Cet ouvrage de James Gordon Finlayson propose à la fois une synthèse et une relecture de l’abondante littérature qui s’est développée à la suite de l’échange survenu en 1995 entre Jürgen Habermas et John Rawls dans The Journal of Philosophy. Il situe aussi cet épisode dans la plus large discussion philosophique entre ceux-ci, qui remonte en fait aux années 1970 alors qu’Habermas se livrait déjà à certaines critiques de Théorie de la justice. Ce livre s’adresse non seulement à ceux qui s’intéressent spécifiquement au débat entre Rawls et Habermas (à noter d’ailleurs que ce livre de Finlayson s’inscrit en continuité avec les différents commentaires publiés dans l’ouvrage collectif qu’il a précédemment codirigé avec Fabian Freyenhagen sur le même thème), mais aussi à un public plus généraliste, et ce, étant donné l’exercice notoire de vulgarisation et de contextualisation auquel se prête Finlayson tout au long de son analyse. Le livre se divise plus précisément en trois étapes logiques. Premièrement, Finlayson revient sur les entreprises philosophiques respectives de Rawls et Habermas, de même que sur les tout premiers points de tension entre les deux théories que l’on pouvait déjà noter dans les critiques formulées par Habermas avant l’échange de 1995. Cette première partie du livre s’appuie sur une lecture schématique et introductive autant de leurs écrits de jeunesse que de leurs écrits tardifs (chap. I, III et IV), de même que sur un examen des principaux arguments formulés par Habermas, dans les années 1970 et 1980, à l’encontre de Théorie de la justice (chap. II). En dépit du caractère un peu sommaire de la caractérisation des deux théories concurrentes qu’il propose, l’ouvrage de Finlayson a néanmoins l’avantage d’insister directement sur les éléments fondamentaux des deux modèles qui permettent au lecteur de bien apprécier le débat de 1995. À cet effet, l’auteur revient, entre autres, sur l’influence qu’ont eue les travaux de Lawrence Kohlberg sur l’éthique de la discussion d’Habermas (p. 40-42), en plus de bien contraster la dimension kantienne de la théorie de Rawls (p. 22-24) avec celle du modèle habermassien (p. 38). Il souligne aussi, du même coup, certains recoupements entre la première vague de critiques d’Habermas et les arguments communautariens de Michael Sandel et Charles Taylor (p. 58-65), en y intégrant aussi la contribution et les nuances apportées à ce débat par l’éthique du care (p. 66-73). À la suite de ces considérations préliminaires, l’ouvrage de Finlayson se prête à une analyse approfondie des deux articles d’Habermas et de celui de Rawls, parus dans The Journal of Philosophy (chap. V, VI et VII). Finalement, Finlayson aborde aussi les remarques plus récentes formulées par Habermas à l’égard de la « clause restrictive » de Rawls dans l’usage public de la raison (chap. VIII). Comme la principale contribution de ce livre à la littérature entourant le débat Rawls-Habermas se situe surtout dans ces deux dernières sections, nous consacrerons la majeure partie de cette recension à les détailler. Dans la deuxième section du livre, en plus de revenir sur les différents éléments du débat à partir de sa schématisation des modèles de Rawls et d’Habermas, Finlayson cherche aussi à montrer de quelle manière certains commentateurs (comme Christopher McMahon et Joseph Heath) sont passés à côté du potentiel philosophique de ce débat en essayant à tout prix de dépeindre cet échange comme un dialogue de sourds (p. 8-11). En ce sens, Finlayson effectue un retour sur les travaux de McMahon (p. 151-155) qui tentent de mettre en évidence la …
James Gordon Finlayson, The Habermas-Rawls Debate, New York, Columbia University Press, 2019, 294 pages[Record]
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Jérôme Gosselin-Tapp
Université d’Ottawa