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Introduction

Le bien-être à l’école est un enjeu considérable et en émergence dans plusieurs pays occidentaux. En effet, des recherches démontrent que les élèves ressentant du bien-être apprennent mieux et persévèrent plus dans leur cheminement, ce qui hausse leur réussite scolaire (Rascle et Bergugnat, 2016 ; Seligman, Ernst, Gillham, Reivich et Linkins, 2009). Cependant, pour que l’école devienne un environnement propice au bien-être des élèves, les enseignants doivent, à priori, le ressentir eux-mêmes. Théorêt et Leroux (2014) affirment que « […] leur bien-être et leur résilience influencent positivement le développement des élèves et de l’école » (p. 9). Selon une recherche de Goyette (2016), le bien-être s’élabore chez les enseignants d’expérience, par la construction d’un sens qu’ils accordent à la profession, malgré les difficultés quotidiennes auxquelles ils sont confrontés. Or, pour ce qui est de la formation initiale, Pelletier (2013) a mis en exergue que cette phase de développement professionnel (Mukamurera, 2014) permet peu la construction d’un sentiment de bien-être par le développement de compétences psychologiques chez les étudiants. Plusieurs besoins de formation psychologique ressentis par ceux-ci portant, entre autres, sur la gestion des émotions, la connaissance de soi ou à la capacité d’intervenir en contexte scolaire, sont mis en relief. Pourtant, les curricula universitaires québécois, basés sur le développement de 12 compétences professionnelles, doivent favoriser la construction de leur identité professionnelle, qui se constitue de deux pôles en constante interaction, c’est-à-dire l’identité personnelle et l’identité sociale (Beauchamp et Thomas, 2009 ; Gohier, Anadón, Bouchard, Charbonneau et Chevrier, 2001). Ce développement identitaire, fortement axé sur l’analyse de pratiques pédagogiques et peu sur l’analyse de soi, ne favorise pas l’émergence d’un sentiment de bien-être lors de la formation initiale, et prépare peu aux défis de l’insertion professionnelle (Goyette et Martineau, 2018 ; Pelletier et Marzouk, 2018). Cet article présente l’expérimentation d’un dispositif d’accompagnement des stagiaires axé sur les forces, en contexte de formation initiale universitaire. En s’appuyant sur un corpus théorique et l’autoanalyse des pratiques d’une superviseure auprès d’une dizaine de stagiaires, les concepts de psychopédagogie du bien-être (Goyette, Gagnon et Bazinet, 2018), d’identité professionnelle positive (Goyette et Martineau, 2018), ainsi que des postures des superviseurs de stagiaires (Van Nieuwenhoven, Bélair, Runtz-Cristan et Colognesi, 2018) permettront d’explorer en quoi une approche axée sur les forces (Magyar-Moe, 2015) lors de leur accompagnement, peut les aider au développement de leurs compétences professionnelles, mais aussi à un développement identitaire positif afin de faire face aux multiples défis de la profession.

Problématique

La formation des enseignants québécois s’effectue selon un curriculum s’échelonnant sur quatre années où un stage obligatoire est prévu annuellement, afin de favoriser une alternance entre le milieu universitaire et le milieu scolaire pour une meilleure consolidation des apprentissages (Dufour, Portelance, Dupont-Plamondon et Meunier, 2016). L’organisation des stages favorise développement de 12 compétences professionnelles afin d’atteindre le niveau de maitrise attendu par le référentiel (gouvernement du Québec, 2001) pour obtenir un brevet d’enseignement qui leur donnera le droit d’exercice dans toutes les écoles primaires et secondaires du Québec. Les quatre stages (qui représentent environ un total de 700 heures lors de la formation) sont d’une durée et d’un degré de complexité graduels, ce qui permet aux étudiants de vivre des expériences variées dans plusieurs milieux scolaires. Les stagiaires sont accompagnés, d’une part, par un superviseur[1] (représentant de l’institution universitaire) et d’autre part, par un enseignant associé (représentant du milieu scolaire). Ce travail de collaboration entre eux qui s’élabore parfois sous forme de dyade ou de triade vise l’enrichissement du parcours universitaire du stagiaire, qui travaille à passer d’un statut d’étudiant à celui d’un professionnel, dans une perspective où le programme de formation vise la mise en oeuvre d’un processus de professionnalisation et de développement professionnel (Uwamariya et al., 2005). Or, on constate que l’expérience de stage est loin d’être aisée pour certains stagiaires. En effet, dans un contexte où près d’un tiers des étudiants universitaires souffrent de détresse psychologique (Grégoire, Lachance, Bouffard, Hontoy et De Mondehare, 2016), on observe que les étudiants à la formation initiale à l’enseignement ressentent des niveaux de stress élevés et qu’ils mettent en oeuvre des stratégies d’adaptation au stress pour le réguler en contexte de stage (Montgomery, 2010).

Dans ce contexte précis, ils doivent savoir « agir avec pertinence et compétence dans une situation donnée » (Le Boterf, 2008, p. 20), ce qui n’est pas toujours le cas puisqu’ils sont en apprentissage d’une pratique professionnelle et que pour ce faire, ils sont amenés à mobiliser des ressources en construction pour être éventuellement compétents. Le Boterf (2008) distingue deux catégories de ressources : les ressources personnelles et les ressources de support. Les ressources personnelles regroupent, entre autres, les connaissances, les savoir-faire relationnels, les savoir et savoir-faire d’expérience, les capacités cognitives et les ressources émotionnelles. Les ressources de support réfèrent aux outils d’aide (protocoles, grilles…), aux banques de données et aux réseaux de coopération (experts, collègues…). Ces ressources, qui sont nécessaires au processus de développement des compétences professionnelles, contribuent aussi à la construction de l’identité professionnelle, pour que les stagiaires soient en mesure d’intervenir adéquatement dans certaines situations, souvent imprévisibles, auxquelles ils doivent faire face.

L’identité professionnelle se construit par l’interaction entre deux pôles, c’est-à-dire l’identité personnelle (représentations que l’individu a de lui-même) et sociale (représentations que l’individu a de la profession enseignante) (Beauchamp et Thomas, 2009 ; Gohier et al., 2001). En formation initiale à l’enseignement, est davantage axée vers l’analyse de pratiques pédagogiques en fonction de l’apprentissage de l’élève, ce qui est relié à l’identité sociale. En contrepartie, bien que les stagiaires aient une bonne formation en ce qui concerne l’acte d’enseigner, cela ne suffit pas pour ressentir du bien-être en enseignement (Goyette, 2014) puisque l’on aborde peu le développement de leur identité personnelle et les ressources émotionnelles ou relationnelles qu’ils pourraient déployer en contexte de stage. À vrai dire, de ce fait, on évacue l’analyse de soi au regard des concepts théoriques sous-jacents, ce qui pourrait les aider à construire une compréhension d’eux-mêmes et un sens de la profession (Goyette, 2016).

L’identité professionnelle se constitue à partir de remises en question suscitées par des situations vécues dans le contexte de travail touchant l’individu dans ses représentations intimes de soi (croyances, valeurs, connaissances, aspirations, etc.), qui constituent en partie leur identité personnelle. À ce compte, la formation des stagiaires nécessite que l’on s’attarde au développement de compétences psychosociales pour réussir à appréhender les défis quotidiens et persévérer (Goyette et Martineau, 2018 ; Pelletier, 2013). À l’instar de l’Organisation mondiale de la santé (1993, dans Luis et Lamboy, 2015), la compétence psychosociale se définit comme « la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne. C’est la capacité d’une personne à maintenir un état de bien-être subjectif qui lui permet d’adopter un comportement approprié et positif à l’occasion d’interactions avec les autres, sa culture et son environnement. La compétence psychosociale joue un rôle important dans la promotion de la santé dans son acception large renvoyant au bien-être physique, psychique et social » (p. 12). Elle regroupe trois types de compétences, soit les compétences sociales (empathie, coopération), les compétences cognitives (prise de décision, pensée critique) et les compétences émotionnelles (régulation émotionnelle, gestion du stress). Ces compétences qui se tissent en filigrane dans leur évolution identitaire par la mobilisation de ressources personnelles et de support (Le Boterf, 2008) peuvent contribuer à leur bien-être lors de leur stage. À titre d’exemple, Lebel, Bélair et Goyette (2012) ont ressorti que des caractéristiques liées à l’identité personnelle telles que la confiance en soi, l’engagement, la motivation ainsi que le sentiment d’autoefficacité sont des facteurs rattachés à la persévérance des stagiaires. Goyette et Dubreuil (2017), quant à eux, ont observé les effets d’une formation psychologique axée sur la prise de conscience des forces de caractère[2] (Peterson et Seligman, 2004) de stagiaires et de leur sentiment de bien-être. Les résultats ont démontré que les stagiaires ayant intégré une démarche favorisant la prise de conscience de leurs forces de caractère dans le développement de leurs compétences professionnelles leur ont permis de ressentir davantage de bien-être et de satisfaction lors de leur stage, que leurs collègues ne l’ayant pas fait. La prise en compte par le superviseur du bien-être des stagiaires nécessite une connaissance accrue des processus psychologiques engendrés par les remises en question constantes en contexte de stage. Il doit, entre autres, réfléchir à des moyens à mettre en place pour accompagner les stagiaires à la construction d’une identité professionnelle positive. En considérant que près de 20 % d’entre eux éprouvent des difficultés notables, qui peuvent parfois les conduire à l’abandon de la formation (Lebel et al., 2012), l’accompagnement des stagiaires doit être réfléchi en considérant le développement des compétences professionnelles, mais aussi de compétences psychosociales, afin qu’ils cultivent un sentiment de bien-être lors de leur formation. Pour ce faire, un changement d’approche par le superviseur constitue une avenue envisageable pour accompagner les stagiaires, et ainsi, passer d’une approche par les déficits à une approche par les forces (Magyar-Moe, 2015 ; Schreiner, 2015).

L’approche par les forces pour réussir un stage

Depuis les années 80, l’idéologie néolibérale influence le domaine de l’éducation (Tardif, 2013), ce qui a amené les institutions éducatives à adopter un modèle de performance.

Les valeurs préconisées étant axées sur les résultats, l’imputabilité, l’individualisme et la compétition, la réussite des études devient l’objectif ultime à atteindre. Une vision de la réussite dans un modèle de performance peut amener les étudiants à considérer que celle-ci repose sur la notion de mérite où le simple fait que d’exercer sa volonté et de faire des efforts pour réussir suffit (Raynald, 2008 dans CAPRES, 2018) ? Dans ce sens, chacun est le seul responsable de ses réussites et de ses échecs, ce qui accentue la pression, menant parfois à l’anxiété de performance. Les stagiaires peuvent ressentir cette pression puisqu’ils désirent que leur stage se solde par un succès, mais les diverses situations avec lesquelles ils doivent conjuguer créent des remises en question qui les déstabilisent émotionnellement. Leur capacité limitée à réguler les émotions négatives peut parfois nuire à leur performance (Mikolajczak et Quoidbach, 2009), ce qui peut amenuiser leur bien-être en enseignement.

L’accompagnement offert aux stagiaires est souvent orienté vers une approche par déficit, qui met l’emphase sur les compétences professionnelles que l’on doit améliorer pour atteindre le niveau de maitrise attendu et édicté par le référentiel. Dans ce sens, on demande aux stagiaires de cibler les compétences professionnelles avec lesquelles ils ont davantage de difficulté et d’établir un plan d’action pour les améliorer. Bien que cette stratégie pédagogique les amène à réfléchir et parfois, à analyser l’évolution de leurs compétences professionnelles, ils doivent travailler sur soi (identité personnelle) au regard d’éléments négatifs issus de leur pratique et pour lesquels ils accusent un déficit, pour réussir à répondre aux attentes. Cela peut avoir un effet nuisible sur leur motivation et leur confiance, puisque cela les amène à se rappeler leurs échecs et leurs frustrations (Anderson, 2004 dans Magyar-Moe, 2015). Les difficultés répertoriées par les stagiaires ne concernent pas uniquement la maitrise de la compétence et de ses composantes en tant que telles. Les difficultés peuvent se rattacher, entre autres, à des facteurs tels que la connaissance de soi, de la confiance en soi, à l’anxiété ou à la motivation. À ce chapitre, bien que certains superviseurs puissent identifier ces problèmes, les moyens employés afin de construire des compétences psychosociales demeurent limités (Goyette et Martineau, 2018).

L’approche d’accompagnement par les forces, quant à elle, s’appuie davantage sur un modèle de bienveillance (Goyette, 2019) où la réussite constitue un processus (Glasman, 2007 dans CAPRES, 2018) qui « comprend des bifurcations, des échecs, des déceptions […] ce qui est perçu comme échec peut s’inscrire dans un processus de réussite à long terme » (p. 32). Ce modèle, inspiré par les travaux de Réto (2018), s’appuie sur des valeurs humanistes telles que le respect, la coopération, la prise en compte de chacun et l’estime de soi. Il oriente les actions des superviseurs de sorte qu’ils considèrent l’expérience de stage du stagiaire comme une occasion de développer et d’améliorer ses compétences professionnelles en prenant en compte des aspects voués à l’amélioration, mais également de ses forces et de ses talents. Toutefois, Lopez et Louis (2009) considèrent que pour que ces derniers puissent se situer dans une approche qui préconise les forces, ils doivent eux-mêmes bien se connaitre et découvrir leurs propres forces afin de pouvoir aider, par la suite, les étudiants à identifier et à se servir des leurs dans leur processus d’apprentissage. Une approche pédagogique d’accompagnement qui préconise le développement des forces amène des effets positifs pour les étudiants tels que l’augmentation de la motivation et de l’engagement dans leurs études (Schreiner, 2015), une prise de conscience de leurs forces et de leurs talents qui augmente la confiance en soi et l’émergence d’une attitude positive face à leur potentiel de réussite (Magyar-Moe, 2015).

En contexte de stage, le superviseur doit mettre en place une démarche pédagogique qui ne se concentre pas, de prime abord, sur une approche par problème (Galand et Frenay, 2005), mais sur un ensemble de possibilités à considérer par le stagiaire afin d’alimenter ses réflexions sur soi en orientant les rétroactions vers leurs forces et leurs talents. L’un de ses objectifs est de développer une relation d’accompagnement bienveillante qui prend en compte une démarche de développement identitaire positif qui favorise leur bien-être, et dont l’une des facettes sine qua non concerne une dimension psychologique (Mukamurera, 2014). Il doit s’attarder, non seulement à l’enseignant à en devenir, mais aussi à l’individu et à sa singularité, pour tenter de lui faire prendre conscience des processus de construction identitaire (Chevrier, Gohier, Anadòn et Godbout, 2007) qui sont enclenchés par la multitude de situations qu’il rencontre lors de son stage. Dans la foulée de ce qui précède, une question se pose : quel type de dispositif peut permettre aux superviseurs de stagiaire d’adopter une posture d’accompagnement qui préconise une approche axée vers les forces ? Pour répondre à cette question, les concepts de psychopédagogie du bien-être, d’identité professionnelle positive et de posture d’accompagnement des stagiaires seront définis.

Cadre conceptuel

La psychopédagogie du bien-être

Face à l’émergence du concept de bien-être dans les institutions éducatives (Shankland et Rosset, 2017), il importe de se questionner sur le rôle que jouent les enseignants dans la mise en place d’environnements éducatifs où les apprenants se sentent bien.

En effet, bien que les intentions soient généralement axées sur une certaine bienveillance et des actions altruistes envers eux, les moyens concrets à mettre en place par les enseignants pour favoriser le bien-être en contexte pédagogique ne sont pas si nombreux et planifiés. Dans une conjoncture où certains d’entre eux ressentent de la détresse psychologique qui mène au désengagement de la profession (Hélou et Lantheaume, 2008 ; Kamanzi, Barroso da Costa et Ndinga, 2017), ou bien que d’autres décident sans équivoque de l’abandonner (Karsenti et al., 2015 ; Nappert, 2018), intégrer le bien-être dans ses pratiques pédagogiques quotidiennes nécessite que les enseignants se remettent en question sur leur propre bien-être afin d’envisager une nouvelle perspective d’enseignement prenant en compte les aspects socioaffectifs et émotionnels des apprenants (Goyette, 2018b). Or, la psychopédagogie du bien-être se définit comme un champ de la psychopédagogie qui intègre la psychologie positive et la pédagogie dont l’objet concerne le développement du bien-être, l’épanouissement et le fonctionnement optimal chez les individus évoluant dans diverses situations pédagogiques. Il vise le développement global de l’apprenant par l’intégration d’interventions pédagogiques bienveillantes, planifiées ou spontanées, favorisant l’appropriation de stratégies et d’habiletés propices à l’atteinte d’un équilibre émotif, cognitif, psychologique et physique (Goyette et al., 2018). Ce champ permet aux enseignants, entre autres, de prendre conscience des ressources personnelles (Le Boterf, 2008) qu’ils possèdent pour instaurer un environnement favorable à l’émergence du bien-être au service de l’apprentissage, en explorant les connaissances issues de la recherche en psychologie positive (Seligman et Csikszentmihalyi, 2000). Plusieurs concepts liés au bien-être sont enseignés aux apprenants, entre autres, les éléments du bien-être (Seligman, 2011), les forces de caractère (Peterson et Seligman, 2004), l’autodétermination (Deci et Ryan, 2000), les compétences émotionnelles (Mikolajczak et Quoidbach, 2009) ou la mentalité de croissance (Yeager et Dweck, 2012). Ils permettent de construire une meilleure compréhension des processus psychologiques mis en oeuvre dans le développement d’une identité professionnelle positive qui contribue à la persévérance malgré les difficultés quotidiennes de la profession (Goyette et Martineau, 2018).

L’identité professionnelle positive

Dès le début de la formation initiale s’amorce la construction de l’identité professionnelle (Gohier et al., 2001 ; Goyette et Martineau, 2018). En effet, le référentiel des compétences professionnelles québécois (gouvernement du Québec, 2001), qui s’appuie sur une vision axée sur la professionnalisation, met en place un processus dynamique d’acquisition, de consolidation ou de renouvellement de savoirs et de compétences à partir d’expérience signifiantes qui alimentent le développement professionnel (Maubant et Martineau, 2011). Ce développement professionnel de l’enseignant s’oriente, selon Uwamariya et al. (2005), vers la recherche et la réflexion sur ses pratiques afin de les améliorer et de bien maitriser le travail. Cependant, cette vision trop cognitive du développement professionnel, qui mise sur un rapport au travail du praticien visant l’efficacité, prend peu en compte l’importance du bien-être, de la motivation et du sens que revêt la profession pour lui. Pourtant, ces éléments sont incontournables dans la construction d’une identité professionnelle positive, puisque l’acte d’enseigner mobilise toute sa personnalité. L’enseignant ne peut donc pas mobiliser ses objets de réflexion uniquement sur des pratiques didactico pédagogiques. À l’instar de Gohier et al. (2001), l’identité professionnelle se construit par des remises en question qui enclenche un processus interactionnel entre les représentations que l’enseignant a de lui-même (qui fait référence aux connaissances, aux valeurs, aux croyances, aux forces, etc.) et des représentations qu’il a de son rapport aux enseignants et la profession enseignante (qui fait référence aux savoirs de la profession, aux idéologies éducatives et valeurs, aux systèmes normatifs du travail, etc.). En contexte de formation universitaire, construire une identité professionnelle positive requiert que le futur enseignant réfléchisse sur soi pour développer des représentations personnelles et sociales prenant en compte ses forces, ses qualités et ses talents, afin d’élargir ses perspectives quant aux enjeux et défis de la profession, et de les envisager avec optimisme. À ce compte, la psychopédagogie du bien-être devient un champ d’études incontournable pour l’aider à découvrir des concepts clés, pour ne nommer que le bien-être, les forces de caractère ou les compétences émotionnelles, qui deviendront des éléments considérables dans ses réflexions et dans la mise en oeuvre de certains dispositifs pédagogiques à l’intention des étudiants.

Les postures d’accompagnement de stagiaires

Le concept d’accompagnement se définit comme « un cheminement à caractère réflexif permettant à l’enseignant de se développer professionnellement […] L’accompagné trouve alors des réponses dans l’interaction entre ses actions et la réflexion encouragée par l’accompagnateur » (Vivegnis, 2018, p. 56). À la lumière de cette définition, le superviseur exerce son rôle en s’appuyant sur sa conception de ce qu’est l’accompagnement, ce qui orientera ses pratiques. L’accompagnement s’inscrivant dans une dynamique interactionnelle, le superviseur prendra en compte les besoins, la singularité ainsi que le rythme de l’accompagné (idem, 2018), et adoptera certaines postures, qui sont divers moyens mobilisés dans sa pratique professionnelle. Selon Van Nieuwenhoven et al. (2018, p. 30), on peut identifier cinq postures d’accompagnement des stagiaires. La première posture, celle de l’imposeur, se définit par le fait que le superviseur « donne des consignes strictes et commande la marche à suivre ». Deuxièmement, la posture de l’organisateur amène l’idée que le superviseur choisit pour le stagiaire des objectifs qu’il considère comme prioritaires et « le conduit à surmonter ceux-ci ».

Le co-constructeur, pour sa part, préfère discuter ouvertement « autour de la planification d’activités, réfléchir sur les gestes posés, rechercher conjointement des régulations ». Quatrièmement, la posture de facilitateur limite les interventions de ce dernier quand le stagiaire en éprouve le besoin ou lorsque cela est nécessaire. Enfin, la posture d’émancipateur repose sur l’autonomie optimale du stagiaire pour lui permettre « de se débrouiller seul comme il devra le faire dans sa vie professionnelle ». Ces postures, lors de l’accompagnement de stagiaires, peuvent changer en fonction des buts qu’on lui octroie et le contexte. De plus, elles sont régies par des modalités caractérisées par trois catégories : la direction, la relation et la réflexion. La direction consiste à guider le stagiaire en clarifiant les consignes, en assurant la médiation, en montrant comment faire et en expliquant ce qu’il faut faire. La relation permet de soutenir le stagiaire, de le valoriser et de le rassurer dans évolution de son stage. La réflexion consiste à favoriser l’approfondissement du processus réflexif en incitant le stagiaire à analyser, se réguler, reformuler, théoriser ou prendre du recul pendant son stage.

Intégrer la psychopédagogie du bien-être dans l’accompagnement de stagiaires requiert une prise en compte de la dimension personnelle reliée aux « aspects psychologiques, affectifs et identitaires […] ainsi qu’aux qualités personnelles nécessaires à une pratique réussie dans une profession d’interactions humaines » (Mukamurera, 2014, p. 12). À cet égard, cela nécessite parfois un changement de posture d’accompagnement pour aider le stagiaire à développer cette dimension peu abordée lors de la formation initiale (Goyette, 2018a). La section suivante présentera l’expérimentation du dispositif d’accompagnement des stagiaires axé sur les forces et les outils pédagogiques utilisés pour les accompagner lors de leur stage.

L’expérimentation du dispositif d’accompagnement des stagiaires axé sur les forces

L’accompagnement de stagiaires « implique la mise en place d’un dispositif d’aide et de soutien au stagiaire afin que celui-ci réussisse à atteindre les objectifs fixés pour chaque stage » (Correa Molina, 2007, p. 22). Accompagner des stagiaires selon la psychopédagogie du bien-être demande la mise en oeuvre de dispositifs d’aide et de soutien au stagiaire qui va au-delà de l’atteinte des objectifs fixés (ou niveau de maitrise attendu) par le référentiel de compétence (gouvernement du Québec, 2001). Cela requiert une réflexion essentielle axée vers le développement identitaire personnel de l’individu pour qu’il réussisse à construire un sentiment de bien-être en enseignement, qui est tributaire du sens donné à la profession (Goyette, 2016), de la motivation (Evelein, 2008), du déploiement de compétences psychologiques et émotionnelles (Mikolajczak et Quoidbach, 2009 ; Pelletier, 2013). La posture d’accompagnement qui s’appuie sur les forces des stagiaires doit permettre l’émergence d’éléments positifs associés à l’expérience, tout en les liant aux connaissances issues de la recherche en psychologie positive. Les activités pédagogiques doivent donc être conçues dans ce sens pour favoriser une réflexion des pratiques professionnelles, certes, mais qui analyse ces dernières sous l’angle identitaire afin de mieux comprendre les actions mises en oeuvre dans certaines situations vécues lors du stage ? L’expérimentation du dispositif d’accompagnement des stagiaires axé sur les forces a été possible grâce à la structure du programme de baccalauréat en éducation préscolaire et enseignement au primaire (BÉPEP) de l’Université du Québec à Trois-Rivières (Canada). L’approche-programme prévoit une concomitance entre certains cours et les stages. Le stage I (à la première année de formation), le stage III (troisième année) et le stage IV (quatrième année) sont rattachés à trois cours sur le développement professionnel, soit Identité professionnelle I : les enjeux de la profession (en première année/stage 1), Identité professionnelle II : les défis de la profession (en troisième année/stage III) et Identité professionnelle III : la synthèse de la formation (en quatrième année/stage terminal). L’expérimentation du dispositif d’accompagnement s’est effectuée avec dix stagiaires[3] dans le cadre du stage III (6 semaines), qui s’est déroulé de décembre 2018 à février 2019. Il s’est articulé officiellement autour de quatre rencontres de groupe en séminaire et de deux visites de supervisions individuelles dans le milieu de stage. Toutefois, il est à noter qu’un accompagnement constant était fourni aux stagiaires selon leurs besoins entre ces rencontres par la superviseure.

Déroulement

Dans un premier temps, les stagiaires ont assisté à deux séminaires de préparation de 3 heures chacun qui ont eu lieu en décembre 2018 (le stage commençant la première journée d’école de janvier). Une partie du contenu des séminaires a abordé les modalités universitaires, les exigences du stage ainsi que les travaux écrits[4]. Par la suite, l’approche par les forces a été expliquée aux stagiaires et des activités pédagogiques ont été élaborées pour les aider à bien la comprendre. Dans un deuxième temps, à la deuxième semaine de janvier, une première visite de supervision a eu lieu. Cette rencontre a permis à la superviseure d’observer la progression des compétences professionnelles en contexte de stage et a été une occasion de guider les stagiaires dans leurs actions et leurs réflexions, en prenant en compte de l’approche axé sur les forces. Dans un troisième temps, un troisième séminaire a eu lieu à la mi-stage (mi-janvier) où un retour en groupe sur l’expérience et sur les travaux a été fait. Puis, à la cinquième semaine, la superviseure a procédé à une deuxième visite de supervision. Enfin, un dernier séminaire (mi-février) a rassemblé les stagiaires pour faire un bilan de leurs apprentissages.

Tout au long du stage, la superviseure a utilisé divers outils pédagogiques dont le carnet de traces, qui est l’outil obligatoire édicté par le programme, mais aussi trois autres outils dont l’utilisation est spécifique au dispositif d’accompagnement des stagiaires axé sur les forces, c’est-à-dire le Via-Survey[5], la démarche de questionnement et d’analyse ainsi que le plan d’action.

Outils pédagogiques utilisés dans le cadre du dispositif

1) Le carnet de traces : Le carnet de traces regroupe, entre autres, des planifications liées à des contenus disciplinaires, un portrait de classe ainsi que des analyses réflexives de pratiques, d’incidents critiques, de recherche de solution et d’enjeux éthiques. Tous ces éléments contenus dans ce document écrit permettent de constater la progression de l’apprentissage des compétences professionnelles. Tout au long du stage, un suivi est effectué par tous les superviseurs de stagiaires par des rétroactions écrites afin que les stagiaires progressent dans leurs réflexions et bonifient le contenu selon les attentes.

2) Le Via-Survey : Le Via-Survey est un questionnaire en ligne faisant ressortir les 24 forces de caractère (Peterson et Seligman, 2004) des stagiaires selon un ordre de prédominance. Les résultats de ce questionnaire permettent aux stagiaires de prendre conscience qu’elles possèdent certaines de ces forces, qui peuvent être mises à profit dans diverses situations lors de leur stage. La connaissance de leurs forces de caractère prédominantes les amène à analyser leurs expériences avec un autre paramètre que celui des déficits qu’elles possèdent dans le développement de leurs compétences professionnelles.

3) La démarche de questionnement et d’analyse : Une démarche de questionnement et d’analyse réflexive inspirée des travaux de Kolb (1984) a été un outil privilégié pour approfondir les réflexions des stagiaires (figure 1). En effet, selon Stoloff et al. (2016), puiser dans les fondements théoriques de l’apprentissage expérientiel permet un accompagnement qui cible une expérience concrète, qui extrait « l’expérience pour l’extérioriser par la mise en mots (écrite ou orale) », qui formalise « le savoir par la mise en lien de l’expérience avec les savoirs d’expérience et les savoirs théoriques » et la production d’« une matière transformée et enrichie des savoirs vus précédemment » (p. 150). Cette démarche réflexive s’organise donc autour de trois éléments, c’est-à-dire l’expérience, la réflexion et le réinvestissement de la réflexion dans l’action et s’exerce sous trois formes : écrite (par le carnet de trace), orale (rencontre de supervision) et en discussion de groupe (lors des séminaires) (Monfette, Lebel et Bélair, 2018). Elle permet aux stagiaires d’effectuer une analyse au regard des concepts liés à la psychopédagogie du bien-être pour construire des représentations positives de soi qui aideront à envisager la réalité durant le stage, mais aussi désamorcer certaines distorsions cognitives qui nuisent à une régulation fonctionnelle de leurs émotions (Mikolajczak et Quoidbach, 2009).

Figure 1

Démarche de questionnement et d’analyse

Démarche de questionnement et d’analyse

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4) Le plan d’action : La démarche de questionnement et d’analyse mène également les stagiaires à réfléchir à un plan d’action afin d’améliorer des compétences professionnelles qu’elles ont ciblées en prenant en considération leurs forces et leurs talents. Pour ce faire, elles doivent penser à une situation qui s’est passée lors du stage précédent où elles ont ressenti un sentiment de compétence par rapport à l’une des compétences professionnelles et réfléchir aux forces de caractère qu’elles ont déployées pour que cette situation se solde par une réussite.

Par la suite, elles doivent se fixer un objectif pour que cette compétence professionnelle se développe davantage et imaginer des moyens concrets pour le réaliser. Ce plan d’action, qui est effectué avant le début du stage, évolue au gré de leurs expériences et constitue un objet de discussion entre les stagiaires et la superviseure lors des rencontres de supervision.

Autoanalyse du dispositif d’accompagnement basé sur les forces des stagiaires

Un dispositif d’accompagnement basé sur les forces des stagiaires demande un changement de paradigme qui oriente les postures adoptées par le superviseur. Le champ de la psychopédagogie du bien-être, s’il est préconisé lors de la formation initiale, favorise l’enseignement et l’intégration de concepts liés à psychologie positive qui permet un développement identitaire axé sur des représentations de soi positives au service ses représentations sociales de la profession pour l’élaboration de moyens pour envisager la complexité. Rappelons que ce nouveau champ en sciences de l’éducation se penche sur le développement du bien-être, l’épanouissement et le fonctionnement optimal chez les individus évoluant dans diverses situations pédagogiques. En formation pratique, le superviseur doit intégrer des interventions pédagogiques bienveillantes, planifiées ou spontanées, favorisant l’appropriation de stratégies et d’habiletés propices à l’atteinte d’un équilibre émotif, cognitif et psychologique chez les stagiaires. Pour ce faire, il doit introduire certains concepts liés à la psychologie positive (bien-être, force de caractère, autodétermination, compétences émotionnelles, etc.) dans ses enseignements et guider les stagiaires dans l’apprentissage de stratégies pour favoriser un sentiment de bien-être lors de leur stage par une démarche d’analyse et d’auto-questionnement alimentant leur réflexion. Dans le cadre de cette expérimentation d’un dispositif d’accompagnement des stagiaires axé sur les forces, une autoanalyse des pratiques de la superviseure a permis de décortiquer les étapes d’élaboration et de mise en oeuvre du dispositif qui se décline en trois temps (avant, pendant et après le stage).

Avant le stage

1) Réfléchir sur soi pour découvrir la posture d’accompagnement et d’orienter ses actions

Dans cette expérimentation dont les actions ont été parfois intuitives, la préparation de l’accompagnement des stagiaires a requis de la part de la superviseure une réflexion sur soi pour bien clarifier la posture qu’elle désirait adopter afin d’orienter ses actions (Lopez et Louis, 2009 ; Vivegnis, 2018). En s’appuyant sur le processus de développement de l’identité professionnelle de Gohier et al. (2001), cette réflexion sur soi lui a permis de se questionner, entre autres, sur ses propres valeurs, ses croyances et ses forces de caractère. Elle a aussi contribué au développement de son identité professionnelle puisqu’elle lui a permis d’explorer les représentations de soi qui constituent son identité personnelle et de revisiter ses représentations sociales pour déterminer son rôle en tant que superviseure de stagiaires qui s’appuie sur la psychopédagogie du bien-être. Or, dans cette perspective, l’objet qui doit guider ses interventions concerne le développement du bien-être, l’épanouissement et le fonctionnement optimal des stagiaires. Ses actions pédagogiques (enseignement, rétroactions orales et écrites, etc.) doivent viser le développement des 12 compétences professionnelles édictées par le référentiel, mais aussi veiller à l’appropriation de stratégies et d’habiletés propices à l’atteinte d’un équilibre émotif, cognitif, psychosocial qui favorise le bien-être (Goyette, 2018a). Pour ce faire, la superviseure s’est appuyé sur les concepts inhérents au champ de la psychologie positive ce qui a orienté ses postures d’accompagnement (Van Nieuwenhoven et al., 2018).

En ce qui a trait aux concepts de bien-être et de bien-être en enseignement, la formatrice a orienté ses interventions pour que les stagiaires prennent en compte les divers éléments du bien-être, c’est-à-dire les émotions positives, les relations positives, le sens, l’accomplissement et l’engagement (Seligman, 2011) ainsi que la passion de l’enseignement, l’engagement professionnel et le sentiment de compétence (Goyette, 2014). Elle a pris conscience qu’il fallait mettre de l’avant des valeurs humanistes, telles qu’évoquées par Réto (2018), comme le respect, la coopération, la singularité de chacun ainsi que l’estime de soi et des autres. Afin d’établir un lien de confiance indispensable à la relation avec les stagiaires, elle a mis à profit des forces de caractère telles que la gentillesse et la générosité (désirer aider les autres) ainsi que la capacité d’aimer et d’être aimé (désirer l’établissement de liens significatifs avec les autres). La construction d’une relation de confiance avec les stagiaires lui a permis d’adopter une posture de co-constructeur (« Faisons ensemble ») ou de facilitateur (« Je suis là en cas de besoin ») (Van Nieuwenhoven et al., 2018), d’où émergeait, lors des rencontres de supervision ou à la lecture des textes du carnet de traces, une analyse plus approfondie et très riche des réflexions à partir de situations vécues dans le stage, qui s’appuyaient sur les concepts issus de la psychologie positive.

Elle estimait indispensable le développement d’une autonomie professionnelle afin de les préparer à la réalité du milieu scolaire. Cette croyance l’a amenée à adopter, selon les contextes, la posture d’émancipateur (« Je te fais confiance ») en leur faisant prendre conscience qu’elles devaient, de prime abord, tenter de se débrouiller et de faire appel aux différentes ressources dont elles disposaient pour envisager une situation. Toutefois, quel que soit le contexte, les stagiaires savaient qu’elles pouvaient en tout temps contacter la formatrice si elles éprouvaient une difficulté.

2) Planifier le dispositif d’accompagnement

À la suite de la réflexion sur soi, la superviseure a élaboré un dispositif d’accompagnement en congruence avec les représentations de son rôle et l’approche pédagogique préconisée en psychopédagogie du bien-être. Pour ce faire, un arrimage entre les connaissances issues de la recherche en psychologie positive et les expériences de stage étaient nécessaires pour développer le bien-être et une identité professionnelle positive chez les stagiaires. La superviseure a créé des activités pédagogiques qui nécessitent l’utilisation des outils pédagogiques définis précédemment (carnet de traces, Via-Survey, démarche de questionnement et d’analyse ainsi que le plan d’action) qui se sert de l’expérience vécue par les stagiaires, en faisant ressortir leurs forces et leurs talents lors de situations survenues lors du stage.

Par exemple, une activité réflexive nommée « Éloge de retraite », inspirée de l’ouvrage de Théorêt et Leroux (2014, p. 43), a permis aux stagiaires de se projeter dans le futur au moment où elles prendraient leur retraite et d’imaginer une fête où des collègues seraient invités à dire quelques mots sur leur carrière. Le but de cet exercice permettait aux stagiaires d’explorer leur identité personnelle en mettant en exergue leurs représentations d’elles-mêmes au regard de leurs aspirations, leurs valeurs, leurs croyances, leurs forces, leurs attitudes et leurs qualités. Consignée dans le carnet de traces, cette réflexion a fait ressortir de nouveaux éléments par lesquels elles pouvaient analyser leurs expériences à l’aide de la démarche de questionnement, sous un angle jusque-là peu exploité. Ces éléments ont été par la suite rattachés au concept théorique de l’identité professionnelle (Beauchamp et Thomas, 2009 ; Gohier et al., 2001 ; Timostsuk et Ugaste, 2010), pour ensuite approfondir la compréhension de quatre compétences professionnelles et ainsi élaborer un plan d’action lié à la réalisation d’un objectif spécifique pour l’une de ces compétences.

Lors du stage

3) Construire des fondements conceptuels solides pour les lier à l’expérience

Les deux séminaires précédant le stage permettaient, en plus de clarifier les modalités et les consignes relatives au stage, de mettre à jour les connaissances relatives au processus de développement de l’identité professionnelle ainsi que des concepts phares de la psychologie positive choisis par l’accompagnatrice. En privilégiant une perspective d’enseignement développementale (Pratt, 2002) qui consiste à faire réfléchir les stagiaires à l’aide de questions ciblées afin de faire progresser les apprentissages, celle-ci a introduit des mises en situation concrètes afin d’initier des discussions en plénière qui ont amené ces dernières à faire des liens entre l’expérience et les savoirs théoriques. Ces réflexions, guidées par une approche par les forces, ont été orientées de façon à faire ressortir les éléments positifs (forces, talents, compétences, connaissances) chez les stagiaires, ce qui a alimenté leur sentiment de compétence puisqu’elles ont pris conscience qu’elles avaient la capacité de changer l’issue de certaines situations par leurs ressources personnelles (Le Boterf, 2008).

4) Assurer un suivi réflexif auprès des stagiaires lors des visites de supervision

Durant les deux visites de supervision, la superviseure a constaté l’état du développement des compétences professionnelles de ses stagiaires. Cette rencontre a été l’occasion de faire le point avec elles sur leurs réflexions écrites dans le carnet de trace, de revenir sur le plan d’action initial et son avancement. À travers des questions spécifiquement reliées aux situations vécues par celles-ci, elle a mis en place les trois catégories de modalités : la direction, la relation ainsi que la réflexion (Van Nieuwenhoven et al., 2018). Par la direction, l’accompagnatrice a clarifié les consignes relatives au carnet de trace et s’est assurée de la bonne compréhension des stagiaires qu’en aux tâches à accomplir. Par le fait même, elle les a guidées vers des ressources nécessaires à leur réussite. Ensuite, elle s’est assurée d’une bonne relation avec les stagiaires en mettant en exergue leurs ressources personnelles, en les valorisant et en les rassurant. Enfin, la superviseure a entretenu la réflexion amorcée lors des séminaires, en faisant des liens avec la théorie afin de dégager du sens par rapport aux actions évoquées par les stagiaires par une écoute active.

5) Revisiter le plan d’action au regard des forces de caractère

À la mi-stage, un séminaire a eu lieu pour faire un suivi de groupe sur les apprentissages effectués jusqu’à ce moment et clarifier les attentes en ce qui a trait aux travaux des stagiaires. À l’occasion de cette rencontre, la superviseure a demandé à ces dernières d’effectuer le Via-Survey afin qu’elles puissent découvrir leurs forces de caractère saillantes. Cette activité a permis de leur faire prendre conscience de leurs traits de personnalité et ainsi les faire réfléchir à l’utilisation de certains d’entre eux lors de situations où elles ont dû mobiliser certaines de leurs compétences professionnelles. La démarche de questionnement et d’analyse a été revue pour intégrer ce nouvel aspect pour fins d’approfondissement.

À la fin du stage

6) Faire un bilan des forces déployées lors du stage III et réfléchir à des prospectives pour le stage terminal

À la fin du stage, la superviseure a demandé à chacune des stagiaires, lors du dernier séminaire, de raconter une situation positive qu’elles sont vécues lors de leur stage et d’expliquer en quoi leurs forces de caractère (ou leurs compétence, talents, etc.) ont permis ce résultat. L’idée derrière cette activité de partage était de consolider chez les stagiaires l’idée qu’elles avaient le pouvoir sur certaines situations afin qu’elles se soldent par une réussite et qu’elles génèrent un sentiment de compétence, de la satisfaction et du bien-être. Par la suite, une activité de réflexion autour de prospectives pour le stage terminal a été faite au regard du développement des compétences professionnelles. Au retour des stagiaires, le cours d’identité professionnelle II dont les intentions pédagogiques se situent autour de l’élaboration de moyens pour relever les défis de la profession en vue du stage terminal permet un approfondissement théorique qui aborde des concepts tels que la motivation au travail, le développement de compétences psychologiques et émotionnelles, la passion en enseignement, etc. Cela favorise un transfert de ces connaissances vers l’apport expérientiel vécu en stage III par les étudiantes. Les activités pédagogiques sont conçues afin d’envisager l’expérience du stage IV en considérant les forces des étudiants dans l’analyse de situations complexes en enseignement.

Des rétroactions au regard du dispositif

À la demande de l’accompagnatrice, deux stagiaires ont volontairement accepté d’émettre quelques commentaires sur le dispositif d’accompagnement. De façon générale, les stagiaires ont apprécié leur accompagnement de stage et ont trouvé l’expérience enrichissante. Les rétroactions dans le carnet de trace ainsi que celles émises lors des visites de supervision ont permis d’approfondir les réflexions et ont également facilité la progression des apprentissages des compétences professionnelles. En effet, elles ont réalisé qu’elles possédaient des points forts et qu’elles pouvaient les utiliser afin d’évoluer positivement lors de leur stage. L’établissement d’un plan d’action en y intégrant les forces de caractère a aidé les stagiaires. Selon elles, la formulation positive du plan d’action avait un effet motivant et suscitait un engagement accru dans la réalisation des objectifs qu’elles avaient visés pour améliorer leurs compétences professionnelles. Les moyens concrets déterminés par les stagiaires ont favorisé de meilleures interventions dans certains contextes qui représentaient un défi pour elles. Les forces ont permis un autre angle d’analyse qui a favorisé une meilleure compréhension de diverses situations. Cependant, on souligne que le questionnaire Via-Survey a ses limites et qu’il ne donne pas un portrait complet des personnes, bien que les résultats soient fidèles à la représentation que les stagiaires se faisaient d’elles-mêmes. Elles relèvent également l’authenticité des interventions de la superviseure, sa flexibilité dans certaines situations (date de remise de travaux, adaptation à certains imprévus), ainsi que son caractère exigeant quant à la qualité des réflexions remises dans le carnet de trace. Enfin, selon les stagiaires, l’approche axée sur les forces a eu un effet positif sur leur confiance professionnelle et a changé leur représentation de la profession puisqu’elles ont eu le sentiment d’évoluer dans un contexte plus favorable que lors de leurs précédents stages, davantage axés sur les déficits, ce qui les amenait parfois à douter de leurs capacités et à centrer leur attention sur les éléments négatifs.

Limites du dispositif d’accompagnement

Bien que les commentaires de ces stagiaires s’avèrent très favorables, ce dispositif d’accompagnement accuse quelques limites. Dans un premier temps, les stagiaires provenaient d’une cohorte homogène qui avait poursuivi leur cheminement d’études à la lettre. Elles avaient donc tous les acquis nécessaires pour entreprendre ce stage, et aucune d’entre elles n’éprouvait de difficultés particulières quant à la progression de leurs apprentissages. Dans cette perspective, on peut se demander si la démarche de questionnement et d’analyse aurait été un outil adapté à des étudiantes en difficulté puisqu’il fait état d’une certaine complexité. Dans un deuxième temps, ce dispositif d’accompagnement requiert une grande ouverture de la part du superviseur pour se remettre en question par rapport à sa propre identité professionnelle. Il doit envisager un changement de paradigme quant à ses représentations liées à la supervision de stagiaires selon l’approche privilégiant les forces. Cela est parfois difficile puisque ce changement demande de repenser nos stratégies pédagogiques, ce qui prend du temps que l’on sait, très limité en regardant les multiples tâches à accomplir. Dans un troisième temps, le superviseur doit être formé aux concepts inhérents à la psychopédagogie du bien-être : cette approche privilégiant les forces ne s’improvise pas et bien planifier ses interventions demande une connaissance accrue du dispositif pédagogique à mettre en place pour bien orienter les stagiaires dans leurs réflexions. Puis, ce dispositif relève d’une complexité certaine pour les stagiaires, qui ont parfois de la difficulté à faire l’arrimage entre l’expérience, les connaissances issues de la recherche et l’analyse de soi.

En effet, analyser leur pratique en considérant leurs forces et leurs talents peut-être difficiles pour plusieurs d’entre eux puisque le biais de la négativité (Fredrickson et Losada, 2005) entre parfois en ligne de compte. Enfin, bien que ce dispositif pédagogique axé sur les forces des stagiaires semble prometteur, il ne constitue pas la panacée : plusieurs situations en stage sont difficiles et l’approche par problème (Galand et Frenay, 2005) demeure l’un des moyens efficaces pour réussir à les surmonter.

Conclusion

Pour conclure, la psychopédagogie du bien-être est un champ à investiguer davantage dans l’accompagnement des stagiaires en enseignement. Elle permet un changement de paradigme, passant d’une approche par les déficits à une approche axée sur les forces des stagiaires. La création et la mise en place de dispositifs orientés vers la réflexion de soi pour alimenter les pratiques semblent une avenue prometteuse pour bonifier la formation des enseignants, en s’intéressant au processus de développement de leur identité professionnelle qui prend davantage en compte leur identité personnelle. En considérant que près de 25 % des enseignants novices décrochent dans les trois premières années dans la profession (Karsenti et al., 2015), une formation prenant en compte les aspects psychologiques et psychosociaux s’avère plus que nécessaire pour favoriser le bien-être et la persévérance.