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INTRODUCTION

Les punaises Pentatomidae (Hemiptera) comprennent des ravageurs majeurs de plusieurs cultures d’importance économique à l’échelle mondiale (Panizzi 1997), comme Euschistus servus (Say, 1832) [Hemiptera: Pentatomidae] dans le maïs et le soya, Nezara viridula (Linnaeus, 1758) [Hemiptera: Pentatomidae] dans le sorgho et le soya ou Euschistus heros (Fabricius, 1794) [Hemiptera: Pentatomidae] dans le coton (Borges et al. 1998; Bundy et McPherson 2000; Tillman 2010a; Tozoou et al. 2014). Les Pentatomidae provoquent la chute de graines et/ou de fruits des plants affectés et génèrent des malformations par la succion des fluides végétaux (McPherson et McPherson 2000; Panizzi et al. 2000) et la sécrétion d’enzymes salivaires (Silva et al. 2012), entraînant des pertes directes de rendement (Panizzi 1997). Le complexe de punaises Pentatomidae se positionne au deuxième rang des organismes les plus nuisibles dans le coton aux États-Unis (Cook et Cutts 2018). En Géorgie, les dommages économiques causés par trois espèces de Pentatomidae équivalaient à des pertes de 2,3 millions de dollars américains par an uniquement pour le soya (Bundy et McPherson 2000). L’importance économique des dommages causés par les punaises stimule la recherche pour le develop-pement de méthodes permettant de réduire les populations de ces ravageurs tout en réduisant l’utilisation de pesticides potentiellement néfastes à l’environnement (Corrêa-Ferreira et Moscardi 1995; Knight et Gurr 2007; Panizzi et Corrêa-Ferreira 1997).

De plus, il s’avère d’autant plus important d’étudier les Pentatomidae en milieu agricole depuis l’invasion récente de la punaise marbrée, Halyomorpha halys (Stål, 1855) [Hemiptera: Pentatomidae] aux États-Unis et au Canada (Chouinard et al. 2018). Cette espèce possède un spectre d’hôtes très large incluant de nombreuses plantes cultivées (Lee et al. 2013; Yu et Zhang 2007), y compris le pois (Lee et al. 2013), et cause des dommages importants aux cultures (Bariselli et al. 2016; Lee et al. 2013; Morrison et al. 2018). Outre la propagation de nouvelles espèces envahissantes, l’abondance des espèces de Pentatomidae indigènes comme Chinavia hilaris Say, 1832 [Hemiptera: Pentatomidae], E. servus et Thyanta custator (Fabricius, 1803) [Hemiptera: Pentatomidae] augmente dans différentes régions d’Amérique du Nord, comme dans le centre-ouest des États-Unis (Hunt et al. 2011; Michel et al. 2013). Cette augmentation est aussi observée depuis quelques années en Amérique du Sud avec des espèces comme la punaise à bande rouge Piezodorus guildinii (Westwood, 1837) [Hemiptera: Pentatomidae] et la punaise du riz Oebalus ypsilongriseus (De Geer, 1773) [Hemiptera : Pentatomidae] (Panizzi 2015).

Dans la culture de pois frais au Québec, les punaises Pentatomidae ne sont pas considérées comme des organismes nuisibles majeurs. Cependant, il existe un problème de contamination des produits alimentaires. Ce phénomène s’observe dans d’autres cultures comme le blé avec le charançon du blé Sitophilus sp. (Linnaeus, 1758) [Coleoptera: Curculionidae] qui cause un problème majeur dans l’industrie de stockage de grains (Brader et al. 2002) et qui est déjà présent dans les cultures avant la récolte (Likhayo et Hodges 2000). Dans le cas du pois frais, les punaises se confondent avec les petits pois par leur taille et leur couleur similaires. Même si les punaises dans le pois au Québec ne causent pas de dégâts directs aux cultures, des pesticides à large spectre sont appliqués afin d’éliminer ce possible contaminant avant la récolte. En 2015, plus de 25 % des zones de culture de pois au Québec (autour de 1 300 ha) ont été traitées avec des insecticides à large spectre comme le méthomyl (Lannate® Toss-N-Gomd, DuPont Canada) quelques jours avant la récolte. Ces insecticides présentent des effets négatifs sur l’environnement (Van Scoy et al. 2013) et sur la santé humaine (Silva et Beauvais 2010), mais aucune alternative de pesticide à risque réduit n’est actuellement disponible aux États-Unis et au Canada pour lutter contre ces Pentatomidae (Tillman 2008b).

Le Canada était le 20e producteur mondial avec plus de 13 000 ha cultivés en 2015 pour des recettes de près de 24 millions $ (Institut de la Statistique du Québec [ISQ] et Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation [MAPAQ] 2016), où le Québec représentait la première province productrice (MAPAQ, 2014). Malgré cette importance économique substantielle, les connaissances sur les Pentatomidae en champ de pois frais sont rares dans la zone néarctique. En effet, la dernière étude sur cette famille de punaise en champ de pois frais dans cette zone date de 1984 dans le Minnesota (Cranshaw et Radcliffe 1984).

Il apparaît donc essentiel d’identifier les principales espèces de Pentatomidae pouvant affecter la culture de pois frais au Québec et d’étudier leur dynamique de population. Les objectifs spécifiques de cette étude étaient : i) de caractériser la composition spécifique des punaises Pentatomidae; ii) de déterminer la dynamique de leurs populations et leur phénologie; et iii) d’étudier l’influence des facteurs abiotiques sur le nombre de captures de Pentatomidae dans la culture du pois frais.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Sites d’échantillonnage

Au total, 20 parcelles commerciales de pois frais ont été échantillonnées, soit dix par an (2016 et 2017) (Tableau 1). Ces champs étaient situés en Montérégie-Est (45,23; -73,06), principale région productrice de pois au Québec. Les cultivars ont été sélectionnés par l’industrie de transformation et les dates de semis se sont étendues du 29 avril au 12 mai 2016 et du 29 avril au 24 mai 2017 (Tableau 1).

Pièges à phéromones

Deux pièges pyramidaux ont été installés dans chaque champ à l’étude (piège Dead-Inn; 120 cm de hauteur; AgBioInc®) avec un mélange de deux phéromones d’agrégation (« Xtra Combo », AgBio Inc.®) : la phéromone d’agrégation de la punaise marbrée produite par les mâles qui contient principalement les deux composés suivants : (3S, 6S, 7R, 10S)-10, 11-epoxy-1-bisabolen-3-ol et (3R, 6S, 7R, 10S)-10, 11-epoxy-1-bisabolen-3-ol (Khrimian et al. 2014, 2016); et la phéromone d’agrégation de Plautia stali Scott, 1874 [Hemiptera: Pentatomidae] dont le méthyl (E,E,Z)-2,4,6-decatrienoate est le principal composant (Sugie et al. 1996). Ces phéromones sont considérées comme des phéromones généralistes capables d’attirer plusieurs espèces de la famille des Pentatomidae (Aldrich et al. 1991; Harris et Todd 1980; Zahn et al. 2008). Par exemple, les pièges avec du méthyl (E,Z)-2,4-decadienoate (MDD) peuvent capturer des adultes de C. hilaris et de N. viridula en champ (Tillman et al. 2010a). Une plaquette insecticide (dichlorvos 10%, Vapotape®) a été ajoutée dans le contenant en plastique au sommet du piège à phéromones à côté des phéromones pour limiter les fuites et les interactions avec d’autres arthropodes. Un premier piège a été installé à 20 cm de la bordure du champ (tel qu’actuellement utilisé par l’industrie) qui sera appelé piège de bordure. Un second piège, appelé piège central, a été installé à l’intérieur du champ, à 50 m de la bordure et à 150 m du premier piège pour éviter les biais liés à la présence d’un autre piège (Nielsen et al. 2011). Les phéromones étaient changées toutes les quatre semaines. Les insectes piégés étaient récupérés chaque semaine à partir du moment où les plants de pois avaient atteint une hauteur de 10 cm, et ce, jusqu’à la récolte ou au traitement insecticide. Pour l’ensemble des sites à l’étude, un minimum de quatre échantillonnages (quatre semaines) pour chaque champ a été réalisé.

Tableau 1

Caractéristiques des différents sites d’échantillonnage des punaises Pentatomidae dans la culture du pois frais au Québec dans la région de Montérégie-Est

Caractéristiques des différents sites d’échantillonnage des punaises Pentatomidae dans la culture du pois frais au Québec dans la région de Montérégie-Est

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Figure 1

Dispositif expérimental pour l’échantillonnage de Pentatomidae en champ de pois frais en Montérégie-Est à l’aide d’observations visuelles et de pièges à phéromones

Dispositif expérimental pour l’échantillonnage de Pentatomidae en champ de pois frais en Montérégie-Est à l’aide d’observations visuelles et de pièges à phéromones

Les points noirs représentent les points d’échantillonnage d’observation visuelle.

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Observations visuelles

Trois transects partant de la bordure du champ vers le centre de la culture de pois ont été mis en place dans chaque champ à l’étude avec quatre stations de dépistage par transect, situées à moins de 50 m de la bordure et délimitées par un cerceau couvrant une surface d’environ 1 256 cm2 (Figure 1). L’observation de l’ensemble des plants de pois pour chaque point a été réalisée une fois par semaine selon la même fréquence que pour les pièges à phéromones. Une observation consistait en un examen minutieux de chaque plant compris dans le cerceau, en retournant chacune des feuilles. Sur chacun de ces points d’observation, toutes les punaises Pentatomidae trouvées étaient récoltées manuellement.

Facteurs abiotiques

Champs adjacents

L’impact des cultures entourant les champs de pois sur la présence de Pentatomidae a été évalué en réalisant un dépistage d’un champ adjacent pour chacune des parcelles de pois. Des champs de soya et de maïs-grain ont été dépistés à raison de quatre champs de soya et six de maïs-grain en 2016 ainsi que cinq champs de maïs-grain et cinq de soya en 2017 (Tableau 1). Le suivi des Pentatomidae a été réalisé dans les cultures adjacentes situées dans une zone de 0 à 10 m de la bordure du champ de pois, sur 10 points d’observation visuelle aléatoires (un plant par point). Pour chaque plant, les punaises ont été collectées manuellement et la présence ou l’absence de dégâts était notée.

Données climatiques

Les moyennes des températures et des précipitations accumulées ont été calculées pour chaque période entre deux échantillonnages. Les données climatiques ont été récoltées grâce aux stations météorologiques d’AgWeather Québec (Agriculture et Agroalimentaire Canada [AAC], ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec [MAPAQ], Solutions Mesonet et Environnement Canada). Les coordonnées GPS précises des stations météo se retrouvent à l’annexe 1.

Phénologie

Les stades phénologiques du pois et de la culture adjacente (soya ou maïs-grain) ont été notés pour chaque date d’échantillonnage selon Meier et al. (2009).

Identification

Les individus récoltés ont été transférés au laboratoire. Le décompte des individus a été réalisé pour chaque technique de dépistage et leur identification a été effectuée grâce à la clé d’identification de Paiero et al. (2013). Tous les individus immatures ont été maintenus dans des conditions contrôlées (23 °C, 16L:8D), avec un apport en haricots, graines de citrouille et eau, jusqu’à ce qu’ils atteignent le stade adulte pour une identification optimale (Munyaneza et McPherson 2017). Pour chaque espèce trouvée, l’identification d’au moins un individu a été validée par le laboratoire d’expertise et de diagnostic en phytoprotection du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ). Des spécimens de référence ont été conservés au laboratoire de lutte biologique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Analyses statistiques

Composition spécifique

Les abondances relatives (nombre d’individus d’une espèce donnée sur la somme totale des individus toutes espèces confondues) des espèces retrouvées ont été calculées séparément pour les techniques de piège à phéromones et d’observation visuelle, et ce, pour l’ensemble des champs. La fréquence de détection par espèce (c’est-à-dire le pourcentage de champs où l’on a retrouvé au moins un individu d’une espèce donnée au cours de l’ensemble de la saison) a également été calculée séparément pour les deux techniques de dépistage utilisées. Les effectifs totaux des captures pour chaque espèce ont été comparés par un test exact de Fisher afin de vérifier si les deux techniques représentaient une composition spécifique significativement différente.

Dynamique temporelle

Pour les pièges à phéromones, le nombre de captures par piège par jour a été calculé pour chaque relevé en fonction du nombre de jours entre deux relevés. L’ensemble de la saison a été découpée en cinq semaines. La moyenne pour chaque semaine a été calculée en prenant en compte le nombre de captures par piège par jour par champ. Concernant l’observation visuelle, la moyenne des captures sur les 12 stations par champ a été calculée pour chaque semaine. Pour l’ensemble des sites, les moyennes ont été calculées en séparant les deux années d’échantillonnage. Le facteur « date » a été considéré comme une des variables explicatives dans les modèles linéaires détaillés ci-dessous. Le nombre de champs échantillonnés diffère pour chaque semaine, car durant certaines semaines il pouvait y avoir deux échantillonnages du même champ. Ainsi, le nombre de relevés pour chaque période et chaque technique sont les suivants : pour les pièges à phéromones, en 2016 par ordre chronologique (n = 5, n = 14, n = 12, n = 2, n = 0) et en 2017 (n = 5, n = 17, n = 10, n = 8, n = 6). Idem, pour l’observation visuelle avec en 2016 (n = 5, n = 13, n = 13, n = 11, n = 2) et en 2017 (n = 4, n = 17, n = 10, n = 8, n = 6).

Influence des facteurs abiotiques

Une analyse par régression multiple (modèle linéaire) par la méthode d’élimination régressive (Pino et al. 1999) a été utilisée pour obtenir les meilleures variables prédictives expliquant le nombre de captures par piège par jour pour les pièges à phéromones. Les prédicteurs utilisés étaient les suivants : le stade phénologique du pois, la date de semis, le site, le cultivar, la date de relevé, la moyenne des températures par semaine, les précipitations journalières moyennes par semaine, la température maximale de la semaine, le pourcentage de jours pluvieux, et les précipitations accumulées entre deux périodes d’échantillonnage. Des comparaisons avec des modèles comprenant des effets aléatoires de type MLMG (modèle linéaire mixte généralisé) ont été effectuées pour vérifier la nécessité d’inclure des effets aléatoires dans les modèles. L’ensemble des régressions générées ont été comparées entre elles selon les valeurs de l’AIC (Aikake Information Criterion). Par la méthode des moindres carrés, il a été possible de mettre en évidence les différences entre le nombre de catégories des variables catégorielles (phénologie et cultivar). Une correction de type Bonferroni a été appliquée pour les variables catégorielles de trois groupes ou moins et une correction de type Tukey a été appliquée pour les variables catégorielles de quatre groupes ou plus.

RÉSULTATS

Composition spécifique

La punaise brune Euschistus servus euschistoides (Vollenhoven, 1868) [Hemiptera: Pentatomidae] représentait l’espèce pré-dominante de Pentatomidae capturée au cours de l’étude pour la technique du piège à phéromones (99,58 %, n = 937; Tableau 2) et pour l’observation visuelle (100,00 %, n = 42; Tableau 2). Deux autres espèces de Pentatomidae ont été observées dans les pièges à phéromones, avec une abondance relative et une fréquence de détection beaucoup plus faible, soit la punaise à trois taches Euschistus tristigmus luridus (Say, 1832) [Hemiptera: Pentatomidae] (0,32 %, n = 4) et la punaise à épaulettes rouges Thyanta custator acerra (Fabricius, 1803) [Hemiptera: Pentatomidae] (0,11 %, n = 1) (Tableau 2). La punaise E. servus euschistoides a été retrouvée dans l’ensemble des champs échantillonnés durant les deux années à l’étude (Tableau 2). Cependant, l’espèce T. custator acerra n’a été retrouvée qu’une seule fois en 2017 alors que l’espèce E. tristigmus luridus a été retrouvée dans 20,00 % des champs échantillonnés en 2016 et 10,00 % en 2017 (Tableau 2). La fréquence de détection d’au moins une punaise par champ, toutes espèces confondues, avec la technique d’observation visuelle est à 100,00 % en 2016 alors qu’elle descend à 70,00 % en 2017. Les abondances relatives pour les deux espèces étaient équivalentes entre les deux techniques de dépistage (χ= 38,05; p = 0,1071). Au vu de la dominance d’une seule espèce, soit E. servus euschistoides, seules les captures de cette espèce seront considérées pour la suite des résultats.

Dynamique temporelle

Les premiers adultes de Pentatomidae ont été capturés le 16 juin 2016 et le 13 juin 2017, soit lors de la première période d’échantillonnage. La capture d’adultes a atteint son maximum entre le 20 et le 28 juin pour les deux années (Figure 2A). La date a eu une influence significative sur le nombre de captures par jour par piège en 2016 (F(2,23) = 4,645; p = 0,045), mais pas en 2017 (F(3,41) = 0,003; p = 0,958). Lors des derniers échantillonnages avant la récolte du pois, des punaises pouvaient toujours être observées dans l’ensemble des champs, y compris dans les champs pour lesquels la date de récolte était plus tardive (par exemple : 20 juillet 2017). Il est à noter que seuls des adultes ont été capturés par les pièges à phéromones d’agrégation alors qu’avec la technique d’observation visuelle, seulement 15 % des captures repré-sentaient des adultes. Concernant l’observation visuelle, les premiers dépistages ont été réalisés le 7 juin en 2016 et le 13 juin en 2017 (Figure 2B). Aucun pic de capture n’a été observé au courant de la saison avec cette technique de dépistage. Ceci s’expliquerait par les faibles captures de Pentatomidae enregistrées lors de l’observation visuelle.

Facteurs abiotiques

L’analyse des facteurs abiotiques a été réalisée uniquement sur les captures de pièges à phéromones dû au nombre de captures trop faible avec la technique d’observation visuelle. Concernant la phénologie du pois, le nombre de captures par piège par jour a présenté des différences significatives selon le stade phénologique du pois (F(2,68) = 10,764; p = 0,0001). Le nombre de captures était trois fois plus élevé au stade végétatif (t= -3,777; p = 0,0010) et quatre fois plus élevé au stade floraison (t2 = 3,394; p = 0,0034) comparativement au stade fructification (Figure 3A). Selon le cultivar du pois, le nombre de captures par piège par jour différait signifi-cativement (F(4,64) = 5,131; p = 0,0013). Le nombre de punaises capturées par jour par piège était plus important pour les cultivars Nitro (t4 = -3,207, p = 0,0173) et PA0826 (t4 = -2,856, p = 0,0442) que pour le cultivar Ambiance avec des moyennes respectives de 0,98 ± 0,08, 0,85 ± 0,13 et 0,58 ± 0,07 (Figure 3B).

Une température moyenne plus élevée entre deux périodes d’échantillonnage était corrélée avec le nombre de captures par piège par jour (F(1,70) = 6,354; p = 0,0144) (Figure 3C). La plage de températures moyennes entre deux périodes d’échantillonnages variait de 15,87 ˚C à 22,85 ˚C.

Dans les champs adjacents, aucun dommage n’a été observé dans le soya et 0,6 plant sur 10 en moyenne a été touché dans les champs de maïs-grain en 2016 et 2017. Ces dommages étaient des trous d’alimentation sur les parties végétatives. Aucune punaise n’a été capturée par observation visuelle dans les champs adjacents en 2016 alors que deux adultes ont été capturés en 2017. Parmi ces captures, l’une d’entre elles appartenait à l’espèce commune retrouvée en champ de pois, E. servus euschistoides et l’autre appartenait à une espèce de punaise prédatrice, la punaise soldat, Podisus maculiventris (Say, 1832) [Hemiptera: Pentatomidae].

Les facteurs de date de semis et de précipitation accumulée n’ont pas eu d’influence sur le nombre de captures de Pentaomidae (Tableau 3).

Tableau 2

Composition spécifique des Pentatomidae échantillonnées en 2016-2017 par piège à phéromones d’agrégation et par observation visuelle en champ de pois frais au Québec dans la région de Montérégie-Est

Composition spécifique des Pentatomidae échantillonnées en 2016-2017 par piège à phéromones d’agrégation et par observation visuelle en champ de pois frais au Québec dans la région de Montérégie-Est

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Figure 2

Nombre moyen (± erreur type) de Pentatomidae capturées A) par piège à phéromones d’agrégation par jour et B) par observation visuelle dans les champs de pois frais en Montérégie-Est durant les saisons 2016 et 2017

Nombre moyen (± erreur type) de Pentatomidae capturées A) par piège à phéromones d’agrégation par jour et B) par observation visuelle dans les champs de pois frais en Montérégie-Est durant les saisons 2016 et 2017

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Tableau 3

Résultats statistiques d’un modèle linéaire généralisé pour chaque prédicteur sélectionné pour expliquer le nombre de captures d’E. servus euschistoides par jour par piège à phéromones (DDL = degré de liberté)

Résultats statistiques d’un modèle linéaire généralisé pour chaque prédicteur sélectionné pour expliquer le nombre de captures d’E. servus euschistoides par jour par piège à phéromones (DDL = degré de liberté)

Note : Valeur associée au modèle général : R2 = 0,5017 ; p < 0,0001. Un astérisque représente un effet significatif avec p < 0,05.

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Figure 3

Influence des facteurs abiotiques sur le nombre de captures de Pentatomidae dans des champs de pois frais dans la région de Montérégie-Est durant les saisons 2016 et 2017

Influence des facteurs abiotiques sur le nombre de captures de Pentatomidae dans des champs de pois frais dans la région de Montérégie-Est durant les saisons 2016 et 2017

(A) Nombre de captures par piège à phéromones par jour selon le stade phénologique du pois. Stade végétatif (n = 14); Stade floraison (n = 53); Stade fructification (n = 12). (B) Nombre de captures par piège à phéromones par jour selon les différents cultivars. PA0826 (n=19); GEER (n=3); Nitro (n=22); Ambiance (n=23); Lil’Mo (n=5). (C) Régression linéaire de la température moyenne hebdomadaire en fonction du nombre de captures par piège à phéromones par jour. Les erreurs types sont représentées pour les Figures 3A et 3B. Les astérisques indiquent des différences significatives selon un test posthoc par la méthode des moindres carrés avec une correction de Bonferroni (p < 0,05) pour la phénologie et avec une correction de Tukey (p < 0,05) pour les cultivars.

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DISCUSSION

Cette étude démontre que la famille des Pentatomidae présente une faible diversité spécifique en champ de pois au Québec et que l’espèce dominante est E. servus euschistoides. De plus, parmi les facteurs abiotiques analysés, certains ont une influence sur le nombre de captures par piège à phéromones comme le cultivar utilisé, la température hebdomadaire et le stade du pois; tandis que d’autres n’ont aucun effet, comme la date de semis et les précipitations accumulées dans la semaine.

La diversité spécifique de la communauté de Pentatomidae est très faible en champ de pois frais au Québec. En effet, cette communauté est prédominée par l’espèce E. servus euschistoides, une Pentatominae phytophage commune au nord-est de la zone néarctique (Koch et al. 2017; Mcpherson et Ahmad 2012). Cette prédominance se retrouve dans d’autres cultures telles que le maïs-grain et le soya dans le Minnesota, où E. servus euschistoides représente entre 68 et 100 % des individus de la famille des Pentatomidae (Koch et Pahs 2014, 2015; Koch et Rich 2015). Mais cette dominance est aussi effective dans plusieurs cultures à travers d’autres espèces du même genre comme au Brésil dans les champs de canola où E. heros représente 50 % des espèces de Pentatomidae capturées (Bianchi et al. 2019). Cette prépondérance peut s’expliquer par un paysage dominé par des monocultures intensives (soya, mais, pois), ce qui favoriserait la densité de seulement quelques espèces au détriment des autres espèces phytophages (Andow 1991). En effet, la diversité végétale liée à la complexification du paysage permet d’augmenter la diversité des espèces nuisibles, tout en diminuant leurs abondances (Altieri et Nicholls 2018; Gurr et al. 2017). Cette étude permet de suggérer fortement que l’espèce E. servus euschistoides est celle pouvant poser un problème aux industries en ce qui concerne la contamination des récoltes de pois. Néanmoins, aucun échantillon d’insectes contaminant les produits alimen-taires n’a pu être récupéré de l’usine afin de confirmer cette identification malgré les signalements spontanés de l’industrie.

Avec la présence d’un seul pic de captures, suivi d’une diminution quasi continue du nombre de captures par piège par jour, cette étude suggère également l’existence d’une seule génération durant la phase de croissance du pois frais au Québec pour l’espèce dominante E. servus euschistoides. Cette espèce est connue au Québec pour avoir une génération par année dans le maїs sucré (Gosselin et al. 2014). L’espèce E. servus présente un nombre de générations variable selon les latitudes considérées. Au Kansas (Rolston et Kendrick 1961), dans l’Iowa, l’Illinois (McPherson et al. 1982; McPherson et Mohlenbrock 1976; Tecic et McPherson 2018) et en Caroline du Nord (McPherson et McPherson 2000), E. servus présente deux générations par année, tandis que certains auteurs suggèrent la présence d’une seule génération plus au nord (Koch et al. 2017). Il serait nécessaire de faire des études supplémentaires pour déterminer le nombre exact de générations, avec des échantillonnages plus étalés avant et après la saison de croissance du pois dans les habitats adjacents (champs, forêts). Concernant la saisonnalité, les premières observations de E. servus euschistoides ont eu lieu dès le début de la saison (13 juin) en 2017, ce qui suggère que les Pentatomidae sont présentes dans le champ avant cette date.

Il n’est pas surprenant de retrouver une corrélation positive entre le nombre de captures de Pentatomidae dans les pièges à phéromones et la température. Comme chez tous les insectes, la température est un paramètre déterminant chez les Pentatomidae (Andrewartha et Birch 1986), que ce soit sur leur durée de développement (Azrag et al. 2017; Da Silva et Daane 2014; dos Santos et al. 2018; Panizzi et Slansky Jr 1985; Reed et al. 2017; Zerbino et al. 2013) ou sur leur physiologie (Hori et Inamura 1991; Sibilia et al. 2018). Dans une étude menée par Venugopal et al. (2016), cette relation positive entre la température moyenne mensuelle et le nombre de captures est également retrouvée chez la sous-espèce E. servus servus en champ de soya dans le nord-est des États-Unis. Le nombre de captures augmente avec la température, probablement lié à une augmentation des déplacements des adultes. En effet, la température est connue pour avoir un effet sur les paramètres de dispersion des insectes phytophages (Venugopal et al. 2016), comme la vitesse de vol (Babu 2018). Des températures plus élevées seraient alors associées à des déplacements plus importants et donc potentiellement à une répartition plus homogène des punaises dans les champs. Cette étude conforte l’idée que la température est un paramètre essentiel à la biologie de cette sous-espèce et doit être considérée dans de possibles modèles prédictifs de répartition et d’abondance (Owens et al. 2013), comme c’est déjà le cas pour d’autres espèces de Pentatomidae phytophages à travers le monde (Baek et al. 2017; Nielsen et al. 2016a ; Tavanpour et al. 2019).

Le nombre de captures par piège à phéromones était plus élevé lorsque le pois était au stade végétatif et au stade de floraison que lorsqu’il était au stade de fructification. Cependant, il est connu que les punaises apprécient particulièrement le stade de fructification dans d’autres cultures telles que le haricot, le soya ou le maïs (Lee et al. 2013; Nielsen et Hamilton 2009; Panizzi 1997; Todd et Herzog 1980). Cela suggère que l’espèce E. servus euschistoides ne se nourrit pas des gousses de pois, mais plutôt des parties végétatives, comme c’est le cas pour le maïs au Québec (Gosselin et al. 2014). L’espèce E. servus est retrouvée dans d’autres cultures au stade végétatif comme le coton (Greene et al. 2006) ou le soya (Corrêa-Ferreira et De Azevedo, 2002). Elle est également connue pour se nourrir des parties végétatives de certaines espèces de plantes cultivées comme l’arachide (Tillman 2008a; Tillman et Cottrell 2016) ou le maïs (Blinka 2008; Clower 1958; Negrón et Riley 1987; Ni et al. 2010). Pour d’autres espèces, les parties végétatives servent de lieu de ponte, comme N. viridula dans le maïs (Tillman 2010b), ce qui peut être aussi le cas pour E. servus (Tillman 2010a). À propos du stade de floraison, l’espèce E. servus peut être présente dans les cultures mentionnées ci-dessus, mais c’est seulement chez le coton où elle se nourrit des fleurs (Willrich et al. 2004).

Il est à noter que dans l’étude de Nielsen et al. (2016b), plusieurs cultures pièges ont été testées, dont le pois, et le nombre de captures par observation visuelle d’E. servus était nul dans cette culture ou très faible par rapport aux autres cultures testées (millet perle, sorgho, gombo, mélange de tournesol). Le nombre de captures par observation visuelle en champ de pois ayant également été très faible dans notre étude, il est possible que les variations de populations observées dans les pièges à phéromones ne soient pas forcément liées au stade phénologique du pois.

Les plantes de bordure et leurs phénologies pourraient être un facteur plus important, expliquant la variation d’abondance en champ. Les sources de nourriture plus diversifiées en bordure de champ sont souvent utilisées par les Pentatomidae, comme le montrent de nombreuses études (Koch et al. 2017; Tillman et Cottrell 2016; Venugopal et al. 2014). En raison de leur caractère polyphage, les Pentatomidae se nourrissent généralement de plusieurs plantes au cours de leur cycle de vie (Panizzi 1997; Tillman et al. 2009), y compris des plantes herbacées (McPherson et McPherson 2000) trouvées en bordure de champ. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’espèce E. servus peut coloniser plusieurs espèces végétales du paysage et ne pas nécessairement être concentrée dans une culture donnée (Jones et Sullivan 1982; McPherson et McPherson 2000). Les plantes de bordure de champ pourraient également jouer le rôle de site de nidification ou de site d’alimentation pour les premiers stades immatures (Rice et al. 2014). En effet, la bordure a un effet significatif sur l’abondance de nombreuses punaises Pentatomidae dans plusieurs cultures comme le blé, la tomate ou le coton (Leskey et al. 2012; Nakasuji et al. 1965; Reay-Jones et al. 2010; Reeves et al. 2010). La quasi-absence d’individus dans les champs adjacents renforce l’idée que la bordure soit un habitat privilégié d’E. servus euschistoides.

Le nombre de captures varie selon les cultivars utilisés dans la culture du pois. Au sein d’une même espèce de plante cultivée, les différentes variétés peuvent faire l’objet de préférences chez les Pentatomidae. Par exemple, une différence d’abondance a été observée en fonction du génotype de soya chez N. viridula au Brésil (de Santana Souza et al. 2013). Un constat similaire a été répertorié entre le coton Bt et le coton non-Bt chez N. viridula et E. servus en laboratoire (Huang et Toews 2012). Ces différences d’abondance se retrouvent également au niveau des dommages comme pour différents cultivars de haricots (Phaseolus vulgaris L.) (Ramos et al. 2017) au Brésil et certaines cultures de fruits à coque (Chambers et al. 2011; Jones et Caprio 1994). Ces préférences alimentaires sont justifiées par les caractéristiques physiologiques et morphologiques des cultivars comme la différence de composés volatils plus ou moins attractifs émis par les plantes, l’épaisseur de l’épiderme des gousses de soya ou la densité en trichomes (de Santana Souza et al. 2013). Par ce constat, la sélection de cultivars pourrait être envisagée dans un programme de lutte intégrée afin de limiter le nombre de punaises Pentatomidae en champ de pois.

Il n’existe aucune étude récente sur les Pentatomidae en culture de pois frais dans la zone néarctique; la dernière étude datant de 1984 avec Cranshaw et Radcliffe. Cette étude a montré que 99 % des Pentatomidae présentes en champ de pois frais appartiennent à une seule espèce : E. servus euschistoides. L’absence de dégât dans le pois ainsi que la présence plus forte lors du stade végétatif et floraison montrent que les populations de cette espèce sont sûrement majoritairement inféodées à la bordure où elles trouvent refuge, nourriture et site d’hibernation. De plus, la sélection de cultivars semble être une première approche facilement applicable pour éviter la présence de Pentatomidae en champ de pois frais. Pour finir, l’importance des bordures n’est sûrement pas à négliger pour cette espèce d’une importance agronomique croissante. Des études supplé-mentaires sur la distribution spatiale des Pentatomidae en champ de pois permettraient d’éclairer et de conforter le rôle de réservoir des bordures ainsi que d’ouvrir de nouvelles possibilités de gestion de ce ravageur, comme le traitement insecticide localisé ou la sélection de plantes hôtes de bordure particulièrement attractives.