Article body

Introduction

Cette contribution se veut avant tout une exploration théorique, même si elle se fonde sur plusieurs recherches empiriques. En effet, nous cherchons à examiner les conséquences de considérer l’enseignement comme une forme socioculturelle à transmettre. Dans des recherches précédentes, nous avons examiné les sources du développement professionnel et plus particulièrement certains mécanismes à la base de l’élaboration des savoirs professionnels (Buysse, 2011 b ; Buysse & Vanhulle, 2009). Si des concepts quotidiens ou scientifiques, des logiques naturelles et formelles sont présents (Buysse, 2011a), il ressort de nos dernières investigations qu’un autre phénomène est à l’oeuvre (Buysse, 2012 ; Buysse & Renaulaud, 2012, juin, 2012, mai, sous presse, 2013). Nous relevons notamment des grappes de types d’élaboration de savoirs selon les dimensions des médiations mobilisées par les sujets. La subjectivation des concepts ne semble pas pouvoir expliquer à elle seule ces variations dans l’élaboration des savoirs professionnels par les étudiants.

Dans un premier temps, nous poserons quelques postulats de base, servant de fondement à l’épistémologie proposée. Nous prenons en compte l’existence d’une forme culturelle ou socioculturelle (Bruner, 1986/2000, 1990, 1996/2008 ; Valsiner, 2005 ; Vygostki, 1934/1997 ; Vygotski, 1925/2005). Nous considérons dès lors les implications de celle-ci dans la pratique d’une activité (Leontiev, 1978) ou dans la transmission d’une culture professionnelle (Buysse, 2011b). Cette forme socioculturelle reflète la culture en tant que système conceptuel donnant un sens à la réalité et intériorisé par les individus qui font partie de cette culture (Van der Veer, 1996). Nous inspirant d’Aristote (Jerphagnon, 1989), nous définissons dans un premier temps cette forme comme ce qui donne une substance à des matériaux. Dans le cadre de la pensée, nous posons par extension que la forme est ce qui donne un sens aux informations (Barry, 1999; Cooney, 2000).

Si nous prenons comme cadre l’élaboration des savoirs, nous partons de l’idée que tout savoir résulte d’un ensemble d’informations interprétées et structurées, ou à un niveau supérieur, qu’il est une unité plus large composée elle-même de savoirs structurés entre eux. De nombreux auteurs considèrent que ce sont les concepts qui articulent cette structuration (Barth, 1993 ; Özdemir & Clark, 2007 ; Van der Veer, 1998 ; Vosniadou, Baltas, & Vamvakoussi, 2007).

Dans le cas des savoirs, cet agencement semble avant tout élaboré afin de donner un sens. Ce sens a un effet sur l’intériorité du sujet. Si nous considérons les savoirs professionnels en jeu dans le développement professionnel (Vanhulle, 2008, 2009), la complexité et la visibilité de ce processus est amplifiée. En effet, les savoirs professionnels s’élaborent sur la base de savoirs référentiels, provenant tant de la formation académique que des praticiens qui entourent le sujet, et de savoirs expérientiels, ressortant de l’expérience vécue du sujet. Nous voyons donc le potentiel de trois élaborations de savoirs[1] avec chacune leurs propres influences.

Nous basant sur différents travaux (Buysse, 2011a ; Buysse & Vanhulle, 2009), nous considérons que les savoirs élaborés par un sujet donné sont le résultat d’un processus de régulation. Ce processus est ce qui permet la réélaboration d’un savoir sur la base de savoirs préexistants et de nouvelles informations fournies lors d’interactions.

Si nous examinons ce processus présent dans tout apprentissage, nous constatons que la régulation vise certaines finalités et objectifs, selon certains critères d’évaluation et procède selon certains processus logiques (Allal & Mottier Lopez, 2007; Buysse, 2012; Inhelder et al., 1992; Valsiner & Litvinovic, 1997). Chaque culture, et chaque microculture possèdent une manière de mettre en relation les savoirs, donc sa propre « conscience socioculturelle ». De ce fait, chaque action du sujet s’inscrit dans une activité et est donc une ouverture sur la conscience du monde. Ceci entraîne un monde vécu différent pour chacun (Habermas, 1981/1995), que nous pouvons considérer comme dépendant de l’activité socioculturelle (Leont’ ev, 1978 ; Valsiner, 2005).

Chaque forme socioculturelle dispose de sa propre cohérence et influence la conscience individuelle. Ceci a comme conséquence que chaque forme socioculturelle peut être vue comme fonctionnant selon sa propre épistémie, influençant la manière dont sont élaborés ses savoirs. La manière qu’a un sujet participant à cette forme socioculturelle de subjectiver les savoirs serait donc influencée par cette épistémie. Cette influence n’est pas limitée à la transmission de significations, mais imprégnerait toutes les actions impliquant des prises de position du sujet au sein de son activité :

Une analyse plus intense de la reconfiguration des significations personnelles en des significations appropriées (plus appropriées) indique qu’elle a lieu dans des conditions de lutte de la société pour la conscience des individus. […] Les significations – représentations, concepts, idées – n’attendent pas passivement [le choix de l’individu], mais s’installent énergiquement dans ses connexions avec les personnes formant le cercle de ses contacts réels. Si l’individu est forcé de faire des choix, tenant compte de circonstances de vie données, alors ces choix ne s’effectuent pas entre des significations, mais entre des positions sociales conflictuelles qui sont exprimées et reconnues à travers ces significations.

Leontiev, 1978, s.p.

Ceci a comme conséquence une reconfiguration des significations personnelles partiellement en fonction d’une activité socioculturelle particulière. L’activité est ainsi vue comme dotée d’un ensemble de cohérences que l’individu peut discerner. Certaines parties de l’activité restent tacites alors que d’autres sont dotées d’une logique formelle rigoureuse et clairement explicitée. Le caractère implicite n’est néanmoins pas un obstacle à l’intériorisation, notamment grâce aux phénomènes d’inférences liées à l’imitation de l’activité (Meltzoff & Prinz, 2002; Mezirow, 2001). Durant la participation à l’activité, des cohérences seraient inférées progressivement, et la forme qui s’en dégage pourrait ainsi être cernée par le sujet et lui permettrait d’intérioriser une identité socioculturelle.

Il s’agit donc de cerner les différentes dimensions de ces cohérences.

1. Médiations

Le sujet dispose de nombreux savoirs, concepts, informations agencées selon des manières appropriées à chaque contexte d’activités et lui permettant de donner un sens à de nouvelles informations, expériences ou savoirs. Nous envisageons ainsi le développement dans une perspective vygotskienne selon laquelle le savoir existant est intériorisé par le sujet. Lors de cette intériorisation, le savoir est transformé, réélaboré par le sujet. Ce ne serait qu’une fois le savoir ainsi subjectivé que nous pouvons parler de développement (Buysse & Vanhulle, 2009 ; Vanhulle, 2005, 2009).

Le sujet n’est pas seul dans ce processus d’intériorisation. Même si nous considérons que l’intériorisation de savoirs préexistants ou l’élaboration de savoirs à partir de l’expérience, peut s’expliquer par des régulations, nous prenons en compte que le sujet dispose d’outils psychologiques dans ce processus. Chaque savoir est ainsi l’objet d’une médiation et d’une interaction qui la véhicule. La médiation est ici vue en tant qu’outil qui permet une intériorisation, mais aussi comme un outil qui, une fois intériorisé, permet de mobiliser des savoirs, de déployer des compétences selon une certaine logique, selon certains principes.

Nous distinguons deux médiations qui peuvent être intériorisées : les médiations contrôlantes et structurantes (Buysse, 2009).

  1. Les médiations contrôlantes permettent le remplacement de stimuli externes par des stimuli internes. Sur le plan interpsychique, ces médiations sont caractérisées par les interactions quant au contrôle du processus de régulation. Souvent liées à une négociation, elles déterminent la part d’hétérorégulation et d’autorégulation. Nous pensons ici à la place laissée aux directives ou à l’autonomie dans l’activité, l’attention particulière à accorder à un aspect ou l’autre, les critères d’évaluation par les formateurs ou les sujets, etc. Pour Vygotski, l’intériorisation de la médiation contrôlante est liée à la communication interpersonnelle qui est intériorisée en tant qu’outil d’autorégulation dans le langage intérieur (Karpov & Haywood, 1998). Toute médiation dans le cadre d’une formation porte ainsi une composante que nous qualifierons de médiation contrôlante dans la mesure où elle exerce une influence sur le processus d’intériorisation du sujet. Ces médiations contrôlantes sont intériorisées par le sujet et font progressivement partie de son fonctionnement lors d’intériorisation subséquente ou de la mobilisation de savoirs dans le cadre d’une activité.

  2. Les médiations structurantes permettent de remplacer la nécessité de recourir à une structure entre des savoirs tels qu’elle est socialement transmise, par une subjectivation de ce qui structure ces savoirs. Il s’agit ici d’intérioriser ce qui permet de comprendre un savoir particulier. Ces médiations structurantes se trouvent aussi à la base de l’activité socioculturelle et c’est leur intériorisation qui permet d’intérioriser l’activité. Cette médiation consiste dans les outils cognitifs nécessaires à l’intériorisation. Les concepts scientifiques jouent ici un rôle déterminant, car ils représentent la généralisation de l’expérience de l’humanité et une fois intériorisés deviennent les outils psychologiques nécessaires à la résolution de problèmes (Karpov & Haywood, 1998). Les propriétés déterminantes des concepts scientifiques[2] sont leur caractère explicite, un système d’organisation systémique, logique et hiérarchique ainsi que leur utilisation délibérée (Van der Veer, 1998 ; Van der Veer & Valsiner, 1991). Nous considérons toutefois que les médiations structurantes ne se limitent pas aux concepts, mais sont composées de toutes les dimensions processuelles qui contribuent à donner un sens.

Nous avons également proposé de cerner en quoi consistent ces médiations en étudiant différents contextes de déploiement et en prenant en considération chaque fois la transmission et la mobilisation des médiations. Nous avons ainsi déterminé différentes dimensions pour chaque médiation (Buysse, 2012, p.128) :

  1. Médiations contrôlantes :

    1. La régulation de certains systèmes de régulation plutôt que d’autres ;

    2. Un monitoring particulier ;

    3. Des modes d’évaluation ;

    4. Le recours à la délégation ou non de l’attention, donc à une préférence pour une ambiance d’apprentissage favorable à une régulation active ou à la régulation dynamique.

  2. Médiations structurantes :

    1. L’objectif de l’action ou la finalité de l’activité ;

    2. La préférence pour des formes de raisonnements ;

    3. Le recours à des concepts scientifiques ou quotidiens ;

    4. Un rapport aux émotions dans le sens de sa prise en compte de sa validité ;

    5. La prise en compte de certains types d’informations ou savoirs.

D’après nos recherches, ces dimensions sont observables tant dans la forme socioculturelle et sa transmission que dans la forme subjectivée. Ce qui est à souligner également, c’est que chacune de ces neuf médiations de premier ordre est présente dans toutes les activités impliquant, à un degré ou un autre, une création de sens.

En effet, les médiations, en tant qu’outils influençant les processus, sont ce qui permet à l’homme de maîtriser son propre comportement :

De même, pour expliquer de manière satisfaisante le travail en tant qu’activité de l’homme appropriée à une fin, nous ne pouvons nous contenter de dire qu’il a pour origine les buts, les problèmes qui se posent à l’homme, mais nous devons l’expliquer par l’emploi des outils, par l’application de moyens originaux sans lesquels le travail n’aurait pu apparaître ; de même encore que la question centrale pour expliquer les formes supérieures de comportement est celle des moyens qui permettent à l’homme de maîtriser le processus de son propre comportement.

Vygostki, 1934/1997, p. 198-199

Les différentes dimensions des médiations sont transmises, mais sont également mobilisées une fois qu’elles ont été intériorisées. Nous qualifierons donc les médiations de directes quand elles sont amenées par le formateur et explicites, mais indirectes lorsque le formateur donne des pistes qui permettraient au sujet d’extraire les dimensions des médiations du contexte fourni ou que le sujet mobilise des dimensions des médiations préalablement intériorisées.

De plus, chacune des dimensions peut être qualifiée selon celles de deuxième ordre permettant de cerner leur particularité en fonction de l’activité socioculturelle et des habitudes des sujets (voir figure 1). À titre d’exemple, nous avons ainsi distingué, lors d’entretiens sur la conception de l’enseignement, les dimensions suivantes observées, selon leur caractère direct ou indirect (Buysse, 2012) :

  1. Dimensions des médiations contrôlantes :

    • Système de régulation : qu’est-ce que l’élève est amené à aborder, à problématiser ?

      • Action :

        • Direct : centration sur la mise en activité des élèves par l’enseignant ; considère que c’est à lui de les mettre en activité directement ;

        • Indirect : centration sur les conditions favorisant une mise en activité des élèves ; considère que c’est aux élèves d’entrer en activité.

      • Conception :

        • Direct : centration sur la nécessité d’expliquer aux élèves, de leur demander de comprendre ;

        • Indirect : centration sur la nécessité de leur donner l’opportunité de vouloir comprendre, de les laisser questionner.

      • Sous-jacents :

        • Direct : centration sur l’importance de demander aux élèves leurs motivations, de leur donner une motivation, les émotions, les préférences des élèves ;

        • Indirect : centration sur le fait de permettre aux élèves de développer leur motivation, de parler de leur vécu.

    • Évaluation : comment, ou en fonction de quoi, l’action de l’élève est-elle évaluée ?

      • Finalité :

        • Direct : l’enseignant évalue globalement l’atteinte des apprentissages en fonction des objectifs/finalités ;

        • Indirect : l’enseignant amène les élèves à s’évaluer en fonction des objectifs annoncés ou inférables.

      • Critériée :

        • Direct : l’enseignant conçoit des dispositifs d’évaluation détaillés ;

        • Indirect : l’enseignant demande aux élèves de s’évaluer en se basant sur des critères à déterminer.

      • Formative :

        • Direct : le formateur met en place des dispositifs d’évaluation et de rétroactions, donne des retours aux élèves, trouve normal de se tromper pour apprendre ;

        • Indirect : le formateur demande aux élèves d’identifier leurs difficultés seuls ou à plusieurs.

      • Sanction :

        • Direct : le formateur sanctionne ou récompense les résultats ;

        • Indirect : le formateur amène les sujets à se sanctionner ou à se récompenser en fonction des résultats obtenus.

    • Monitoring : comment l’élève est-il amené à guider le cours de son action ?

      • Tabous :

        • Direct : l’enseignant mentionne que certaines démarches doivent être exclues ;

        • Indirect : l’élève doit être amené à comprendre que certaines stratégies, certains raisonnements sont à exclure.

      • Consignes :

        • Direct : l’enseignant estime que les consignes doivent être précises, univoques ; le formateur pense que les sujets ont besoin de nombreuses consignes claires ;

        • Indirect : les sujets sont amenés à se doter de consignes ou à se fonder sur des consignes indirectes.

      • Questions de relance :

        • Direct : l’enseignant doit poser des questions pour relancer la réflexion des sujets, il doit le guider ;

        • Indirect : les sujets doivent être amenés à se poser des questions pour les faire progresser.

      • Procédure :

        • Direct : l’enseignant estime qu’il faut donner des procédures détaillées aux sujets ;

        • Indirect : les élèves doivent tenter de trouver les procédures eux-mêmes.

      • Persévérance :

        • Direct : l’enseignant motive les élèves en fonction des aspects de récompense, de réussite, d’évaluations externes ;

        • Indirect : l’enseignant en appelle à la motivation, à la curiosité des élèves, prône un dialogue.

    • Contrôle attentionnel : quel est le mode de contrôle attentionnel privilégié par l’enseignant ?

      • Actif : pour l’enseignant, l’observation in situ des procédures déployées est importante ; la discipline, le sérieux, la concentration, des consignes claires, un cadre précis et rassurant sont considérés comme importants ; les contraintes d’un programme linéaire sont soulignées ; nombreuses évaluations ponctuelles ;

      • dynamique : l’enseignant met en avant le dialogue, le partage, le sens de l’humour, le temps accordé, la relativité des programmes est mentionnée, les besoins des élèves passent en avant, de nombreuses mises en lien sont importantes ainsi qu’un travail large sur les thèmes, l’observation se fait de façon distanciée ; l’apprentissage est vu comme nécessitant du temps ; il y a peu d’évaluations.

  2. Dimensions des médiations structurantes :

    • Objectif/finalité : comment le sujet devrait-il déterminer la finalité de sa réflexion ou de son action ?

      • Finalités de l’activité :

        • Direct : l’enseignant considère qu’il doit expliquer les finalités des thématiques ;

        • Indirect : les finalités sont mises en discussion, les sujets peuvent être amenés à codécider de certaines finalités ou de leur arrangement dans le temps.

      • Objectif des actions, des procédures :

        • Direct : l’enseignant mentionne que l’objectif doit être donné pour les actions demandées, voire expliquées ;

        • Indirect : l’enseignant mentionne que les sujets doivent être amenés à réfléchir sur les objectifs qui pourraient être pertinents en fonction des finalités, ils participent à la détermination des objectifs.

      • Imitation :

        • Direct : la démonstration peut être un bon moyen d’enseigner ; il fait et les sujets doivent l’observer ;

        • Indirect : l’enseignant considère qu’il doit participer aux recherches des élèves, qu’il doit donner l’exemple dans la résolution de problèmes.

      • Contextualisation :

        • Direct : l’enseignant estime qu’il faut toujours contextualiser les enseignements par rapport à du concret, des éléments de la vie de tous les jours ;

        • Indirect : les sujets doivent être amenés à trouver une utilité, un contexte d’utilisation.

      • Imagination :

        • Direct : le formateur doit proposer des mondes imaginaires pour permettre le raisonnement ou ancrer l’action ;

        • Indirect : les sujets doivent être amenés à faire preuve d’imagination.

    • Raisonnement : quels genres de logiques devraient être favorisées ?

      • Départ inductif :

        • Direct : l’enseignant juge important de partir d’une situation particulière et de démontrer comment on arrive à une règle à partir de là ;

        • Indirect : les sujets devraient être amenés à inférer des règles à partir de situations particulières.

      • Départ déductif :

        • Direct : l’enseignant devrait d’abord poser des règles et en inférer des exemples de situations particulières d’application ;

        • Indirect : les sujets devraient être amenés à inférer des situations particulières à partir d’une règle.

      • Hypothèses :

        • Direct : l’enseignant juge important d’indiquer qu’il s’agit d’hypothèses qui devront être démontrées ;

        • Indirect : les sujets devraient être amenés à poser eux-mêmes et à vérifier des hypothèses.

      • Postulats :

        • Direct : l’enseignant juge nécessaire de donner un certain nombre de bases, de postulats, avant de lancer les sujets dans un raisonnement ;

        • Indirect : d’après les enseignants, les sujets devraient être amenés à poser des postulats avant de commencer à raisonner.

      • Logique naturelle :

        • Direct : l’enseignant estime possible de ne pas fonder son enseignement, ses explications sur un raisonnement formel ; il estime pouvoir se laisser à son intuition, à des justifications après coup ;

        • Indirect : l’enseignant pense que les sujets peuvent être amenés à justifier leurs préconceptions, à travailler de manière intuitive.

      • Logique formelle :

        • Direct : l’enseignant trouve important d’avoir le plus souvent recours à un raisonnement logique formel ;

        • Indirect : l’enseignant pense que les sujets devraient être amenés à raisonner selon une logique formelle.

      • Analogies expliquées :

        • Direct : l’enseignant devrait toujours expliquer les analogies qu’il fait ;

        • Indirect : l’enseignant pense que les sujets devraient être amenés à faire des analogiques eux-mêmes et/ou à les expliquer.

      • Métaphores :

        • Direct : l’enseignant trouve important de faire des métaphores que les élèves peuvent comprendre ;

        • Indirect : l’enseignant pense que les sujets devraient être amenés à proposer des métaphores.

    • Concepts et savoirs : quels genres de concepts devraient-ils être proposés à l’élève ?

      • Concept quotidien :

        • Direct : l’enseignant peut avoir recours à des concepts quotidiens si ceux-ci permettent aux sujets de se faire une idée ;

        • Indirect : les sujets devraient être amenés à expliciter leurs préconceptions, leurs concepts spontanés.

      • Concept scientifique :

        • Direct : l’enseignement devrait le plus souvent possible se fonder sur des concepts scientifiques et les transmettre ;

        • Indirect : les sujets devraient être amenés à trouver ou à mobiliser des concepts scientifiques pour comprendre.

      • Concepts et savoirs supplémentaires :

        • Direct : il est important de donner de nombreux concepts et savoirs en plus de ce qui est strictement nécessaire au thème ;

        • Indirect : les sujets devraient être amenés à trouver de nombreuses informations supplémentaires.

      • Concepts et savoirs mis en lien :

        • Direct : l’enseignant doit présenter explicitement les liens qui peuvent être faits entre différents savoirs, la matière déjà vue, les concepts ;

        • Indirect : les élèves devaient être amenés à faire eux-mêmes des liens entre différents savoirs, ce qui a été vu précédemment, etc.

    • Rapport aux émotions : de quelle manière les émotions doivent-elles être prises en compte ?

      • Émotion absente :

        • Direct : l’enseignant est d’avis que les émotions (ni les siennes ni celles des sujets) ne devraient intervenir du coté de l’apprentissage ;

        • Indirect : les sujets sont amenés à ne pas tenir compte de leurs émotions.

      • Émotion niée :

        • Directe : l’enseignant pense que toute tentative d’utiliser les émotions dans le processus de compréhension doit être évitée ;

        • Indirect : les sujets sont amenés à mettre de côté leurs émotions même si elles ressortent.

      • Émotion présente :

        • Direct : l’enseignant juge important de communiquer ses émotions ;

        • Indirect : les sujets sont amenés à s’exprimer librement au sujet de leurs émotions.

      • Émotion noyau :

        • Direct : l’enseignant considère que des émotions peuvent être un départ valable pour la compréhension, pour une activité d’apprentissage en général ;

        • Indirect : le sujet est incité à prendre en compte ses émotions et à se laisser guider par elles, éventuellement à fonder sa compréhension là-dessus.

    • Empan réflexif : quelle est l’étendue des savoirs qui doivent être pris en compte ?

      • Autoréférencé :

        • Direct : l’enseignant considère que c’est important de faire parler les sujets de leur vécu, d’avoir recours à des informations de leur vie hors école, ou à leurs émotions personnelles, leur vie familiale ;

        • Indirect : les sujets sont amenés à tenir compte d’informations sur eux-mêmes, leurs émotions.

      • Technique :

        • Direct : l’enseignant trouve important de donner lui-même les techniques pour résoudre un problème, pour réaliser une action ;

        • Indirect : les sujets devraient être amenés à utiliser des savoirs techniques pour résoudre un problème ou pour réaliser une action.

      • Contextuel :

        • Direct : l’enseignant devrait expliquer en détail pour permettre la compréhension, l’adaptation au contexte ; il devrait donner toutes les informations nécessaires à la compréhension ;

        • Indirect : les sujets devraient tenter d’expliquer et de trouver des informations afin de tenir compte du contexte et de comprendre le sens de l’action par rapport à ce contexte.

      • Critique :

        • Direct : l’enseignant devrait donner tous les savoirs permettant de comprendre le sens de l’activité, son utilité dans la société, etc. ;

        • Indirect : les sujets devraient être amenés à tenter de comprendre le sens de l’activité en ayant recours à des informations et à des mises en relation très larges.

Figure 1

Dimensions de premier et deuxième ordre des médiations (d’après Buysse, 2012)

Dimensions de premier et deuxième ordre des médiations (d’après Buysse, 2012)

-> See the list of figures

La présence, dans le discours des enseignants, de préférences pour ces dimensions de deuxième ordre présente des cohérences. Il en va de même pour l’insistance sur une transmission directe ou indirecte de ces dimensions. L’analyse de l’activité enseignante permet, avec des indicateurs similaires, de retrouver ces cohérences.

2. Étude des formes

C’est sur cette base que nous avons procédé à une nouvelle analyse de différentes études de l’activité professionnelle enseignante et de sa formation. Il ressort de chacune d’entre elles l’existence de grappes de dimensions des médiations permettant de caractériser soit un état de développement, soit une activité professionnelle :

  1. Différence des médiations mobilisées en lien avec le développement professionnel (Buysse & Vanhulle, 2009) ;

  2. Révélation de formes culturelles distinctes par comparaison du théâtre et de l’enseignement (théâtre – enseignement) (Buysse, 2012) ;

  3. Révélation de différentes formes au sein de l’enseignement, donc de formes fondamentales composant des manières différentes de voir l’activité enseignante (Buysse, 2012) ;

  4. Différence dans les dimensions des médiations mobilisées entre le début et la fin des études de la formation des enseignants du primaire (Buysse & Renaulaud, 2012, mai) ;

  5. Différence dans la dimension des médiations mobilisées entre formation pour enseigner au primaire et formation pour enseigner au secondaire, avec traces des formations antérieures dans le cas des enseignants du secondaire (Buysse & Renaulaud, sous presse, 2013).

Nous avons ainsi pu déterminer que les différentes dimensions dont sont composées les médiations permettaient de cerner une forme socioculturelle ou à tout le moins une subjectivation à un moment donné de cette forme socioculturelle. Par exemple, lors d’une étude portant à la fois sur des formateurs de théâtre et des enseignants du cycle primaire, nous avons pu cerner les différences entre les professions à l’aide des dimensions des médiations; celles-ci pouvaient être décelées à la fois à travers l’analyse de séquences de formation donnée et dans les propos des enseignants.

Il ressort de cela que ce ne sont pas que les concepts scientifiques qui sont liés à une manière de les penser, donc d’appliquer une certaine logique (Valsiner, 2002). Ces cohésions entre dimensions des médiations permettent d’expliquer, même en dehors de la transmission de concepts scientifiques, qu’il y ait la création d’un sens en quelque sorte conforme à une manière de penser, d’appréhender les problèmes. Nous pensons ainsi qu’il n’y a pas que les concepts scientifiques qui reflètent ce qui est vu comme l’essence d’un certain aspect de la réalité (Van der Veer, 1998), mais qu’une weltanschauung, une manière de voir le monde, se dégage de la manière de réguler, même en l’absence de logique formelle et de concepts établis. La forme permet donc au sujet, quels que soient les éléments à disposition de construire un sens; la forme serait donc ce qui donne une substance à l’interprétation du monde et permettrait de cerner le monde vécu Habermas (Habermas, 1981/1995).

La forme socioculturelle obéit à sa propre logique et suit ses propres finalités. Dans ses procédures, elle reflète l’arrangement particulier de savoirs, de raisonnements, de concepts, de prises en compte des émotions, de valeurs d’évaluation, etc., qui lui sont propres. Il s’agit d’autant de dimensions des médiations qui permettent l’intériorisation des procédures et des savoirs, constitutifs de l’activité.

Ceci nous permet de définir la forme socioculturelle comme contenant à la fois les finalités traditionnelles[3] vers lesquelles l’activité tend, mais aussi les régulations qui lui sont liées, les signes et les outils qui y contribuent, et les contextes traditionnels de son déploiement. Nous pouvons ainsi situer toute activité humaine comme se déroulant dans le cadre d’une forme socioculturelle, elle-même appliquée dans des contextes différents. Elle dispose de formateurs qui proposent des médiations contrôlantes et structurantes visant la transmission des savoirs liés à la forme, transmis à travers l’intériorisation de signes et d’outils. La forme induit aussi les expériences cruciales (voir Vanhulle, 2009a, 2009 b ; Vygotski, 1934/1997) indispensables à l’intériorisation.

Il y a donc pour chaque activité socioculturelle un profil, une forme, qui est constitué par la manière dont les dimensions des médiations entretiennent des liens entre elles. Cette forme particulière est adaptée aux activités et aux contextes de déploiement de l’activité socioculturelle.

La forme constitue ainsi un rapport entre les dimensions des médiations qui participe à la structuration de la pensée : « Le langage lui-même n’est pas fondé sur des liaisons purement associatives, mais nécessite un rapport fondamentalement autre, caractéristique justement des processus intellectuels supérieurs, entre le signe et la structure de l’opération intellectuelle dans son ensemble » (Vygotski, 1934/1997, p. 211).

Nous pouvons sans autre élargir cette notion à toute activité considérée comme une action sensée (Ricoeur, 1986). De ce fait même, l’activité socioculturelle est le résultat du déploiement d’une forme. Cette forme est à son tour transmise à toute personne participant à l’activité.

Nous rejoignons ainsi Valsiner (2005, p. 301-302) :

  1. Le développement humain implique le fait de vivre continuellement de nouvelles expériences, la stabilité du psychisme humain se construit en minimisant les nouveautés et en reconnaissant les similitudes entre le nouveau et l’ancien.

  2. Les médiateurs sémiotiques – signes de toutes sortes – sont construits comme des moyens de réduire l’incertitude liée au mouvement permanent qui attend la vie de l’individu. Ce processus de construction est unique : la culture personnelle est la base pour une adaptation d’instant en instant des attentes quant au futur immédiat. Les cultures personnelles sont fondées sur les inputs sémiotiques de l’environnement et des suggestions sociales d’autres personnes.

  3. La culture collective est une structure hétérogène résultant des externalisations des cultures personnelles. Elle sert de dispositif de canalisation des conduites humaines.

  4. Dans le cours de son développement, une personne crée – ou apparaît au sein de – différents événements dramatiques (dramatisme génétique) qui unifient leurs fonctions cognitives, affectives et volitives en des moments clefs de la construction de sens.

  5. Les significations que l’être humain crée (à travers les signes) sont de différentes sortes, comprenant des outils médiateurs à champ fermé ou ouvert. Ces derniers sont des organisateurs particulièrement puissants des émotions, de la pensée et des actions humaines, car leurs limites externes ne sont pas fixées. Ces significations à champ ouvert peuvent être rapidement surgénéralisées afin de couvrir les relations d’un individu au monde entier.

L’ouverture de la forme est ainsi fondamentale, et il s’agit bien là de ce « champ ouvert ». Le résultat est une plasticité de la forme, qui permet ainsi l’émergence de nouvelles formes. Si la forme se limitait à un format, l’affirmation de Valsiner devrait se lire comme la transmission de médiations à champ fermé, et donc à une limitation de la créativité par une reproduction à l’identique de formes stables.

Chaque forme culturelle, par son aspect de médiation à champ ouvert, offre la possibilité d’une coexistence qui permet l’évolution : celle d’une forme culturelle telle qu’admise à un moment donné et des formes subjectives propres aux acteurs participant à l’activité. Ceci permet d’expliquer que les activités socioculturelles, les professions, évoluent, car chaque acteur a le potentiel d’influencer subtilement la forme qui préside à l’activité professionnelle.

Il y a toutefois un obstacle, qui pourrait être identifié comme le point de rupture de la forme : à quel moment la forme subjectivée se distancie-t-elle au point d’être rejetée comme inadéquate à l’activité par la forme socioculturelle ? C’est un enjeu majeur dans la profession enseignante où la forme pratiquée ne coïncide pas nécessairement avec la forme prescrite, telle que ressortant explicitement ou implicitement des programmes d’enseignement, ou avec la forme souhaitée par les formateurs d’enseignants.

Se rajoute à cela que, contrairement à nombre d’autres activités professionnelles, il n’y a pas nécessairement identité entre l’activité d’enseignement et l’activité scolaire, dans la mesure où les élèves ne se destinent pas à être enseignants. De plus, nous avons décelé deux formes fondamentales différentes de l’enseignement au primaire chez des enseignants ayant disposé de mêmes formations et exerçant dans les mêmes contextes. Ces différences reposaient sur le caractère direct ou non de la transmission des dimensions des médiations (Buysse, 2012). Elles semblent dépendre de l’adhésion à des courants éducatifs différents. Néanmoins, ces deux formes fondamentales se distinguent d’autres formes culturelles examinées.

3. Forme professionnelle

Nous pouvons donc considérer que chaque profession dispose d’un langage qui lui est propre, mais que chaque profession est aussi une culture en soi, disposant en partie de ses propres cadres conceptuels et procurant de ce fait des médiations contrôlantes et structurantes qui lui sont propres (Buysse, 2011b). La formation professionnelle des enseignants s’inscrit donc dans un contexte d’activité déterminé. Il conditionne les dimensions des médiations à disposition pour intérioriser les savoirs et celles dont l’intériorisation est attendue afin d’exercer l’activité conformément à ces finalités et exigences. En cela, une activité professionnelle peut être assimilée à une forme socioculturelle. Les professions disposent en effet d’une tradition et d’une transmission qui leur sont propres.

À cause de leur contexte d’émergence historico-culturel, dans les activités humaines d’une culture donnée, des liens existent, qu’ils aient été indispensables ou se soient établis a posteriori, entre les dimensions des médiations. On peut ainsi parler d’une conscience socioculturelle, dans la mesure où on considère qu’une activité socioculturelle donnée représente une cohérence, un système qui vise à maintenir son équilibre et au sein duquel les actions trouvent un sens en fonction d’une finalité. Cette conscience culturelle, en tant que lien dynamique permettant d’interpréter le monde grâce aux outils psychologiques ouverts, permet de donner un sens et influence les consciences individuelles qui intériorisent cette forme. Cette forme est subjectivée lors de l’intériorisation, car elle doit s’adapter afin de tenir compte des médiations déjà intériorisées précédemment par le sujet.

Chaque culture a donc en quelque sorte une conscience qui influence la conscience de l’individu lors de l’intériorisation des médiations par ce dernier. La forme de conscience d’un individu peut être qualifiée de forme subjectivée. Il y a une tentative d’harmonisation, mais sur la base des médiations déjà intériorisées, donc transformées. De plus, le sujet garde souvent des systèmes non affectés, qui restent en quelque sorte hors de portée de l’influence de la nouvelle forme. En effet, le sujet compartimente ses activités en fonction de contextes socioculturels donnés. Nous devrions conclure que le sujet a plusieurs systèmes de conscience, chacun influencé par une forme socioculturelle en fonction de l’activité concernée.

Une microculture, par exemple une activité professionnelle d’enseignement s’inscrivant dans des habitudes socioculturelles données, un établissement scolaire déterminé présente donc une cohérence[4]. Elle cherche, en tant qu’activité, à atteindre une harmonisation de ses composantes. Nous constatons donc que les activités enseignantes ne s’exercent pas exactement de la même manière selon les microcultures. Il y a, dès lors, adhésion d’un professionnel, à une microvariation de la forme culturelle de sa profession.

Nous pouvons donc tenter de cerner comment se produit l’intériorisation d’un savoir en tenant compte des dimensions des médiations contrôlantes et structurantes et en supposant la préexistence d’une forme professionnelle :

  1. Posons d’abord l’existence d’une forme professionnelle, par exemple l’enseignement au primaire. Elle est plus ou moins codifiée, fait l’objet de transmission dans un cadre formel ou non, mais comprend en tous les cas, en plus des formats qui accompagnent son expression, différents savoirs – scripturalisés ou non – nécessaires à l’atteinte de ses finalités. S’y ajoutent une manière de penser ces savoirs et de les transmettre, ainsi qu’une manière de résoudre les situations se présentant, donc une manière de réguler, comprenant finalités, monitoring, évaluations, souvent décrites sous la forme de compétences (Allal, 2002).

  2. Cette forme professionnelle inclut donc un ensemble d’éléments traditionnellement à disposition des sujets : savoirs, médiations contrôlantes représentées par la manière de partager les régulations et donc la communication entre les sujets, médiations structurantes composées des concepts permettant d’articuler logiquement les éléments de savoirs et d’informations entre eux, des finalités traditionnelles, des priorités d’évaluation.

  3. Une forme professionnelle peut se diviser en deux ou plusieurs formes fondamentales, telles que le théâtre qui peut se décliner entre un théâtre d’inspiration occidentale et l’autre d’inspiration orientale. L’enseignement semble pouvoir s’examiner en au moins deux formes fondamentales rejoignant les courants pédagogiques plus ou moins transmissifs ou constructivistes (Buysse, 2012).

  4. Lors des interactions entre les sujets au sein de cette forme culturelle s’établit une forme microculturelle déclinant la forme culturelle en fonction des spécificités contextuelles et des interactions groupales. Il y a négociation, ou coélaboration, de cette forme microculturelle (Mottier Lopez, 2007, 2008).

  5. Cette interaction sociale ou l’interaction avec l’environnement culturel constitué de supports et doutils propose à la fois des savoirs et des médiations. Parmi les médiations contrôlantes et structurantes offertes, il y a différentes dimensions qui sont plus ou moins mises en valeur,

  6. Il y a des préférences pour des médiations de deuxième ordre qui permettent de qualifier les différentes dimensions de premier ordre. Par exemple, l’évaluation peut être considérée comme dépendante uniquement de critères précis ou être vue comme dépendante d’une appréciation globale en fonction de la finalité de l’activité. Ou encore, la mise en lien de plusieurs concepts peut être vue comme un avantage pour comprendre un nouveau savoir ou l’enseignant peut privilégier un seul concept, voire considérer qu’un élève n’a pas besoin qu’un lui présente des concepts, mais doit simplement être en activité et à travers cela donner un sens à la matière.

  7. Il y des habitudes de transmission ou de dépendance à des dimensions des médiations selon qu’elles sont fournies à l’élève ou à trouver par lui-même. Par exemple, l’ensemble des dimensions des médiations contrôlantes peut ainsi être déterminé par l’enseignant, qui fournit les critères d’évaluation, les procédures à suivre, les préoccupations à avoir et surtout le type de contrôle attentionnel. Tout au contraire, l’enseignant peut amener les élèves à prendre position ou prendre le contrôle de ces processus, tout ou partiellement, à travers une délégation ou une coélaboration.

  8. Les sujets intériorisent ces dimensions des médiations et leur transmission, et développent ainsi des préférences. Ceci se traduit notamment par des styles d’apprentissage préférentiels (Buysse, 2012).

  9. Les savoirs et médiations sont intériorisés (Buysse & Vanhulle, 2009). Lors de ce processus, les médiations et les savoirs sont modifiés, altérés (Vanhulle, 2009). En effet, les médiations permettent l’intériorisation, mais influencent également durablement le savoir intériorisé par le sujet (Buysse, 2009) ainsi que les futurs processus d’intériorisation. Cette intériorisation n’est pas une simple absorption, mais un processus de réélaboration dépendant des dimensions des médiations intériorisées.

  10. Sur le plan, les dimensions des médiations présentent des cohérences, que nous appelons formes, et cette cohérence est intériorisée à travers la participation à l’activité et la formation. Toutes les régulations liées à l’intériorisation sont donc influencées par cette forme. Il y a appropriation par le sujet d’une forme qui résulte de l’intériorisation des médiations proposées ou mobilisées sur le plan interpsychique.

  11. Étant donné que le sujet n’est pas en contact direct avec une forme socioculturelle dans son ensemble, il intériorise dans un premier temps une forme fondamentale de celle-ci. Pour être plus précis, il intériorise à travers son activité et ses interactions en formation, une microforme liée à celle-ci.

  12. Le sujet dispose dès lors de savoirs et de médiations, donc d’une microforme intériorisée et en lien avec la culture professionnelle. La médiation et les savoirs poursuivent toutefois leur intériorisation (Brossard, 2004 ; Wertsch, 1985, 1998 ; Wertsch & Tulviste, 1992) et donnent lieu à une subjectivation des savoirs et à une restructuration des savoirs préexistants. Le développement prend ainsi place progressivement. Il y a donc une microforme subjectivée qui va contribuer à restructurer les savoirs et les médiations déjà intériorisées par le sujet. Le champ se trouve progressivement restructuré. La microforme, incluant les nouveaux concepts intériorisés, influence les concepts et formes préexistants et amène à une nouvelle lecture, une réélaboration d’un savoir préexistant, mais aussi des microformes préalablement intériorisées. Les outils cognitifs à disposition pour intérioriser de nouveaux savoirs sont donc modifiés.

  13. Nous pouvons inférer qu’à mesure que des microformes sont intériorisées elles poursuivent leur intériorisation influençant et étant influencées par les formes préexistantes pour le sujet dans ce champ. Il nous semble qu’ainsi se constitue une forme microculturelle subjectivée, d’une part, conforme à la forme culturelle, et principalement à la forme microculturelle partagée, et d’autre part, propre au sujet.

  14. Les savoirs de l’expérience semblent dépendre plus de médiations indirectes, déjà intériorisées et spontanément mobilisées. Les savoirs de référence, notamment issus de la pratique d’autrui, semblent reposer plus sur des médiations directes partagées dans le contexte d’activité. Les savoirs de référence d’origine scientifique sont plus dépendants de médiations directes transmises dans le cadre de la formation théorique.

  15. Nous constatons, à travers les écrits et les interactions en groupe, que ces formes et concepts réapparaissent au sein du discours du sujet afin d’opérer la médiation interpsychique des savoirs lors des argumentations. La forme subjectivée ou la microforme, si la communication a lieu avant l’atteinte d’un certain développement professionnel, influence à son tour la constitution de la microculture.

Sur cette base, nous pouvons tenter de décrire l’apprentissage de la profession enseignante, comme étant le développement d’une microforme professionnelle subjectivée proche de la forme professionnelle désirée par l’institution de formation.

4. Étude des microformes

L’étude des écrits réflexifs des étudiants en formation peut être dès lors vue comme révélant la mobilisation de microformes (Buysse & Renaulaud, en soumission). Sur cette base théorique, nous pouvons considérer que celles-ci dépendent :

  1. du contexte de mobilisation, et particulièrement de l’objet de l’analyse réflexive ;

  2. des microformes subjectivées à disposition de l’étudiant au moment de l’écriture.

De ce fait, quand les écrits réflexifs portent sur une analyse de savoirs théoriques, ils semblent s’approcher des formes de la discipline d’origine de ce savoir théorique. La subjectivation des savoirs théoriques est donc fortement influencée par la discipline scientifique à leur origine. Nous constatons que, dans le cas d’un sujet au début de sa formation, la microforme mobilisée pour le savoir d’une origine disciplinaire donnée et la microforme mobilisée pour le savoir d’une autre origine disciplinaire présentent un profil totalement différent. Pour un sujet en fin de formation, la microforme présente de plus grandes similitudes entre les deux savoirs. Néanmoins, en début de formation, au plus le savoir est proche de la pratique, par exemple dans le cas de savoirs pédagogiques ou didactiques, les textes réflexifs semblent empreints d’une microforme autre, relevant plutôt du bricolage.

De plus, au début de la formation, les étudiants semblent avoir recours, pour l’analyse de situations d’enseignement, à des concepts quotidiens et des logiques naturelles, relevant des microformes liées à d’autres cultures que la culture professionnelle.

Si nous considérons que les écrits réflexifs relèvent d’une réelle tentative de compréhension, les processus ne résultent pas du hasard et doivent dépendre de microformes intériorisées. La réélaboration des savoirs s’effectue selon certaines sélections d’informations et selon certaines règles de logique, donc selon une forme jugée pertinente. Il existerait donc un lien entre le type de savoir et les dimensions des médiations mobilisées. Les savoirs référentiels, particulièrement d’ordre scientifique, ne seraient pas intériorisés ou mobilisés selon les mêmes formes que les savoirs de l’expérience propre au sujet. Ceci pourrait contribuer à expliquer les défis rencontrés dans les dispositifs en alternance (Vanhulle, Merhan, & Ronveaux, 2007).

Si nous considérons que chaque élaboration réflexive reflète une microforme mobilisée par le sujet, il en ressort également que la sélection de la microforme préalablement subjectivée se fait selon un principe de vicariance (Lautrey, 1990). En effet, parmi plusieurs microformes possibles, le sujet retient celle qui lui semble la plus efficiente. Mais cette dernière n’est pas nécessairement la plus pertinente pour l’activité professionnelle.

Malgré ces difficultés, nous constatons toutefois que la formation a tendance à diminuer les différences entre microformes, entre autres sous l’effet des finalités de chaque processus de régulation, finalités culturellement déterminées et transmises par la formation.

Nous en inférons qu’une cohérence entre les microformes se dessine vers la fin de la formation, particulièrement sur les points suivants : finalité de la régulation, empan réflexif, critère d’évaluation de la régulation, qualité des savoirs impliqués et présence de concepts scientifiques (Buysse & Renaulaud, mai 2012).

Si maintenant, nous tentons de nous représenter le sujet dans son ensemble, nous pouvons émettre l’hypothèse qu’il a recours à des microformes différentes selon les savoirs à intérioriser/réélaborer et l’activité qui préside à cette réélaboration. En effet, le sujet n’est pas seulement un sujet scolarisé, ou en formation professionnelle, il est aussi un sujet qui a suivi des formations antérieures, qui a une vie sociale, une implication dans un passe-temps ou d’autres activités extra-professionnelles. Des microformes différentes coexistent ainsi au sein d’un même individu. Dans le cas d’un nouveau champ d’activité ou d’un nouveau champ épistémique, il y aura concurrence entre elles. Mais la régulation nécessaire à l’élaboration des savoirs nécessitera une sélection, probablement composée d’éléments de différentes microformes.

Nos observations permettent de distinguer deux cas de figures principaux. Quand le champ épistémique lui est familier, il semble avoir recours à la forme culturelle intériorisée, ou à des microformes déjà très similaires. Le sujet tente en effet d’avoir recours à la forme culturellement transmise et en rapport avec son activité. Quand le champ est nouveau pour lui, il semble avoir recours par vicariance à la plus adaptée des microformes à disposition. Nous nous concentrerons brièvement sur ce cas de figure.

Quand le sujet entre dans un nouveau champ épistémique ou professionnel, il ne dispose par conséquence pas de forme adaptée au champ ou à sa profession. En examinant les différentes tentatives faites par un débutant afin de donner un sens à de nouveaux savoirs, nous constatons que les microformes varient. Il semble donc qu’il n’ait pas encore subjectivé une microforme adaptée à l’activité.

Ceci est amplifié par le dispositif en alternance en formation des enseignants, qui exige à la fois subjectivation d’un ensemble de théories semblant ressortir d’épistémies, donc de formes, différentes et la subjectivation d’expériences pratiques selon une forme professionnelle dont la transmission est le but même de la formation. Ceci engendre une amplification de l’alternance dans la mobilisation des microformes.

Ce n’est que plus tard, la forme culturelle étant en cours d’intériorisation, qu’une régularité se dessine dans la mobilisation d’une microforme par le sujet. C’est à ce moment que l’on peut parler d’une protoforme professionnelle, une forme primitive préalable à l’élaboration d’une forme plus stable, chez l’apprenant. Il s’agit d’un ensemble d’interprétation des signes liés à des situations et à des problèmes différents, mais lus progressivement à travers les mêmes finalités et à travers une adéquation à l’activité socioculturelle. Il y a émergence de la culture professionnelle et donc élaboration progressive d’une identité professionnelle.

5. Discussion

Nous nous permettons d’examiner quelques conséquences qui pourraient découler de la notion de forme.

Nous avons constaté que les étudiants en formation à l’enseignement n’ont pas, la plupart du temps, à disposition une forme adaptée à la forme culturelle de leur future activité. Ils n’ont pas encore une forme professionnelle. S’ils ont peut-être une représentation de ce que pourraient être les finalités, ils n’ont à disposition aucune procédure adaptée; ils doivent pourtant faire face aux problèmes qui se posent dans leurs stages pratiques.

Pour faire face aux situations ou aux savoirs à intérioriser, ils utilisent donc les microformes les plus pertinentes à disposition. La plupart du temps, les formations sont dans l’incapacité de fournir explicitement les concepts et formes dès le début de la formation. Le sujet a donc recours, plus ou moins consciemment, à différentes microformes. Ces composantes prises ensemble donnent lieu à une protoforme totalement subjective et propre à chaque individu: une vision du monde qui lui est propre. Même si cette protoforme se dessine durant la formation, elle ne semble pas issue d’une représentation explicite et articulée.

Le défi de l’alternance est dès lors d’admettre que la forme transmise aux étudiants pour leur permettre de subjectiver est écartelée selon les disciplines scientifiques d’origine : rares semblent les modèles de formation à l’enseignement qui, dès le début de la formation, donnent des outils pour penser de manière cohérente l’activité, selon un paradigme ou au moins selon une discipline scientifique.

Les dispositifs d’alternance devraient donc se concentrer sur la nécessité de resserrer l’écart entre les différentes microformes nées de la transmission des disciplines et de l’interprétation de l’expérience. Encore s’agit-il de transmettre dès lors une forme professionnelle définie ou au moins les formes fondamentales de celles-ci, afin de permettre leur intériorisation.

Une autre implication de la notion de forme serait de considérer que questionner les sujets sur leurs représentations, sans leur transmettre préalablement ni forme ni savoirs, pourrait les amener à consolider des microformes inadaptées en les amenant à les mobiliser. Il convient de se demander s’ils avaient déjà des protoformes constituées avant qu’on les questionne. En effet, en les lançant en réflexion sans leur avoir fourni d’outils, on force une mobilisation potentiellement inadéquate des ressources. Il en résulte effectivement la nécessité par la suite de déconstruire les préconceptions, mais celles-ci n’auraient peut-être pas existé si on ne les avait pas sollicitées. Dans le cas de la formation des enseignants, il est courant de les questionner, de les amener à expliciter leurs représentations, leur raisonnement, sous-tendant leurs actions. Nous pouvons nous demander si ceci est approprié en début de formation. En effet, l’étudiant a certes agi, mais de son mieux, afin de faire face à une situation. Il a eu recours à des microformes, souvent inconsciemment. L’amener à s’expliciter l’amène avant tout à donner un sens aux microformes utilisées et donc accélère la création d’une protoforme. Celle-ci est néanmoins le plus souvent inadaptée et sera déconstruite vigoureusement par les formateurs par la suite. On pourrait imaginer induire les questionnements sur les représentations et l’explicitation en général plus tardivement dans la formation.

Il conviendrait également de s’interroger sur la fonction de la forme scolaire qui modifie légèrement les différentes formes épistémologiques qui composent ces disciplines. Est-elle moyen ou finalité ? A-t-elle comme finalité de former à elle-même, donc à des formations ultérieures ? Ces tentatives d’échapper à elle-même en se fondant sur l’apprentissage du quotidien a-t-elle alors un sens ? Quelle forme devrait donc véhiculer l’institution scolaire afin de permettre la poursuite de formations pas nécessairement académiques ? A-t-elle comme finalité de former au quotidien ou à la poursuite des études ? Mais alors qu’elle est la forme adaptée au quotidien considérant qu’il est pluriforme ?

Finalement, nous devons questionner sur l’adéquation entre la forme scolaire et la forme professionnelle de l’enseignement. En effet, la manière d’enseigner influence la manière d’apprendre, donc aussi de donner un sens. Les enseignants transmettent-ils une microforme qui leur est propre en même temps que la forme appropriée à la discipline qu’ils enseignent ? Y a-t-il friction ou congruence entre ces formes ? Quelles en sont les conséquences sur les élèves ?

D’une manière plus générale, la notion de forme permettrait de tenter d’intégrer les développements de la recherche en psychologie interculturelle (Berry, Poortinga, Segall, & Dasen, 2002; Rogoff, 2003) dans les travaux sur la formation des enseignants et la construction des savoirs chez les élèves. On peut considérer que les différences culturelles ne sont plus l’apanage de contrées lointaines ou de groupes issus de l’immigration, mais sont omniprésentes dans nos sociétés protéiformes.