Perspectives interdisciplinaires sur le travail et la santé
Volume 25, Number 1, 2023 Portées et limites du travail émotionnel pour interroger le travail et ses (dé)régulations - Volume 1 Guest-edited by Thomas Bonnet and Éric Drais
Table of contents (9 articles)
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De l’analyse des émotions comme risque à la construction de la santé par la coloration collective des affects et des situations
Marc Loriol
AbstractFR:
La gestion des émotions, notamment dans les métiers de service, est souvent analysée comme un risque. La notion de travail émotionnel, développée par Arlie Russell Hochschild, incite également à concevoir le travail sur ses émotions et celles d’autrui comme une charge qui devrait être rémunérée en tant que telle. Pourtant, la dimension affective des relations de travail peut aussi être gratifiante. La régulation collective des émotions dans le travail peut agir sur la valence des affects, donner du sens aux efforts réalisés, augmenter le pouvoir d’agir et le contrôle des travailleuses et travailleurs sur la situation; et donc, au final, participer à la construction de la santé. Après avoir brièvement rappelé les différents travaux sur la régulation collective des émotions et de la santé, cet article s’intéresse à un aspect particulier de cette régulation : la coloration affective des situations qui vise, après coup, à peser sur la valence, la signification et l’empreinte traumatique ou euphorique des affects. Des émotions potentiellement perturbatrices comme la peur, l’humiliation ou la colère peuvent alors servir de levier pour valoriser une action, appuyer des savoir-faire de prudence, réparer des identités mises à mal. Des recherches auprès de policiers, de diplomates ou d’ouvrières permettront d’illustrer et d’étayer cette hypothèse.
EN:
The management of emotions, especially in service jobs, is often analyzed as a risk. The notion of emotional labour, developed by Arlie Russell Hochschild, also encourages us to see working on one's emotions and those of others as a task that should be remunerated. That said, the emotional dimension of work relationships can also be rewarding. The collective regulation of emotions at work can act on the valence of affects, give meaning to the efforts made, increase the workers' ability to act and gain control over the situation, and, thereby, participate in the construction of their health. After briefly reviewing the various studies on the collective regulation of emotions and health, this article focuses on a particular aspect of this regulation: the affective colouring of situations which aims to influence the valence, meaning, and traumatic and euphoric imprint of the affects. Potentially disruptive emotions such as fear, humiliation, and anger can then be used as a lever to valorize action, support prudent know-how, and repair damaged identities. Research with police officers, diplomats, and industrial workers illustrates and supports this hypothesis.
ES:
La gestión de las emociones, especialmente en puestos de servicio, es frecuentemente analizada como un riesgo. La noción de trabajo emocional, desarrollada por Arlie Russell Hochschild nos incita también a ver el trabajo sobre las propias emociones y las de los demás, como una carga que debe ser remunerada. Sin embargo, la dimensión emocional de las relaciones laborales puede también ser gratificante. La regulación colectiva de las emociones en el trabajo puede actuar sobre la valencia de afectos, dar sentido a los esfuerzos realizados, aumentar el poder de los trabajadores para actuar y controlar la situación y, por lo tanto, participar, en definitiva, en la construcción de la salud. Tras una breve revisión de algunos estudios sobre la regulación colectiva de las emociones y de la salud, este artículo se focaliza en un aspecto particular de esta regulación: el tinte afectivo de las situaciones que pretende influir en la valencia, en el significado y en la huella traumática o eufórica de los afectos. Las emociones potencialmente perturbadoras, como el miedo, la humillación o la ira, pueden utilizarse como palanca para valorizar la acción, para apoyar un conocimiento cauteloso, para reparar las identidades dañadas. La investigación con policías, diplomáticos y trabajadoras industriales ilustrará y apoyará esta hipótesis.
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Se « protéger » derrière son nez rouge ? Le travail émotionnel des artistes-clowns à l’hôpital
Claire Bodelet
AbstractFR:
Cet article vise à éclairer une part évidente mais invisible du travail des clown·es à l’hôpital : le travail de gestion des émotions. Ce type de travail doit leur permettre de rester créatif·ves tout au long de la journée, quels que soient les services et les situations. De fait, l’hôpital n’est pas un lieu de travail « naturel » pour des clown·es, et iels doivent se confronter à une série de situations qui peuvent être plus ou moins déstabilisantes. Comment les clown·es parviennent-iels à faire leur métier à l’hôpital? Comment travaillent-iels avec les émotions? Quelles stratégies mettent-iels en place pour assurer leur endurance émotionnelle et « tenir » dans la profession? D’inspiration interactionniste, l’analyse s’intéresse aussi bien au rôle de l’organisation du travail dans la régulation des émotions, qu’au travail émotionnel que ces artistes accomplissent en actes, dans son déroulement quotidien à l’hôpital. En s’intéressant de près aux spécificités de leur activité, l’article ouvre de nouvelles pistes pour penser les différentes façons d’utiliser les émotions au service de chaque prestation.
EN:
This article focuses on an obvious but invisible part of hospital clowns’ work, that of managing their emotions. This specific work enables them to remain creative throughout the day, whatever the wards and situations they have to work in. The hospital is not a "natural" place for clowns to perform, and they must confront a series of situations that can be destabilizing to various degrees. How do clowns manage to do their job in the hospital? How do they work with their emotions? What strategies do they use to deal with difficult emotions and "keep going" in their profession? Based on an interactionist perspective, this analysis: 1) examines the emotional labour that clowns conduct in their daily work in hospitals; and 2) shows how their work organization can be mobilized to regulate emotions. By taking a close look at the specificities of the clowns’ practices, this paper opens up new paths to analyze the multiple ways emotions can serve each performance.
ES:
El presente artículo tiene por objetivo esclarecer un aspecto evidente, aunque invisible, del trabajo de los payasos en los hospitales: el trabajo de la gestión de las emociones. Este tipo de trabajo debe permitirles mantenerse creativos-as durante todo el día, sean cuales sean los servicios y las situaciones. De hecho, el hospital no es un lugar de trabajo “natural” para los-as payasos-as, quienes suelen confrontarse a una serie de situaciones que pueden resultar más o menos desestabilizadoras. ¿Cómo los-as payasos-as logran ejercer su oficio en el hospital?, ¿cómo trabajan las emociones? ¿qué estrategias ponen en marcha para asegurar su resistencia emocional y mantenerse en la profesión? Inspirado en el interaccionismo, el análisis se interesa tanto en el papel que juega la organización de trabajo en la regulación de las emociones, como en el trabajo emocional que estos artistas ejecutan en sus actos durante su desenvolvimiento cotidiano en los hospitales. Con cercano interés en las especificidades de esta actividad, el artículo abre nuevas vías para reflexionar sobre las diferentes formas de utilizar las emociones en cada servicio brindado.
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De l’expérience du cancer à l’activité de patiente-partenaire : travailler (avec) les émotions dans l’accompagnement des patientes en cancérologie
Marine Delaunay and Béatrice Jacques
AbstractFR:
L’implication de patientes-partenaires dans des équipes soignantes rejoue un processus d’attribution et de délégation des tâches relatives à la prise en charge des patientes. Ces patientes-partenaires réalisent un travail émotionnel dans le quotidien de leurs missions d’accompagnement des patient·e·s atteint·e·s de cancer, qui a été présent tout au long du processus de leur reconversion professionnelle. Dans la mesure où les espaces médicaux et scientifiques ont toutefois généralement tendance à offrir un accueil réservé à l’expression des émotions, les patientes-partenaires sont amenées à mobiliser différentes stratégies de régulation sur elles et sur les patient·e·s qu’elles accompagnent. Ce travail émotionnel participant de l’équilibre des relations entre patient·e·s et soignant·e·s, les émotions constituent, en définitive, tout autant un support de valorisation de l’activité d’accompagnement des patient·e·s, qu’une forme d’acculturation au monde des soignants. Si le temps passé à réaliser ce travail montre qu’il est une des composantes essentielles du processus de professionnalisation de ce nouveau métier, cela vient aussi réinterroger le(s) modèle(s) relationnels et pourrait assouplir le rapport des soignants aux émotions.
EN:
The involvement of peer support workers in care teams re-enacts a process of assigning and delegating tasks relating to patient care. Peer support workers carry out emotion-related work in their day-to-day task of accompanying cancer patients, which has been present throughout the conversion process. However, since medical and scientific environments generally tend to reserve a phlegmatic reaction to the expression of emotions, peer support workers employ various strategies for self-control and for that of the patients they help. Emotional work of this kind enhances the relationship between the patient and carer; emotions help both to accompany the patient and to acculturate patients to the carers’ work. While the time spent on this work shows that it is one of the essential components in the professionalization process of this new profession, it also calls into question the relationship model(s) and could facilitate the caregivers’ connection with emotions.
ES:
La implicación de pacientes-compañeras en los equipos de sanitarios reactiva un proceso de atribución y delegación de tareas relativas a la atención de las pacientes. Estas pacientes-compañeras realizan un trabajo emocional en sus misiones cotidianas de acompañamiento a pacientes con cáncer, presente durante todo el proceso de su reconversión profesional. No obstante los cuerpos médicos y científicos tienden a aceptar con reserva la expresión de las emociones, las pacientes-compañeras movilizan diferentes estrategias de regulación sobre ellas mismas y sobre las pacientes a quienes acompañan. Este trabajo emocional contribuye al equilibrio de las relaciones entre pacientes y sanitarios. Las emociones constituyen, en definitiva, tanto un soporte de valoración de la actividad de acompañamiento de las pacientes, como una forma de aculturación en el mundo de los sanitarios. Si bien el tiempo consagrado a este trabajo muestra que éste es uno de los componentes esenciales en el proceso de profesionalización de este nuevo oficio, también reevalúa el (los) modelo (s) relacional (es) y podría facilitar la relación de los sanitarios con las emociones.
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Du surtravail émotionnel : quand l’organisation du travail oblige à sourire et bouillir : le cas d’un salon de coiffure
Fanny Darbus and Emilie Legrand
AbstractFR:
Sourire et discuter même lorsque l’on n’en a pas envie. Cette exigence, qui s’applique aux travailleurs.ses des métiers de service, résume le travail émotionnel. Si ce dernier est l’ordinaire de ces métiers, certaines organisations de travail conduisent à la production d’un surtravail émotionnel. Avec l’étude de cas d’un salon de coiffure fonctionnant sans rendez-vous, nous montrons que l’organisation du travail choisie induit un flux de clientèle permanent qui, conjuguée au sous-effectif et à l’absence de coulisses, impose un travail particulièrement intense. Cette intensité oblige à la production d’un surtravail émotionnel, lequel s’avère coûteux pour la santé, en particulier pour celle des coiffeuses.
EN:
Smile and chat even when you don't feel like it. This requirement, which typically applies to service workers, summarizes emotional labour. While this situation is the norm for these workers, we defend the idea that certain work organizations can produce emotional overwork. Based on a case study of a hairdressing salon operating on a no-appointment basis, we show that the work organization leads to a permanent flow of customers which, when combined with understaffing and the absence of a rest area, results in a particularly intense work load. In turn, this intensity engenders emotional overwork, which is particularly costly for health.
ES:
Sonríe y habla aun cuando no te apetezca. Esta exigencia, que se aplica a los trabajadores-as del sector de servicios, concentra el trabajo emocional. Si bien este último es común en las profesiones de dicho sector, ciertas organizaciones laborales conducen al trabajador hacia un trabajo emocional excesivo. Con el estudio de caso de una peluquería sin previa cita, ponemos en evidencia que la organización de trabajo elegida produce un flujo constante de clientela que, combinado con la escasez de personal y la ausencia de un lugar reservado al mismo, impone un trabajo particularmente intenso. Esta intensidad de trabajo obliga a una sobreproducción de trabajo emocional, que resulta costoso para la salud, en este caso, de las peluqueras.
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Le travail émotionnel : quel travail et quelles émotions ?
Aurélie Jeantet
AbstractFR:
L’article interrogera le pouvoir heuristique et critique que revêt le concept de travail émotionnel. En quoi le travail émotionnel est-il un travail ? Requiert-il un effort conscient et une stratégie intentionnelle et rationnelle ? Quels problèmes émergent lorsque le travail émotionnel se déploie dans la sphère productive et au sein de rapports de coopération et de subordination ? Génère-t-il lui-même des émotions ? Et quels statuts et rôles attribuer aux émotions dans ces processus de transformation au travail et par le travail ? À une réflexion épistémologique, sera articulée dans un second temps une étude empirique réalisée dans le milieu universitaire qui montre, en dépit d’un déni défensif et d’une peur omniprésente, la diversité des émotions et leur rôle actif dans l’expérience du travail. Les émotions en viennent alors à opérer un travail de liaison et de résistance. En adoptant une définition relationnelle des émotions, on peut ainsi concevoir une forme de travail émotionnel non intentionnelle mais non moins cruciale pour façonner et comprendre le rapport au travail et les dynamiques professionnelles.
EN:
This article explores the heuristic and critical power that the concept of emotional labour holds. Is emotional labour a form of work? Does it require conscious effort and intentional, rational strategies? What issues arise when emotional labour takes place in the productive sphere and in cooperative and subordinate relationships? Does it generate emotions? And what statuses and roles should be attributed to emotions in these change processes occurring at and through work?
Following this epistemological reflection, an empirical study conducted in an academic environment was carried out that demonstrates, despite defensive denial and pervasive fear, the diversity of emotions and their active role in work. Emotions are seen to perform a connecting and resisting function. By adopting a relational definition of emotions, one can thus conceive of a form of emotional labour that, though unintentional, is nonetheless crucial for shaping and understanding work relationships and occupational dynamics.
ES:
El artículo explorará el poder heurístico y crítico que reviste el concepto de trabajo emocional. ¿Es el trabajo emocional una forma de trabajo? ¿Requiere de un esfuerzo consciente y de una estrategia intencional y racional? ¿Qué problemas surgen cuando el trabajo emocional se despliega en la esfera productiva y en el seno de relaciones de cooperación y de subordinación? ¿Genera él mismo las emociones? ¿Y qué estatus y roles atribuir a las emociones en estos procesos de transformación en el trabajo y a través del trabajo? A una reflexión epistemológica será articulado, en un segundo tiempo, un estudio empírico realizado en el ámbito académico que muestra, a pesar de una negación defensiva y un miedo omnipresente, la diversidad de las emociones y su papel activo en la experiencia del trabajo. Las emociones vienen entonces a realizar una función de enlace y de resistencia. Al adoptar una definición relacional de las emociones, podemos concebir una forma de trabajo emocional no intencional, pero no menos crucial, para dar forma y comprender la relación con el trabajo y las dinámicas profesionales.
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Du travail émotionnel au travail de santé
Dominique Lhuilier
AbstractFR:
Les transformations du traitement des émotions au travail se signalent par un glissement de la proscription des émotions à leur prescription, et ce, sur fond de ce nouveau modèle managérial de gestion des subjectivités. La notion de travail émotionnel, entendu comme travail de contrôle et production des émotions conformes aux exigences de la situation de travail, met l’accent sur son versant prescriptif. Nous explorons ici une autre face du traitement de l’émotion, non plus seulement du côté de la normalisation mais de la normativité. Le travail – au sens d’activité – implique un sujet et sa vie affective. Le fil tiré conduit à explorer les épreuves psychiques du travail et leur impact sur la santé. Dans cette perspective, nous développerons la part de travail émotionnel indexé au travail de santé. Le concept de travail de santé cherche à rendre compte de la construction de la santé tricotée dans l’activité professionnelle.
EN:
The change in the way emotions are treated at work has been marked by a shift from their proscription to their prescription, and this, against the background of the new managerial model of subjectivity management. The notion of emotional work, understood as the control and production of emotions in accordance with the requirements of the work situation, emphasizes its prescriptive side. Here we explore another side of the treatment of emotions, not only that of normalization but also of normativity. Work – in the sense of activity – involves a subject and his/her emotional life. This leads us to an exploration of work’s psychic difficulties and their impact on health. We then develop the aspect of emotional work as it is indexed to healthy work. The concept of healthy work seeks to describe how the construction of health is a core element of occupational activities.
ES:
Las transformaciones en el procesamiento de las emociones en el trabajo se establecen por un desplazamiento de la proscripción de las emociones a su prescripción, al trasfondo de un nuevo modelo de gestión de la subjetividad. La noción de trabajo emocional, entendido como el control y producción de emociones en concordancia con los requerimientos de la situación de trabajo, enfatiza su lado prescriptivo. Aquí, exploramos otro lado del tratamiento de la emoción, no solo del lado de la normalización, sino también del lado de la normatividad. El trabajo, en el sentido de actividad, involucra a un sujeto y su vida afectiva. Tirar de este hilo conduce a una exploración de las dificultades psíquicas del trabajo y su impacto en la salud. Desde esta perspectiva, desarrollaremos la parte del trabajo emocional indexado en el trabajo de salud. El concepto de trabajo de salud busca dar cuenta de la construcción de la salud entretejida en la actividad profesional.
Pistes à suivre
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Le travail disloqué. Organisations liquides et pénibilité mentale au travail, Guillaume Tiffon / Tiffon, G. (2022). Le travail disloqué. Organisations liquides et pénibilité mentale du travail. Éditions Le Bord de l’eau, Collection « Documents ». 232 p.
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Le corps et la gestion des risques dans l’activité collective, Sandrine Caroly / Caroly, S. (2022). Le corps et la gestion des risques dans l’activité collective. Octarès Éditions. 222 p.