Volume 27, Number 3, 1999 L’imaginaire de la fin Guest-edited by Anne Élaine Cliche and Bertrand Gervais
Table of contents (12 articles)
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Présentation
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Manger le livre. Désémiotisation et imaginaire de la fin
Bertrand Gervais
pp. 7–18
AbstractFR:
Un des traits de l’imaginaire de la fin, outre les scénarios apocalyptiques, est une langue devenue opaque, à la limite d’être une chose, ou alors une langue démultipliée, aux capacités illimités. Le chronotope de la fin provoque ce qu’on peut appeler une désémiotisation de la langue, liée à un déséquilibre des interprétants, par lesquels sont opérées les attributions de sens. Pour en rendre compte, l’auteur donne trois exemples, dont le plus important est tiré de l’Apocalypse de Jean. C’est la scène où l’Ange offre à Jean de manger un livre. Comment expliquer un tel geste ? Quelles en sont les conséquences ? L’auteur compare cette scène à un récit de Maurice Blanchot (Le Dernier Mot) et à la dernière scène du roman City of Glass de Paul Auster.
EN:
One of the characteristics of the imagination of the endtimes is, beyond the simplistic apocalyptic scenarios, either a language completely opaque, transformed almost into a thing, or a language whose possibilities are limiteless. The endtimes seem to entail what can be called a desemiotisation of language, introduced by a desequilibrium in the semiosis’ interpretants. To better understand the process, this article gives three examples. The foremost is St. John’s Book of Revelation, especially the scene where the prophet is asked by an Angel to eat a book. How can we understand such an act? What does it entail ? This scene is compared to two others : the first is to be found in Maurice Blanchot’s Le Dernier Mot; the second is the last moment in Paul Auster’s City of Glass.
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Mille ans. Interprétation allégorique et littérale du millénium de l’Apocalypse
Diane Brouillet
pp. 19–28
AbstractFR:
En 431 après Jésus-Christ, l’Église condamne le millénarisme et déclare que la croyance au millénium est une hérésie. Par ce décret, l’Église s’élève contre une conception trop terrestre et trop matérielle de l’idéal chrétien et prend par le fait même une position tant politique que religieuse. L’entreprise de marginalisation du millénarisme est le résultat d’un travail d’interprétation complexe auquel ont participé les plus illustres Pères de l’Église. Nous traiterons ici de l’interprétation de saint Augustin qui, dans De la doctrine chrétienne et dans La Cité de Dieu, échafaude une réflexion visant la liquidation du millénarisme et la proclamation du règne spirituel de l’Église. Cette interprétation de saint Augustin prévaut encore aujourd’hui et permet la distinction entre les groupes catholiques traditionnels et les groupes marginaux adeptes des différentes sectes.
EN:
In 431 A.D. the Church condemned the belief in the millenium as a heresy. By this decree, it opposed a conception much too material of a christian ideal and took by the same token a political and religious position. The marginalization of millenarist thought is the result of a complex interpretation to which took part the most prominent Founders of the Church. In this article, I will describe St. Augustine’s interpretation of St. John’s Book of Revelation, which appears both in his De Doctrina Christiana and in City of God. In these, St. Augustine arguments against the belief in a concrete and foreseeable millenium and proclaims the spiritual reign of the Church. Le messie de la mancha.
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Le messie de la Mancha. Imaginaire et fin de la chevalerie dés orientée
Anne Élaine Cliche
pp. 29–44
AbstractFR:
L’auteur aborde avec Don Quichotte une analyse de l’imaginaire au sens de la psychanalyse. L’imaginaire de la « pureté de sang » propre à l’Espagne du Siècle d’or permet de ressaisir la dimension terrifiante et mortelle de ce registre dont le personnage de Cervantès devient le révélateur. C’est à la fonction du regard que le Chevalier de la Triste Figure nous convie pour rouvrir la captation imaginaire sur ce qui la fonde : le signifiant. Don Quichotte, comme les prophètes et le Messie de la tradition juive n’annonce pas la fin du monde, il dit l’actualité de la fin pour qui a oublié la fonction du regard, la place étrangère et sans image d’où la vérité d’une parole énigmatique et décentrée peut sortir.
EN:
The author proposes an analysis of Don Quixote and of the concept of the imaginary (« l’imaginaire ») from the standpoint of psychoanalysis. The ideal of a « purity of blood », proper to Spain’s Golden century, enables the author to capture the deadly and terrifying dimension of Cervantes’ character. He conveys us to revealuate the function of the eye and its imaginary apprehension in the establisment of the signifier. Don Quixote, in the manner of the prophets and messiahs of the jewish tradition, does not predict the end of the world, instead he reveals the actuality of this end for whom has forgotten the pre-eminence of the eye, the strange and iconless locus from where emerges the thruth of an enigmatic and decentered parole.
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« Moi seule en être cause… ». Le sujet exacerbé et son désir d’apocalypse
Jean-Pierre Vidal
pp. 45–55
AbstractFR:
Partant du principe, hors de toute perspective religieuse, que le discours apocalyptique représente pour le sujet « une façon de se venger à l’avance de sa propre mort », l’article étudie quelques-unes des figures rhétoriques qui scandent son énonciation à travers les exemples de La Mort d’Ivan Ilitch de Tolstoï et les invectives de Camille dans l’Horace de Corneille.
EN:
Considering rhetoric not as a mere ornemental apparatus but as the very core of discourse, this article tries to show that specific figures are linked to the apocalyptic discourse, at least within Literature and the various « private » apocalypses it presents. An analysis of Tolstoï’s The Death of Ivan Ilitch and Corneille’s Horace illustrates the functioning of these rhetoric figures.
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De la peinture de ruines à la ruine de la peinture. Hubert Robert et le Louvre
Johanne Lamoureux
pp. 56–69
AbstractFR:
Il semblerait que le discours historique et critique sur l’art en Occident, avant même l’iconoclasme et l’aniconisme de tableaux modernes, ait d’entrée de jeu été travaillé par le ressassement de la mort imminente de la peinture. Cet article veut montrer comment cette problématique – l’impossible survivance de la peinture – a pu être aussi formulée par la peinture même. Il s’y emploie en s’attardant à deux oeuvres d’Hubert Robert (1733-1808) où des conceptions opposées de l’histoire, progressiste ou cyclique, sont traduites spatialement : Le Projet d’aménagement de la Grande Galerie du Louvre et son pendant La Vue imaginaire de la Grande Galerie du Louvre en ruines (1796). Ce dernier tableau relève l’échec de la fonction de conservation du musée puisque la peinture en a disparu sans laisser d’autres traces que sculpturales, pointant peut-être ainsi l’incurable destin moderne de ce medium. Mais déjà le premier tableau de la paire, par le pivotement de l’axe latéral du récit sur la profondeur de l’axe discursif et énonciatif des tableaux, substituait à la peinture d’histoire une histoire de la peinture dont cette nouvelle invisibilité des oeuvres semble avoir été le prix à payer.
EN:
Even before the iconoclast or aniconic stances of modern pictures, Western discourses on the criticism or history of art had diversely reiterated the leitmotiv of the imminent death of painting. This article will demonstrate how this problematization has also been formulated within the very practice of painting. Our attention will focus on a pair of pictures by Hubert Robert (1733-1808) wherein two opposite conceptions of history are translated in spatial terms : the Projet d’aménagement de la Grande Galerie du Louvre and the Vue imaginaire de la Grande Galerie du Louvre en ruines (1796). The latter work manifests the failure of the function of conservation within the new museological institution, since painting has altogether vanished from the stage, leaving only sculptural traces behind and pointing to the fatal modernity of the pictorial medium. Yet by a forty five degree shift of the lateral axis of the narrative into the depth of the enunciative and discursive axis of perspective, the first picture of the pair already displayed an erasure of the depicted pictures to favor instead the visualization of their linkage to each others. It thereby signals a substitution of the traditional tableaux d’histoire for the new drive of the history of painting.
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L’atlas de la vie après la mort
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Fin de l’histoire sans fin (Le Pays des eaux de Graham Swift)
Jean-François Chassay
pp. 83–92
AbstractFR:
Cet article porte sur un ouvrage du romancier britannique Graham Swift, Le Pays des eaux (Waterland), dans lequel l’importance de la fin est indissociable d’une constante ambiguïté, où les identités troubles sont sans cesse liées à la question de l’origine. Le narrateur, professeur d’histoire, délaisse les méthodes habituelles de sa discipline pour raconter sa propre vie à ses étudiants, reprenant la manière ancestrale du conte de fées. À l’histoire d’une vieille famille anglaise maintenant en pleine déliquescence se mêle une réflexion sur le développement des événements historiques et leur constante teneur catastrophique, dont l’épicentre serait la Deuxième Guerre mondiale. L’article examine comment la mise en texte de l’Histoire provoque une crise du sujet.
EN:
This article presents a reading of Waterland, the novel by British writer Graham Swift, in which the importance of the end is indissociable from a constant ambiguity, where troubled identities are always linked to the questions of origin. The narrator, a history teacher, neglects the usual methods of his discipline to relate his own life to his students, in the fashion of traditional fairy tales. The story of an old English family now in decay is intertwined with a reflexion about historical events and their disastrous content, whose focus point is the Second World War. This article will show how, in this novel, the textualization of History provokes a crisis in the subject itself.
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La fin du sexuel. Expérience, expérimentation et pratiques sexuelles dans les fictions de Dennis Cooper
Jean-Ernest Joos
pp. 93–102
AbstractFR:
Quelle est la fin du sexuel ? C’est la question que l’on pose ici dans la convergence des travaux de la psychanalyse sur les pulsions de mort, des éléments d’une culture de la mort qui s’approprie la mort comme lieu de fantasmes sexuels, et les fictions de Dennis Cooper, auteur américain contemporain qui réfléchit sur les relations entre les limites du sexuel et celles de la vie. L’hypothèse est que dans un monde posthumain, où l’unité de l’expérience de la mort et du sexuel s’est perdue, les imaginaires générés par la négation de la finitude sont en fait des lieux d’expérimentation des limites du sujet et des formes nouvelles de communauté.
EN:
The end of the sexual… How can we understand such an event ? The purpose of this paper is to look at this end by bringing together psychoanalytic works on death drives, on elements of a culture of death, focusing on its use in sexual fantasies, and the fictions of Dennis Cooper, a contemporary American writer who works on the boundaries of sex and life. My hypothesis is that, in a posthuman world where unity of experiences of death and sexuality is lost, the imaginary discourses, created by the negation of our finite existence, are sites for experimenting with the boundaries of the subject and with new forms of community.
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Nous – infinis entre deux fins
Michel Lisse
pp. 103–108
AbstractFR:
Dans cet article, je tente d’étudier l’oscillation entre les concepts de fini et d’infini dans divers textes de Jacques Derrida et son incidence sur les problématiques de la promesse et de la mort. Cette étude me conduit à considérer une proposition de Jacques Derrida sur un « nous infini » face au « soleil fini » comme une réécriture du Soleil placé en abîme de Francis Ponge.
EN:
In this paper, I set out to study the oscillation between the concepts of « the finite » and « the infinite » in a series of texts by Jacques Derrida as well as its effect on the issues of promise and death. This study leads me to consider the idea of a « nous infini », in relationship to the « soleil fini » that was put forth by Jacques Derrida in his rewriting of Francis Ponge’s Soleil placé en abîme.
Hors dossier
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« Des stries et du noir » aux rythmes et aux lumières. Une description de sept peintures de Pierre Soulages
Marie Renoue
pp. 110–118
AbstractFR:
Adoptant la démarche sémiotique de l’École de Paris et les acquis de la phénoménologie merleau-pontyenne en matière de perception et d’esthétique, cet article propose une lecture paradigmatique et syntagmatique d’une série de sept peintures de Pierre Soulages. Mode d’exposition, sérialité, formes et substances - lumière et rythme - mobiles de l’expression sont analysés, définis face à un sujet culturel présupposé. La mobilité de la saisie perceptive du sujet modalisé par les peintures qu’il regarde nous invite à considérer la perception comme un processus sémantique dynamique et à nous interroger à nouveau sur l’évidence du regard percevant.
EN:
Within the semiotic scope of the École de Paris and Merleau-Ponty’s phenomenological theses concerning perception and aesthetics, this paper proposes a paradigmatic and syntagmatic reading of a series of seven paintings by Pierre Soulages. Modes of exhibition, seriality, animated shapes and substances – luminosity and rhythm – of expression are analysed and defined in reference to an underlying cultural subject. The instability of the subject’s perceptions, shaped by the paintings observed, leads us to consider the perception as a dynamic semantic process and to wonder again about the evidence of the perceiving eye.
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« Différence et répétition ». Oeuvre de simulacre
Frédéric Boutin
pp. 119–124
AbstractFR:
Pourquoi, à la lecture de l’ouvrage Différence et Répétition de Deleuze, le lecteur sent-il que l’essentiel du propos du philosophe ne consiste pas essentiellement à promouvoir un savoir, une connaissance qui serait éminemment de l’ordre du contenu de l’oeuvre ? Pourquoi, traversant ce discours hermétique, a-t-il l’impression que le sens glisse devant lui et lui échappe et que précisément l’oeuvre entend jouer ainsi de lui (du sens et du lecteur) ? Cet article veut à la fois traquer cette éventuelle stratégie textuelle qui consiste à entraîner le lecteur dans les dédales d’une lecture pragmatique et définir la notion de simulacre que propose l’ouvrage.
EN:
While reading Gilles Deleuze’s Difference et Repetition, why does the reader feel that the essential points of the philosopher do not consist in promoting a knowledge in accordance with the content of his work? Why, reading through this hermetic speech, does the reader have the impression that meaning is slipping from him, and that it is precisely what this work is seeking : a complex play on meaning and reading ? This article aims, to describe this textual strategy wich consists in leading the reader to the mazes of a pragmatic reading, and, on the other hand, to define the notion of simulacra proposed by this work.