technological inter-objectivity. Both the anthropomorphic and the “ objectal ” dimensions merge in one complex social reality, and inter-subjectivity cannot be conceived anymore without a concurrent interobjectivity.
Hors dossier
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Raison et déraison dans la Lettre de Lors Chandos de Hofmannsthal
Claude Zilberberg
pp. 97–111
AbstractFR:
Cette étude se propose trois objectifs. En premier lieu, elle aborde le texte de Hofmannsthal d’une manière traditionnelle afin de montrer les limites de cette approche. En second lieu, elle s’efforce d’appliquer les hypothèses avancées par la sémiotique tensive (Fontanille-Zilberberg), hypothèses qui consistent pour l’essentiel dans la grammaticalisation de la circulation en discours des valences intensives et extensives. Enfin, une leçon émerge, nous semble-t-il, peu à peu, à savoir que l’affectivité ne se tient pas à la périphérie du sens, mais en son coeur même et, pour le dire sans précaution, l’affectivité devient la clef de la rationalité de ce type de discours, c’est-à-dire ce qu’il y a à comprendre dans l’acte de la lecture.
EN:
This study proposes three goals : First, it examines Hofmannsthal’s text from a traditional point of view to show the limits of such an approach. Secondly, it tries to apply an hypothesis, based on a tensive semiotics (Fontanille-Zilberberg), which describes essentially the grammaticalization of intensive and extensive valences in discursive circulation. Finally, a lesson seems to emerge, little by little, from this reevaluation, and it is, that affectivity does not exist on the periphery of meaning (sense), but lies at its very heart ; and this allows us to say without hesitation that affectivity is the key to the rationality of this kind of discourse. It is, in other words, that which is to be understood in the act of reading.