Comptes rendus

Florian Michel, Étienne Gilson. Une biographie intellectuelle et politique, Paris, Librairie Philosophique J. Vrin, 2018, 457 p.[Record]

  • Georges Leroux

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  • Georges Leroux
    Université du Québec à Montréal

Historien des idées, Florian Michel l’est aussi indirectement de la philosophie. Dans la biographie qu’il consacre au grand médiéviste Étienne Gilson, figure de proue de la pensée catholique en Europe et en Amérique du Nord, il présente à la fois les convictions humanistes de ce penseur d’exception et ses engagements politiques et sociaux. À travers cinq chapitres richement documentés, il brosse le portrait complexe d’un homme dont la pensée catholique n’a guère fourni d’exemple aussi puissant au vingtième siècle, à l’exception peut-être de Jacques Maritain. Par ailleurs, cette biographie « intellectuelle et politique » intéresse au premier chef l’histoire de la philosophie au Canada et au Québec, qui furent pour Étienne Gilson des lieux privilégiés d’engagement. Il ne faut certes pas se méprendre sur la signification de cet engagement politique : placé sous la bannière de l’humanisme intégral défendu par Jacques Maritain, cet engagement est demeuré profondément philosophique, dans la mesure où il a toujours constitué la mise en oeuvre de positions fondées sur la doctrine philosophique du thomisme, dont Gilson était, et cela depuis sa jeunesse, à la fois un spécialiste et un apôtre. Thomiste, cela voulait dire d’abord, à l’exemple de saint Thomas d’Aquin, la fidélité au lien fondamental de la philosophie et de la théologie, tel que Gilson l’avait dégagé dans ses grandes études sur la pensée de Thomas d’Aquin. Florian Michel montre comment, dans tous les débats auxquels il a participé, qu’il s’agisse de la laïcité, du libéralisme, de la neutralité politique durant la Seconde Guerre mondiale, Gilson a multiplié les interventions susceptibles d’orienter à partir de ces principes l’action des catholiques engagés comme lui au service de la foi. L’inventaire détaillé que l’historien reconstitue permet de mesurer la générosité et la vitalité d’un intellectuel qui n’a reculé devant aucune occasion d’être autant philosophe que militant chrétien. Ce livre fouillé illustre dans le détail comment un spécialiste de la pensée médiévale, auteur d’études nombreuses et considérables sur les philosophes appelés à devenir docteurs de l’Église comme Augustin, Thomas d’Aquin, Bonaventure, Albert le Grand, a franchi la barrière qui sépare le monde académique de celui des intellectuels et des politiques. La bibliographie rassemblée pour exposer cet itinéraire force l’admiration : on y trouve non seulement les grandes études savantes, mais l’ensemble des publications et correspondances de Gilson étalées sur plusieurs décennies, dont une intéressante section d’annexes fournit de riches exemples. Aucun fonds d’archives n’a été négligé, et l’annotation ne laisse rien de côté. Mais, comme si cela n’était pas assez, il faut aussi compter avec les missions d’Étienne Gilson dans les institutions universitaires d’Amérique du Nord, d’abord aux États-Unis et ensuite, avec la grande aventure de l’Institut pontifical de Toronto et de son surgeon montréalais, l’Institut d’études médiévales de l’Université de Montréal. Il faut insister sur le fait que tout cela a partie liée, autant par le réseau des universitaires et intellectuels mobilisés par Gilson que par la communauté fondamentale qu’il n’a de cesse d’animer autour de la philosophie de Thomas d’Aquin. Le renouveau de l’Église et de la chrétienté en dépend, telle est la finalité de base. Pour s’en convaincre, il faut d’abord retourner au livre précédent de Florian Michel, qui examine l’action de Gilson en Amérique du Nord, notamment à l’Institut pontifical et à l’Université Laval. Cette étude permet de dégager certaines constantes présentes dans sa biographie de Gilson : d’abord la confrontation avec la modernité, l’analyse de ses conséquences sur l’avenir de l’Église et de la pensée chrétienne, mais aussi un engagement fondamental au service de la transmission. Gilson n’a ménagé aucun effort pour soutenir la relève à laquelle il proposait sa vision éclairée …