Comptes rendus

Candice Delmas, Le devoir de résister. Apologie de la désobéissance incivile, Paris : Hermann, 2022, 364 pages[Record]

  • Nicolas Lacroix

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  • Nicolas Lacroix
    Université de Montréal

Publié pour la première fois en 2018 et tout juste traduit en français par Raphaëlle Théry, Le devoir de résister de Candice Delmas apparaît comme l’une des plus récentes contributions aux débats sur la désobéissance civile et l’obligation politique qu’ont relancés les différentes vagues de mobilisation des années 2010. Plus qu’un simple addenda, le livre de Delmas propose de reproblématiser la désobéissance civile en l’inscrivant dans le cadre plus général de la « désobéissance de principe » et en la pensant non plus seulement comme un droit — nécessaire contrepartie au devoir d’obéissance à la loi —, mais aussi, voire surtout, comme un devoir. Delmas cherche ainsi à répondre à une double interrogation : est-il possible de concevoir un devoir de désobéissance semblable au devoir d’obéissance à la loi ? Et est-il possible d’inclure dans cette conception de la désobéissance non seulement la désobéissance civile, telle que l’a thématisée la philosophie politique de tradition analytique, mais aussi des formes de désobéissance qui refusent, en tout ou en partie, la norme de civilité ? L’autrice entend donc défendre la thèse selon laquelle il existe des « devoirs moraux de résistance à l’injustice dans lesquels [sont] inclus la désobéissance animée par des principes — qu’elle soit civile ou non civile » (p. 14). À cet effet, les deux premiers chapitres sont consacrés à une critique des principales conceptions de la désobéissance civile et à une apologie de la désobéissance incivile. À partir de cette problématisation, Delmas s’attache à justifier, dans les quatre chapitres suivants, le devoir de résistance, en remobilisant les arguments qui ont jusqu’à présent servi à justifier l’obligation politique d’obéissance à la loi. Le dernier chapitre est pour sa part consacré à une présentation des implications de ce devoir pour des agents situés dans des contextes sociaux et politiques concrets, présentation que complète le postscriptum, en revenant sur la contestation de la dernière présidence républicaine aux États-Unis. Le premier chapitre part d’un constat : la désobéissance civile, telle qu’elle a été conceptualisée depuis les années 1960 en se référant au mouvement américain pour les droits civiques, repose, pour l’essentiel, sur une interprétation idéalisée de ce dernier. Cette conception de la désobéissance civile a ainsi fait l’impasse sur les dimensions les plus radicales de ce mouvement, et les plus ambigües en ce qui concerne son rapport à la légalité, la publicité et la non-violence. Elle a de fait revêtu une fonction idéologique de contre-résistance en délégitimant les mouvements sociaux subséquents par le biais d’appels constants à la civilité : Il importe par conséquent de redéfinir la désobéissance politique au-delà de la seule désobéissance civile afin d’y inclure des formes de désobéissance incivile. Si certaines théories, à commencer par celles de Kimberley Brownlee et de Robin Celikates, semblent aller en ce sens, Delmas considère toutefois qu’elles posent un problème à la fois conceptuel et phénoménologique : elles déforment en effet le concept de désobéissance civile au point de le rendre méconnaissable et échouent, par le fait même, à rendre compte de l’écart de certaines pratiques avec le modèle de la désobéissance civile. Contre la conception canonique de la désobéissance civile qui ne correspond pas aux mouvements qu’elle prend pour référence, et contre les conceptions minimalistes qui sont « défaillantes au plan de l’utilité politique et de l’exactitude phénoménologique » (p. 71), Delmas entend donc défendre une conception étendue de la désobéissance politique qui comprend des formes civiles aussi bien qu’inciviles. Comment dès lors justifier une telle conception de la désobéissance politique, particulièrement lorsqu’elle se fait incivile ? Selon Delmas, la désobéissance incivile est à même d’être justifiée à partir d’un ensemble …

Appendices