Abstracts
Résumé
La gestion des émotions, notamment dans les métiers de service, est souvent analysée comme un risque. La notion de travail émotionnel, développée par Arlie Russell Hochschild, incite également à concevoir le travail sur ses émotions et celles d’autrui comme une charge qui devrait être rémunérée en tant que telle. Pourtant, la dimension affective des relations de travail peut aussi être gratifiante. La régulation collective des émotions dans le travail peut agir sur la valence des affects, donner du sens aux efforts réalisés, augmenter le pouvoir d’agir et le contrôle des travailleuses et travailleurs sur la situation; et donc, au final, participer à la construction de la santé. Après avoir brièvement rappelé les différents travaux sur la régulation collective des émotions et de la santé, cet article s’intéresse à un aspect particulier de cette régulation : la coloration affective des situations qui vise, après coup, à peser sur la valence, la signification et l’empreinte traumatique ou euphorique des affects. Des émotions potentiellement perturbatrices comme la peur, l’humiliation ou la colère peuvent alors servir de levier pour valoriser une action, appuyer des savoir-faire de prudence, réparer des identités mises à mal. Des recherches auprès de policiers, de diplomates ou d’ouvrières permettront d’illustrer et d’étayer cette hypothèse.
Mots-clés :
- travail émotionnel,
- collectifs,
- coloration affective,
- pouvoir d’agir,
- contrôle,
- santé
Abstract
The management of emotions, especially in service jobs, is often analyzed as a risk. The notion of emotional labour, developed by Arlie Russell Hochschild, also encourages us to see working on one's emotions and those of others as a task that should be remunerated. That said, the emotional dimension of work relationships can also be rewarding. The collective regulation of emotions at work can act on the valence of affects, give meaning to the efforts made, increase the workers' ability to act and gain control over the situation, and, thereby, participate in the construction of their health. After briefly reviewing the various studies on the collective regulation of emotions and health, this article focuses on a particular aspect of this regulation: the affective colouring of situations which aims to influence the valence, meaning, and traumatic and euphoric imprint of the affects. Potentially disruptive emotions such as fear, humiliation, and anger can then be used as a lever to valorize action, support prudent know-how, and repair damaged identities. Research with police officers, diplomats, and industrial workers illustrates and supports this hypothesis.
Keywords:
- emotional labour,
- collectives,
- affective coloring,
- power to act,
- control,
- health
Resumen
La gestión de las emociones, especialmente en puestos de servicio, es frecuentemente analizada como un riesgo. La noción de trabajo emocional, desarrollada por Arlie Russell Hochschild nos incita también a ver el trabajo sobre las propias emociones y las de los demás, como una carga que debe ser remunerada. Sin embargo, la dimensión emocional de las relaciones laborales puede también ser gratificante. La regulación colectiva de las emociones en el trabajo puede actuar sobre la valencia de afectos, dar sentido a los esfuerzos realizados, aumentar el poder de los trabajadores para actuar y controlar la situación y, por lo tanto, participar, en definitiva, en la construcción de la salud. Tras una breve revisión de algunos estudios sobre la regulación colectiva de las emociones y de la salud, este artículo se focaliza en un aspecto particular de esta regulación: el tinte afectivo de las situaciones que pretende influir en la valencia, en el significado y en la huella traumática o eufórica de los afectos. Las emociones potencialmente perturbadoras, como el miedo, la humillación o la ira, pueden utilizarse como palanca para valorizar la acción, para apoyar un conocimiento cauteloso, para reparar las identidades dañadas. La investigación con policías, diplomáticos y trabajadoras industriales ilustrará y apoyará esta hipótesis.
Palabras clave:
- trabajo emocional,
- colectivos,
- tinte afectivo,
- poder de acción,
- control,
- salud
Appendices
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